Re: Avant la fuite [PV Charles] ─ Mar 31 Oct - 17:55
La nuit était déjà bien avancée, et toujours aucun signe de cette mystérieuse infante. Le baron de Montillat, qui logeait alors dans son hôtel particulier d’Evalon, avait été prévenu par un homme de l’impératrice qu’une jeune femme très importante pour l’avenir de l’Empire devait fuir la ville dans les plus brefs délais. On requérait officiellement son aide pour une tâche aussi délicate, car Charles était bien l’un des seuls sujets de l’impératrice à être à la fois suffisamment fidèle, suffisamment peu connu et suffisamment discret pour mener à bien une mission si périlleuse. Malheureusement, sa tâche commencerait lorsque la dénommée Tyssia d’Opale frapperait à sa porte, et pour le moment rien. Dans le petit salon de réception, le baron demeurait assit sur un fauteuil de velours bleu devant la fenêtre donnant sur la capitale. Appuyé sur sa canne, il s’était résolu à ne rien manger ni boire tant que cette jeune femme ne serait pas sous son toit. Silencieux, Joseph, son valet, demeurait à côté de la porte, l’oreille attentive. Il devait entendre la moindre caresse que l’on ferait sur la porte d’entrée. Les heures s’écoulèrent, et alors que l’obscurité qui enveloppait Evalon se renforçait petit à petit d’un épais brouillard, le domestique tressaillis.
- "Qu’y a-t-il Joseph ?" Demanda Charles sans cesser de fixer l’extérieur.
- "Je crois que j’ai… entendu quelqu’un frapper, monseigneur." Répondit-il nerveusement.
- "Tu en es certain ? Alors va donc ouvrir, s’il te plait."
Son ton était, comme toujours, calme et posé alors que même son serviteur savait à quel point il était nerveux en cet instant. C’était, à la fois, la première grande tâche qu’on lui confiait personnellement, mais également une mission décisive pour le futur de l’Empire. Le visage fermé, perdu dans ses pensées, le baron de Montillat attendit que Joseph annonce qui avait frappé chez lui à une heure aussi tardive. Ses doigts pianotaient mécaniquement sur le pommeau en or de sa canne d’ébène, et cela faisait bien longtemps qu’il ne voyait plus rien de clair à travers cette fenêtre. Etant seul dans la pièce, il s’autorisa à sursauter quand, finalement, la voix de son serviteur raisonna dans la pièce voisine.
- "C’est Tyssia d’Opale, monseigneur. Puis-je la faire entrer ?"
- "Bien sûr, Joseph." Répondit le baron calmement, mais rapidement tout de même.
La porte s’ouvrit alors dans un long grincement, et le fidèle sujet de l’impératrice tourna lentement la tête vers celle qu’on lui avait présentée comme étant « La pierre angulaire pour le futur d’Eurate », c’était là les mots employés. En s’appuyant sur son éternelle amie de bois, Charles se leva lourdement de son siège. Le bruit métallique caractéristique de son appareil orthopédique accompagna ses pas pénibles jusqu’à la jeune femme. Il était plus petit qu’elle, mais hors de ça ils avaient un petit air de ressemblance. Les deux arboraient une crinière noire un peu bouclée, des vêtements dans les mêmes tons, mais là où le baron de Montillat conservait une prestance nobiliaire acceptable, la jeune Tyssia semblait ne pas se soucier de l’étiquette au vu de sa posture, de ses gestes et de l’inquiétude qui transparaissait dans son regard.
- "Bienvenue, votre Majesté. Oui, je me doute bien qu’être appelée ainsi vous gêne, mais il est de mon devoir de le faire."
Il arborait un sourire aussi chaleureux que possible, tandis qu’il faisait de son mieux pour tourner les talons et se diriger vers une table posée au centre de la pièce, en face la cheminée, et où était entreposés de quoi boire et manger. Du pain, du fromage, une carafe ornementée remplie d’eau, l’autre de vin et deux coupes dans la même veine artistique que les carafes. Appuyé contre sa canne, droit comme un soldat en service, Charles désigna le tout d’un geste de la main.
- "Tenez, servez-vous. Mangez et buvez autant que vous le voulez, la nuit n’est pas terminée. Quand vous serez rassasiée, nous parlerons de votre départ, votre Majesté."
Il tourna enfin les yeux vers son valet. Le visage de Charles était fermé, mais il ne pouvait empêcher son regard d’exprimer la gravité de la situation.
- "Prépare la diversion, Joseph. Nous devons écarter toute possibilité de se faire attaquer en route." Ordonna-t-il finalement.
- "Bien, monseigneur." Acquiesça Joseph.
Il s’empressa d’ouvrir la porte pour s’éclipser de la pièce, sans toutefois laisser son maître et la princesse d’Opale seuls. Un autre serviteur, habillé de la même tenue, prit sa place immédiatement et se plaça devant la porte.
- "Bonsoir, Quentin."
- "Bonsoir, Seigneur", répondit son valet.
La mécanique était bien huilée. Charles de Montillat avait calculé chaque étape de la fuite de Tyssia au millimètre. Que ce soit leur sécurité, leur tranquillité, leur confort, jusqu’à la diversion qu’il avait organisé pour semer d’éventuels poursuivants de l’héritière. En effet, tandis qu’ils discuteraient, Joseph était chargé d’escorter, avec deux autres domestiques armés, une jeune servante encapuchonnée pour l’occasion hors des murs d’Evalon. Ils passeraient par les chemins les plus tortueux, les plus sombres, avec pour consigne de simplement courir si un danger se présentait. Il fallait faire gagner le plus de temps possible au baron et à la véritable Tyssia. Peut-être que ces quatre serviteurs ne reviendraient pas de leur mission, mais tous les sacrifices seraient justifiés si cette jeune femme parvenait à sortir vivante de la capitale impériale. Toujours aussi inquiet, peut-être même encore plus sachant l’opération inéluctablement enclenchée, Charles se servit tranquillement une coupe de vin et s’assit lourdement sur une chaise à côté de la table. Tout en savourant une gorgée, il regardait les bûches de bois se consumer dans la cheminée. Son regard dévia vers celle qu’il protégerait à tout prix cette nuit. Puisse les Trois couronner sa mission de succès et veiller sur cette âme.