Evalon. Perle d'Eurate pour les uns, fosse à damnés pour les autres. Bordée de par et d'autres de fleuves, il semblait naturel que le lieu devienne une place forte. Elle est aujourd'hui une mégalopole impressionnante. Paysans, artisans, marchands. Bourgeois, nobles ou seigneurs. Ici, tous se mêlent et se démêlent. Ici, l'argent et l'or ne sont qu'une monnaie de substitut. La principale devise n'est autre que le pouvoir. Negocié au coin des ruelles boueuses ou pavées, des infâmes tavernes aux couloirs du palais, tous n'espèrent que s'abreuver de ce rare nectar. Peu cependant disposent d'assez de temps pour le déguster.
Il faisait beau ce jour là. En plein mois de juillet, le soleil c'était imposé dans tout le pays et particulièrement sur les plaines fertiles qui entoure l'épicentre de l'Empire. Pour tout dire, la journée était agréable. La "ville basse", telle qu'elle était nommée par les habitués, grouillait d'activités. A peine le soleil était levé que les étals étaient dressés. Meme dans les coins reculés, les plus pauvres de la ville, ils étaient garnis et s'étendaient à perte de vue dans un arc en ciel de couleur. Poissons, viandes, légumes. Epées, sabres, marteaux. De quoi satisfaire tout acheteur peu importe ses intentions. De quoi permettre de vivre, ou, de mourir.
Rian était déjà par le passé intervenu à Evalon. Plusieurs fois. Breves, rapides. Il ne s'était pas attardé en ce lieu. Trop de vie, trop de gens, trop d'yeux, trop de bruits, trop de risques. Trop de pierres, de bâtisses. Trop de trop. Les rues d'Evalon ne faisaient que suivre la géographie complexe du lieu. Parfois larges, souvent étroites. Les axes principaux, eux, étaient par contre d'une incroyable beauté. Personne ne pouvait les emprunter pour la première fois sans s'émerveiller sur le travail méthodique des bâtisseurs, rajoutant, embellissant même, leur propres créations à celle des générations précédentes. Néanmoins, son intérêt pour la pierre et l'architecture n'était pas vraiment poussé. Il ne comprenait pas comment les hommes pouvaient choisir de vivre agglutiner de cette manière, les uns sur les autres, tout au long de leur vie. La, séparés du monde par de solides murs. Séparés de la vie, du réel. Séparés d'eux meme.
Il était arrivé la veille, avant la tombée de la nuit. Il devait déposer les primes obtenues ce mois ci après avoir rempli trois contrats pour le compte de sa guilde. Le paiement précieusement enroulé dans une étoffe était dissimulé sous son gilet de cuir, qui était lui même sous une longue cape en lin d'un vert foncé, usé par le temps et les intempéries, il se fraya un chemin de l'entrée de la ville jusqu'aux bureaux de sa compagnie. La nuit, Evalon prenait un autre visage. Les effluves d'alcool parcouraient les ruelles, portées par des ivrognes ou des fêtards éméchés. Il se situait à quelques bâtiments du quartier des auberges, celui la meme qui était une fois la nuit tombée conquit par une armée de prostituée au maquillage souvent hasardeux. Bourses vides, regards vides, coeurs vides, elles tentaient malgré tout de paraître sous leurs meilleurs jours. La vie et ses fardeaux.
Après s'être identifié et déposé son trésor, moins sa part, reçu quelques politesses, son référent qui répondait au nom d'Hector l'invita à se restaurer à l'étage, dans le salon d'accueil. D'autres mercenaires étaient présents dans ce salon pittoresque, se narrant leurs dernières aventures.
L'esprit de Rian était ailleurs, il c'était juste laissé porté par la nonchalance jusqu'en haut. En vrai, il n'avait pas vraiment faim. La seule chose qui pour lui avait de l’intérêt était de s'en aller au plus vite, non pas sans avoir récupérer quelques ordres de missions avant. Hector c'était vite habitué au caractère de Rian et respectait ses longs silence. Il ne lui forcait la parole que très peu et en profitait par moment pour soulager son coeur. Au sujet des sa femme qui ne faisait que se plaindre, de ses deux bambins beaucoup trop turbulents, des traites qu'il avait contracté, du pain qui baissait en qualité, de l'arrivée de la Thoréenne devenue noble qui lui demandait beaucoup trop de boulot, de ses douleurs aux extrémités, du manque de bras, de gaillards sérieux... Le regard vague de Rian sembla reprendre vie à l'énoncé de l'arrivée de la noble. Il le coupa dans son monologue, troublé et impatient d'en savoir plus.
- " Qu'as-tu dis ? Une Thoréenne ? "
Habitué à la passivité orale de Rian, Hector fit une mimique de surprise. Comment ? Tu n'es pas au courant ? Pourtant c'est au creux de toutes les chaumières. Mais oui ! La barbare, la sauvage, ramassée par accident, est devenu une petite noble du pays. Si si te dis-je, cette petite crevure qui a passée sa vie à nous attaquer a été propulsée au sommet de la noblesse. Pourquoi ? Bah, il fallait que cette batarde soit en réalité une enfant du pays arraché il y a des décennies. Peu importe qu'elle soit de sang noble, elle est des leurs, jamais des notres. Et puis...
Rian ne l'écoutait déjà plus. La nouvelle le secoua aussi fortement qu'un uppercut. Il n'en avait jamais entendu parlé, trop occupé à fuir la civilisation. Selon Hector, une soirée avait été organisée pour que tous les nobles du pays puissent l'observer de près, pouvoir grappiller ici et là un échange avec la nouvelle coqueluche de l'impératrice. Rian le coupa encore, faisant fi de toutes ses grossières remarques pour aller à l'essentiel. Plus un ordre qu'une demande, un impératif qu'une supplique :
- "Je veux faire parti des mobilisés."
Hector le scruta, un instant, en silence. Ils se connaissaient depuis plusieurs mois mais n'en savait pas plus sur Rian. Beaucoup de mercenaires avaient un passé trouble. La curiosité, bien souvent, n'était qu'un précipice vers la mort. En faite il ne savait rien de lui si ce n'est qu'il était efficace et sur. Hector appréciait le personnage et sa discrétion. Il fit mine de prendre un air grave. Rian ne lui avait jamais rien demandé, plutôt apporté. Au bout de quelques secondes, il afficha un large sourire sur son visage rond. C'est d'accord, Rian, mais seulement si tu promet d'allé troquer ton chiffon vert par quelque chose digne de ce nom, tu comprend Rian, la protection de personnalité demande un certain standing et puis ...
La nuit, il dormit peu. Taraudé par milles et une question. Comment une enfant de Thor avait pu terminer ici ? Comment survivait-elle ? Comment avait elle réussie à passer des indomptables montagnes à... Ca ? Sans ambiguïtés, Rian fit un transfert de sa propre situation. Depuis qu'il était de retour, une vérité le rongeait de l'intérieur, imprononçable, douloureuse. Il était plus proche du thoréen que de l'euratéen. Plus proche de ces fiers guerriers, farouches et doté d'un instinct de survie qui ferait pâlir le nuisible le plus coriace. En faite il lui était tout simplement impossible de représenter cette femme en tenue de noble. Toutes ces années il les avait observé, vécu parmi eux, sans filtre. S'il n'a jamais été des leurs, il doit à leur enseignement et leur résilience sa propre survie. Il finit quand même par s'endormir, après une longue rétrospection.
Il se réveilla à l'aube. Il laissa sa cape dans la chambre qu'on lui loua la veille pour trois fois rien et rejoignit la maison de sa guilde. Vêtu de son gilet de cuir, décoré de longs en large par divers poignards et autres instruments de mort, tant pis pour le dressing code, on lui notifia a contre cœur les postes qu'il occuperait pour la journée. D'abord guetteur pour le cortège, puis garde au sein du palais. Parfait. Il voulait la voir, il la verrait. De loin, ça devrait suffire.
Les seigneurs et nobles finirent par arriver en grande pompes, paradant dans l'avenue qui traçait une ligne droite jusqu'au château. Perché sur le toit d'une banque située parallèlement à l'avenue en question, il observait l'allée en s'aidant de sa main comme d'une visière. Pas de danger à l'horizon, personne en hauteur si ce n'est les autres gardes préalablement identifiés. Tout devrait aller. Comme le voulait la coutume, les invités les plus importants apparurent en dernier. Malheureusement pour Rian, les carrosses qui devaient laisser apparaître la Thoréenne étaient fermés. Il ne vit rien d'elle. Agacé mais sans perdre espoir, il rejoignit le reste de son équipe, déposa son arc par la même occasion et se dirigea vers le palais. C'était la première fois, mais pas le temps de s’émerveiller. Dans l'enceinte du palais son coeur accéléra, resonnant dans sa poitrine jusqu'a ses tympans. Un sentiment de peur et d'appréhension se mirent à prendre forme. A chaque pas, un peu plus. Il suivit silencieusement ses camarades dans un large jardin aux fastes décorations, excédent d'orgueil, de vanité, ou une vingtaine de personnalités papotaient, riaient aux éclats. Cette vue le dégoutta. Ils sentaient mauvais. Une odeur acre d'hypocrisie se dégageait tout autour d'eux. Mais il l'aperçut. A une trentaine de mètre. Elle tenait un arc. Pas de doutes, aucun. C'était elle. Sa posture, sa manière de tenir l'arc légèrement en biais, de concentrer le poids du recul dans ses jambes pour ne pas se laisser déséquilibrer. Positionnement léger, tir rapide. Comme il l'avait vu tant de fois. Viser, tirer, courir. Étudié pour disparaître au milieu des feuillages. Il ne pouvait s’être trompé. Il fut fasciné par l'envol de ses boucles noires au moment de son tir. Sa peau laiteuse reflétait à merveille les rayons du soleil. Elle répondit sobrement par un sourire à un compliment qu'une blonde a la constitution fragile lui adressa.
Elle semblait à l'aise parmi eux, à quelques détails près. Elle dégageait une aura qui manquait aux autres. Dangereuse. Oui, elle l'était. Elle connaissait le prix de la vie, le coût de la mort et surement pire encore. Il le voyait dans ses postures, son comportement, ses gestes. Toujours prête. Il le voyait aussi dans son regard, toujours alerte. Rien a voir avec tout ces sang-bleus. Faiblards, inconscients, gavés à la facilité. L'adversité devait leur paraître être une lointaine expression. A vrai dire et à y regarder de plus près, elle n'était pas seulement différente. Elle était sur ses gardes. Par instinct, Rian quitta discrètement ses camarde après avoir fait un rapide décompte des positions de tirs les plus adéquats. Un tour de garde ne lui ferait pas de mal. Sans la quitter des yeux, se faisant le plus effacé possible et restant plus loin que nécessaire, il s'assura que les toutes les précautions avaient été prises. Il s’arrêta sous un des porches de la demeure. Le tour de garde n'était au fond qu'un prétexte pour pouvoir l'observer d'un angle différent. Une acclamation se fit entendre. Un autre de ses cul fourrés apparu, apparemment en retard. Il l'observa quelques secondes comme tous les invités présent. Quelques secondes inattention qui auraient pu lui être amères. Lorsqu'il voulu reposer les yeux sur la thoréenne, elle avait disparue. Ou presque. A l'angle du grand mur qui coupait en deux l'immense jardin, il aperçu une morceau d'étoffe disparaître, de la même couleur qu'elle arborait. Trop tot. Il n'en avait pas assez. Il n'avait rien vu si ce n'est qu'elle était aussi précise qu'un aigle et discrète qu'un chat. Il ne pouvait pas. Poussé par l'obsession d'élucider le mystère de sa transformation, lui qui n'avait pu se débarrasser ces dernières années de ses marques, il prit la même direction. S'assurant ne pas avoir été remarqué il tourna à l'angle. Derrière, plusieurs jardins de roses et de lys, quelques fleurs qu'il ne connaissait pas, aux délicieux parfum. Deux entrées. Une qui donnait sur des escaliers, l'autre vers un hall. En s'approchant d'une des deux il aperçut un petit peu de terre sur la pierre qui servait de marche de séparation entre le jardin et la tour, écouta son instinct, l'emprunta. Il grimpa quelques marches, silencieux, sensibles au moindres bruits. Quelqu'un d'autre, au dessus, les escaladait aussi.
Arrivé en haut il s’arrêta au pas de l'entrée, dans son ombre. Osant un regard discret il l'aperçut. Elle était plus loin, immobile dans un long couloir marbré, seule. Son coeur fit un bond. Tendu, il maîtrisa malgré tout sa respiration. Il contrôla sa posture. La plus légère qu'il connaisse, la plus discrète. Talon avant orteils, orteils après talons. Rester une ombre. Posture animale. Comme elle. Dissimulée derrière cette couche d'intégration, il l'a distingué. Ses épaules la trahissait. Toujours prête au combat.
Elle incarnait ses peurs les plus intimes et à la fois ses interrogations les plus profondes. Une anomalie dans son monde. Il ne la haïssait pas, pas pour ce qu'elle était. Sans réfléchir, il effleura de la paume de sa main un de ses couteaux, comme pour se rassurer, juste au cas ou. La musique, les bruits et les festivités du jardin lui semblait loin, très loin, flous. Elle accaparait toute son attention.