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De Charybde en Scylla [Libre]
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De Charybde en Scylla [Libre] ─ Dim 17 Juin - 11:19
Tódor Ujváry
    Tódor Ujváry
    Vagabond
    Se fondre dans la masse fut son premier commandement.

    Evalon, la Cité des Empereurs. Quel meilleur endroit pour un homme tentant de se faire oublier ? Une ville tentaculaire, foyer de dizaines de milliers d'âmes, torrent de pauvrets errant sur des pavés millénaires. Dans le brouhaha des halles, l'être humain se confondait dans la foule, un corps parmi d'autres pour en former un plus grand. Anonyme, intouchable, comment le reconnaître alors qu'il était si semblable aux autres ?

    Tódor voulait faire profil bas quelques temps, afin de réfléchir sur les options qui se présentaient devant lui maintenant qu'il n'était plus rien pour personne. Logé dans une respectable auberge proche du quartier posvanéen, il avait décidé de mettre ses derniers deniers à profit pour se reposer et permettre à sa fille de se remettre du choc qu'elle avait vécu. Depuis qu'elle avait posé le regard sur les cadavres refroidis de sa mère et de ses frères, elle n'avait plus dit un seul mot. Des cauchemars l'assaillaient régulièrement, dérangeant aussi bien son sommeil que celui de son père. Tódor était fatigué. Seule sa survie et celle de son dernier enfant lui donnaient encore le courage de continuer la lutte, d'espérer un renouveau.

    Lorsqu'il cherchait de petits boulots peu contraignants, il écumait les tavernes à la recherche d'un potentiel patron pour lequel travailler un temps, afin de ne pas finir endetté auprès des sympathiques albergistes. Soucieux de la sécurité de Mirella, il la laissait en compagnie de ses hôtes contre une promesse d'argent, et remontait les ruelles seul. A son passage, des gens s'interrogeaient parfois. Il n'avait pas d'habits permettant de le rattacher à un groupe social, à une guilde, à un rang. Les vagabonds étaient légions en Evalon, mais fort mal vus. Comment faire confiance à quelqu'un qui ne se rattache pas à une société ? Dans un monde aussi structuré, où chacun avait une place bien définie, le trimardeur incarnait le chaos et l'insécurité, le morceau de sable dans ce rouage millénaire établi par les dieux eux-mêmes.

    En cette fin d'après-midi, Tódor avait choisi de s'arrêter au Renard d'Or, une taberna fort fréquentée par des voyageurs, mais aussi par des commerçants et des tenanciers. Il s'agissait en fait d'un lieu informel où se rencontraient des hommes désireux de trouver de la main-d'oeuvre peu chère. Parfois, un contrat de quelques semaines coûtait bien moins cher que d'investir dans un esclave, sur le court terme en tout cas. Tódor voulait tenter sa chance, et avait pénétré dans le bel établissement avec la ferme intention d'en ressortir avec un arrangement.

    L'atmosphère dans la taverne était houleuse, l'ancien Paludéen pouvait le sentir... De menues disputes semblaient avoir éclaté, car des hommes se regardaient en chien de faïence de tables en tables. Le gérant avait l'air tendu comme un fil de funambule, tandis que la clientèle petit-bourgeoise faisait comme si de rien n'était. Après tout, elle était là pour recruter de menus travailleurs, et non se mêler des fions que se lançaient la roture malpolie.

    Son entrée suscita quelques regards pesants, qu'il ignora pour aller se poser à une table afin de repérer de potentiels recruteurs. Il balaya la zone de ses yeux accablés par la fatigue. Beaucoup de voyageurs, de gens de passage. Il manqua lâcher un juron lorsqu'il s'aperçut alors que l'endroit était plein de Posvanéens. Des réfugiés de Nagyváros, des petits marchands, des mercenaires... Il y avait en fait toute une partie de la salle qui était originaire de quelque marais vaseux. Ce côté-ci de la taverne semblait en froid avec une autre partie de la taberna, des gens au physique du Nord, des hommes rudes. Tódor haussa un sourcil lorsqu'il reconnut, contre toute attente, l'un des anciens soldats durdiniens avec lesquels il avait fait la guerre aux Thoréens ; Rutger Snorison. En réalité, deux blocs se faisaient face dans un duel de regard : d'un côté les Posvanéens, de l'autre des Durdiniens. Et Tódor n'avait pas une seule foutre idée de ce qui avait bien pu jeter un tel froid ici.

    Une chose était sûre, il allait sans nul doute s'éclipser avant que tout cela ne dégénère...

    Un Durdinien, levant sa chope en l'air, balança dans le vide :

    - A la mémoire d'Hauer Bjarkison ! Sauveur d'Eurate... et seul vainqueur d'Atabeï Khan !


    Un grondement sonore parcourut les tables posvanéennes, et quelques hommes chuchotèrent dans leur dialecte régional quelques vernies insultes. L'un des hommes se leva alors, un homme aussi large que petit, et au visage d'albâtre mangé par une barbe noire. Godet à la main, il répondit à l'outrage :

    - Pour István Khöszoctone, hip hip hip ?!


    Les saoulards des marais beuglèrent en coeur :


    - Hourra !


    Tódor sut alors dès cet instant ce qui était en jeu, et pire encore...

    Ce qui allait se passer...
    Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Sam 23 Juin - 19:07
    Guillaume de Mornoie
      Guillaume de Mornoie
      Chevalier
      Guillaume, pour sa part, n'en avait pas la moindre idée. Attablé en compagnie de quelques connaissances et d'autres individus à l'identité un peu plus floue, parce que arrivées sur le tard, il regarda les deux partis se former avant de s'affronter du regard et du verbe pour des raisons qui lui furent à peu près obscures. Eut-il été un peu moins imbibé de vin, il aurait sans doute compris un peu plus vite et un peu mieux ce qui était en jeu, et aussi que cette troupe de malpropres un peu bruyants n'étaient pas que des posvaniens sortis de leurs marais.

      L'unique crespinienne qui l'intéressait était par ailleurs fort loin, et il avait beaucoup d'autres choses qui occupaient son esprit pour le moment. Les derniers jours avaient été fort agités par toutes les festivités qui égayaient Evalon pour le début du printemps et célébrer le simple fait de n'avoir pas tous péri de l'épidémie, qu'il y ait encore quelques taverniers pour percer les fûts, et assez de monde pour contribuer à les vider. Guillaume n'avait pas chômé et même si Courage lui avait aimablement signifié son congé en guise de gratitude après le demi hiver passé à ramper dans la neige en esquivant des haches thoréennes ainsi que la délicatesse naturelle du caractère de la dame de Novigrad, les journées avaient été plutôt chargées, jusque-là. Pour tout dire, il n'était pas demeuré sobre très longtemps, ni très souvent, et point très seul non plus à en juger par le nombre de fois où il s'était réveillé dans le lit d'autrui sans avoir clairement souvenir de la façon dont il y était arrivé.

      Quelqu'un remplit d'office le gobelet de vin qu'il venait de terminer, et il haussa les épaules. C'était curieux la façon qu'avaient les verres de se remplir tout seul, et puisque c'était péché de gaspiller...

      L'oreille agacée par le parler des crespiniens et des rescapés de Durdinis, il s'adossa au mur derrière lui avec cet air vaguement concentré qui lui venait souvent passé une certaine quantité de boisson, pour voir les deux braillars en chef se lever en brandissant leurs godets comme s'il s'agissait d'étendards de bataille. A côté de lui, Loup, qui en tenait une sévère et le rebord de la table par la même occasion, fronça les sourcils.

      - Que de tapage pour une guerre perdue, marmonna-il.

      A leur tablée, quelqu'un rit.

      - Parole, Guillaume, tu devrais apprendre à ton écuyer qu'il est plus sage de parfois se taire, même pour des vérités aussi éclatantes que celle-là.

      Le plus lucide de la bande leur fit signe de se préparer à lever le camp, ce qui était tout à fait optimiste compte tenu de l'état d'ébriété de ses compagnons.

      - M'est avis que nous devrions partir, lança-il d'un ton nerveux. Monseigneur le duc ne serait pas heureux de nous savoir pris dans une bagarre de taverne.

      Laquelle bagarre ne semblait vraiment attendre qu'une étincelle pour se déclencher. Loup ne paraissait pas avoir été entendu, parce que la petite tablée de néréens n'avaient guère attiré l'attention jusque-là, mais sa remarque, quoique fort juste de l'avis de Guillaume, était propre à attiser l'ire de tout ce beau monde. Non que le chevalier répugnat à se livrer à quelques joutes avinées et un rien moins courtoises que sur le champ de lice, mais enfin : que le jeune homme eut à pâtir de sa langue trop bien pendue et à subir les assauts d'une troupe avinée était un châtiment un peu trop sévère pour son manque de jugeotte.

      - Dis plutôt que madame ton épouse te laisserait moisir en geôle plutôt que de verser un sou pour t'en faire sortir, ricana un autre.

      Ce qui en soit n'était pas faux, et par ailleurs Guillaume se demanda un instant où Courage l'enverrait-il pour le punir de s'être mêlé à une rixe avec des gueux. Sans doute fort loin, fort longtemps, et dans un endroit aussi épouvantable que devait l'être Posvany au mitan de l'été.
      Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Sam 30 Juin - 11:35
      Tódor Ujváry
        Tódor Ujváry
        Vagabond
        Il fallait vite que Tódor sorte d'ici.

        Mais afin de ne pas se faire remarquer, il devait se relever doucement, et lorsqu'ils regardaient ailleurs. Fort heureusement, ils étaient occupés à s'envoyer moult fions dans la figure, les gestes obscènes servant dès lors de lingua franca pour tous ces hères venus du Nord. A mesure que l'ambiance s'échaudait, le front du gérant gagnait en sueur, et chaque seconde le rapprochait de la conviction qu'il faudrait tôt ou tard appeler la milice.

        Tódor regarda subrepticement les Posvanéens, alors qu'il se relevait avec nonchalance pour se diriger vers la porte d'un air innocent. Tout comme les perdants de Durdinis, ils menaient une existence misérable. C'est en se rangeant sous la bannière d'un homme d'exception qu'ils se sentaient appartenir à quelque chose de plus grand et de plus glorieux. S'il ne leur en voulait pas, il était néanmoins attristé de constater que ces gens étaient condamnés à vivre leurs vertes années à travers les ombres d'un autre, aussi imposant fusse-t-il. C'est plongé dans ses réflexions qu'il croisa un visage familier, et un long filet de sueur froide lui raidit le dos, car leur syeux se croisèrent, et la magie opéra.

        C'était le fameux meneur, ce fanatique du Khöszoctone. Csábá, dit la Morille, un vieux tourbier qui avait servi un temps sous l'étendard des Bátor, lorsque les Khösz conduisaient leurs raids estivaux sur les marais. En certaines occasions, leurs chemins s'étaient croisés pour tendre des embuscades aux cavaliers les plus tenaces, ceux qui ne fuyaient pas devant les hordes de moustiques ou les bourbiers dans lesquels s'empêtraient leurs chevaux. En ces temps jadis, Csábá se vantait d'avoir été visité par le comte István en personne, alors qu'il était blessé, et que sa fièvre s'en serait allée juste après sa visite. Tódor n'avait pas osé lui dire que c'était bel et bien la fièvre qui avait rendu la visite du comte possible, car ce dernier n'avait pas pour habitude d'aller réconforter les blessés dans les tentes de soin...

        Csábá beugla :

        - Puterelle ! Les morts marchent !


        Tódor était encore loin de la porte quand il sentit glisser sur lui tous ces regards ébaubis. Tant les Posvanéens que les Durdiniens regardaient dans la même direction, et l'ancien Paludéen jura dans sa barbe. Csábá le pointa du doigt :

        - T'es censé être mort, capitaine...


        Tódor voulut répondre quelque chose de spirituel, un petit trait d'esprit qui aurait à la fois détendu ses muscles et son âme, mais il resta aussi silencieux qu'une crypte. Un long malaise s'ensuivit, coupé par l'un des Durdiniens, la grande gueule qui avait porté haut le nom de Bjarkison quelques minutes auparavant.

        - Change pas d'sujet, mangeur de tourbe.


        Le ton de la voix et l'insulte peu flatteuse ramenèrent Csábá à ses premières préoccupations. Ses yeux débordaient de colère, et son gros doigt boudiné passa rapidement de Tódor au Durdinien. Il lui cracha :

        - Toi on t'a pas sonné, t'as même pas su garder ton logis !


        - On la ramène pas quand son comte est mort de la peste !


        - Ha ! Parce que ton duc s'est pas fait ramoner l'fondement par les Thoréens ?


        - Árpad le Pesteux !


        - Hauer le Sottard !


        Leurs litanies furent interrompues par une cruche en terre cuite éclatant contre la tempe de l'insolent Durdinien. Elle avait volé en silence à travers la pièce, pour finir par se briser sur le crâne du plus bruyant de tous ces chiabrenas. Si le geste était à prévoir, il était pourtant venu de la personne que l'on s'attendait le moins à voir agir ainsi.

        Tódor avait lancé la cruche. En fait, il s'en était saisi dès qu'il avait entendu le nom de son défunt ami. Après coup, il se tança. C'était tout sauf raisonnable. Mais les Trois et son honneur en soient témoins, il n'aurait pas pu agir autrement. Alors que les regards se tournaient à nouveau vers lui, il se mit à reculer doucement vers la porte en levant progressivement les bras sur le côté, prêt à tous les dénouements possibles. Ce fut le plus logique qui se déroula.


        Des beuglements braillards furent lancés dans la plus grande confusion, tandis que les deux camps se rentraient dans le lard en levant poings et tabourets. On mordait allègrement, on jouait du pied ou de la marave, à grands renforts de cris de guerre lancés sur ce champ de bataille en huis-clos. Le tavernier avait disparu de la circulation, ainsi qu'un bon nombre de voyageurs ne se sentant pas concernés par cette soudaine escalade de violence. Tous étaient pourtant pris à partis à présent, qu'ils l'aient voulu ou non, et plus aucune distinction n'était faite entre l'agresseur et l'agressé, dans ce bouillon brouillon.

        Trois Durdiniens se liguèrent tout de même pour aller coller Tódor contre la porte, l'emppêchant lui et les autres de sortir de ce foutoir sans nom. Tandis que deux hommes lui tenaient les bras, un troisième tentait de lui envoyer ses poings dans la figure. Le Paludéen ne pouvait peut-être pas bouger les bras, mais il pouvait encore faire balancer ses jambes, qu'il usa de concert comme un cheval se cabrant pour catapulter le Durdinien aviné. Ce dernier tomba à la renverse, s'éclatant la tête contre le sol terreux de la taberna.

        La bagarre devenait générale. Les deux Durdiniens restant collés contre Tódor se désengagèrent, avant de le frapper de toutes leurs forces. Ainsi bastonné, le Posvanéen sentait chaque coup l'affaiblir et le déstabiliser, tant et si bien qu'il ne put se défendre correctement. Prostré contre la porte, il essayait vainement de se défendre contre deux grands types le cognant de leurs genoux et de leurs poings, tandis que dans la salle, une véritable cacophonie étouffait les bruits des coups et les suppliques des vaincus.
        Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Sam 30 Juin - 22:34
        Guillaume de Mornoie
          Guillaume de Mornoie
          Chevalier
          Tout à ses réflexions, Guillaume haussa un sourcil et, comme une bonne partie des gens présents à ce moment-là, se tourna vers l'homme désigné d'un beuglement fort gracieux par le noiraud posvanéen si prompt à s'égosiller. Il ressentit une brève poussée de pitié envers le bonhomme qui, de toute évidence, avait cherché à s'éclipser : bien sûr, le néréen n'avait pas le moindre début d'idée du bisbille qui pouvait opposer les deux hommes, si ce n'était que de toute évidence l'un d'entre eux n'était pas supposé se trouver là. Pour autant, il tout aussi évident qu'il se trouvait de fait en fort mauvaise posture, et personne n'avait vraiment envie d'être l'objet de l'attention générale dans ce genre de situations.

          Heureusement pour lui, le Durdinien jaloux de n'être plus au centre des préoccupations de son camarade se rappela aimablement à son bon souvenir, mais cela ne dura pas : leur échange fut brusquement interrompu par un fort beau lancé de cruche qu'il aurait applaudi s'il ne s'était vu attrapé par le col au même moment. De guerre lasse, l'homme le plus sobre de la tablée des néréens avait décidé d'évacuer le secteur, manu militari. Peine perdue toutefois parce qu'à peine tout le monde debout, quoique dans un équilibre rendu précaire par l'abus de boisson, les hostilités se lancèrent d'elles-mêmes comme si tout le monde n'avait attendu qu'un pet de mouche, ou le premier catapultage de pot à bière, pour sonner la curée.

          Les deux camps convergèrent dans un bel ensemble pour s'empoigner vigoureusement, tandis que les arrières-gardes, fautes d'adversaires homologués par leurs différends respectifs, avaient visiblement décidé de s'en prendre à tout ce qui leur passait sous la main. Cette fois, Guillaume fut obligé de se rendre à l'évidence : atteindre la sortie était la solution la plus sage s'il comptait garder l'intégralité de ses dents en place, et surtout celles de son écuyer. La solution pacifique était hors de question et le chevalier était de toute façon bien trop ivre pour avoir l'habileté nécessaire à éviter les coups, aussi il renfila ses gants et s'empressa de rendre la pareille aux quelques gueux qui voulurent lui chercher noise. Rien de très glorieux, mais du coin de l’œil, il ne put s'empêcher de constater que Loup se débrouillait aussi plutôt bien et que le garçon avait solidement mis à profit les bagarres qui éclataient parfois entre jeunes gens à Rosépine.

          Non sans regrets, Guillaume défit l'agrafe de son manteau, le jeta en travers de la figure d'un posvanien un peu trop entreprenant, avant de s'en servir pour l'immobiliser et lui cogner la tête sur un bord de table, assez de fois pour que le malandrin se le tienne dit, et que le beau drap outremer se trouve tout taché de sang. Un vêtement de gâché, et ce ne serait pas le dernier, à n'en pas douter, parce que si pour le moment on s'en tenait encore aux armes traditionnelles de ce genre d'activité sportive impromptue, Guillaume se doutait bien que tôt ou tard quelqu'un sortirait le couteau et que les choses prendraient un tour autrement plus dramatique. Il n'y avait pas encore l'ombre d'une larme sortie, fort heureusement, parce que lui et ses compères n'avaient rien de plus solide à opposer à quelques pouces d'acier entre les côtes que leurs gambisons et leurs pourpoints.

          Fort heureusement, ils s'étaient trouvés assez proches de la porte pour y parvenir avant que les choses ne dégénèrent trop, mais celle-ci était pour le moment bloquée par le posvanéen qui avait tant attiré l'attention sur lui précédamment, très occupé à résister aux deux lourdauds qui lui faisaient goûter quelques châtaignes à la mode de chez lui. Un mauvais mélange d'adrédaline et d'alcool, autant que la scène pour le moins pathétique, fit perdre patience à Guillaume qui, avant même de réfléchir, s'empara d'un tabouret dont il se servit pour faire place nette devant lui et expédier le plus proche des assaillants au tapis. Il en joua plusieurs fois encore pour empêcher ceux qui étaient à terre de se relever, mais vit trop tard que le dernier avait délaissé un instant son précédent partenaire de casse-nez.

          Le coup le prit en plein dans la mâchoire et le sonna un instant. Ce n'était clairement pas le premier de la soirée, et il avait déjà la lèvre fendue qui lui ruisselait sur le menton, ainsi que diverses contusions et coupures ; le choc réveilla une vilaine douleur qu'il traînait depuis que ce diable de Thoréen lui avait fait sauter deux molaires, ce qui acheva de le mettre tout à fait de mauvaise humeur. Il tituba en arrière, cracha une goulée de sang au mauvais goût de vinasse et se rattrapa à l'un de ses compagnons restés derrière pour protéger Loup de quelques projectiles à la trajectoire approximative, le temps que le chemin se libère jusqu'à la sortie.

          L'autre en profita pour récupérer un pied de chaise qui gisait à portée, et, le soupesant comme une masse, entreprit de profiter de l'instant d'étourdissement pour rouer le néréen de coups. Guillaume ne le laissa pas profiter de sa chance bien longtemps et le prit à bras le corps, profitant d'être bien plus grand que lui, faute d'être plus lourd, et lui arracha son arme improvisée pour la lui bloquer sous la gorge. D'un mouvement brusque, il le fit pivoter face à la porte tout en veillant à lui écraser convenablement la gorge, sachant bien que lui même ne pourrait tenir très longtemps. L'autre se débattait comme un beau diable, si bien que le chevalier tenta le tout pour le tout en s'égosillant à l'adresse de l'homme qu'ils avaient tant tenu à bastonner quelques instants auparavant. Il allait bien vouloir prendre une petite revanche, non ? Et puis s'il pouvait libérer la sortie par la même occasion, tout le monde aurait son compte.
          Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Sam 28 Juil - 8:47
          Tódor Ujváry
            Tódor Ujváry
            Vagabond
            Chaque coup sourd sur sa carcasse était donné avec l'envie de blesser, et Tódor savait qu'il ne tiendrait pas longtemps ce rythme barbare. Acculé contre la porte, ses tentatives de ripostes étaient limitées, et ses parades se faisaient de moins en moins efficaces, tant et si bien qu'il ne sut éviter le coup qui lui entailla la pommette droite. Il apparaissait au bord de la rupture, lorsque l'un des Durdiniens s'affala au sol, à la surprise du marteleur et du martelé. Libéré d'un adversaire, puis de deux lorsque le second se tourna vers la nouvelle menace, Tódor tentait de reprendre ses esprits et d'oublier la douleur lancinante qui parcourait son corps meurtri. Etre lardé de phalanges en folie était loin d'être aussi amusant que dans son souvenir, lorsqu'il mordait la poussière face au géant Henrik dans les célébrations d'après-bataille.

            Il vit son sauveur maraver proprement le Durdinien qui l'avait malmené. A son allure, ce devait être un guerrier, l'épée pendant à son côté ne faisant que confirmer son statut. Mais en jetant un oeil en-dessous des genoux, Tódor remarqua également les éperons d'or que portait le spadassin. Nul doute n'était alors permis, il avait devant lui l'élite d'une quelconque seigneurie. En ne reconnaissant pas son blason, il assuma qu'il n'était pas Posvanéen. Un avantage, peut-être. Ou peut-être pas.
            Une fois resaisi, Tódor découvrit le chevalier en train d'étrangler son adversaire durdinien, et de s'apprêter à défoncer la porte de son malheureux frontal. Instinctivement, Tódor s'écarta de la porte tout en s'agrippant à la poignée, l'ouvrant du même coup. Alors que le chevalier lançait en avant sa victime, Tódor jeta son pied en avant afin qu'il trébuche devant l'entrée, avant d'effectuer un vol plané sur un bon mètre, peut-être plus, retombant comme un sac de carottes sur le sol boueux devant lui. La victoire avait un goût sûrement plus agréable que la terre dans la bouche de l'ennemi vaincu, et pourtant, en risquant un regard vers l'extérieur, Tódor fut saisi d'effroi.

            Au dehors, un groupe de miliciens patrouillait calmement dans la ville. Ils furent sans doute alertés par le bruit éclatant de la bataille que se livraient les poivrots dans la taberna, car leurs yeux étaient à présents rivés sur la porte, mais plus précisément sur le corps étalé devant. Ce dernier, loin d'avoir dit son dernier mot, se releva lourdement pour faire face aux vigiles, montrant son hideux faciès maquillé de poussière. Pointant d'un doigt accusateur l'intérieur du bâtiment duquel il avait été si violemment expulsé, il beugla d'une voix cassée :

            - C'est eux qu'ont commencé !



            De Charybde en Scylla [Libre] Xsym


            Tódor grommela.

            - Ha, ça pue...


            Il rabattit la porte d'un brutal coup de pied, se tournant vers son sauveur. Apparemment, l'ambiance s'était encore plus détériorée. Le chevalier devant lui n'avait pas l'air d'être fort content. Après tout, l'entrée était désormais bloquée par un sergent et quelques hommes d'armes, tandis que devant lui se trouvait la raison de tout ce tapage. Tódor avait intérêt à la jouer fine pour s'en sortir cette fois-ci.
            Tout en traînant une chaise pour bloquer la porte aux représentants de la loi, le Paludéen déchu tenta de calmer son nouvel opposant, qui l'avait aidé il y avait de cela une minute.

            - Messire, l'heure n'est plus au conflit ! La sortie est occupée, mais il y a sans doute une autre issue !

            Tódor espérait que la promesse d'une sortie ferait oublier à cet homme la fureur du combat. Il surenchérit, afin de paraître plus digne de confiance :

            - J'engage ma parole que nous pouvons sortir d'ici en évitant la milice. J'ai beau ne pas en avoir l'air, mais j'ai moi aussi reçu l'accolade. Cet homme peut en témoigner !

            Il pointa Csábá du doigt, qui avec ses Posvanéens avait réussi à reprendre l'avantage dans la taberna. Les Durdiniens avaient été maîtrisés par le nombre et gisaient un peu partout sur le sol en gémissant.

            Tódor savait que la parole d'un homme de peu était sans doute dérisoire pour le jeune chevalier qui se tenait devant lui. Pourtant, il s'agissait de sa dernière défense...
            Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Lun 30 Juil - 3:08
            Guillaume de Mornoie
              Guillaume de Mornoie
              Chevalier
              L'ouverture, tant littérale que figurée, qu'offrit le posvanéen à Guillaume fut une trop belle occasion pour ne pas en profiter. Dès que l'huis fut ouvert, il héla ses compagnons d'une clameur emplie d'une joie furieuse et ce furent pas moins de trois pieds bottés et éperonnés qui propulsèrent son adversaire d'un fort bel élan, jusque dans la ruelle. Le concours bienvenu d'un croc en jambe acheva la manœuvre de fort belle façon, et il en aurait ri s'il n'avait aperçu, dans l'éclat de lumière jeté par la porte ouverte, le reflet des cuirasse d'une compagnie du guet.

              Guillaume poussa une longue bordée de jurons à faire rougir un charretier, et se signa tout aussitôt, machinalement, comme il le faisait chaque fois que le blasphème lui venait à la bouche - autant dire que c'était devenu une habitude bien ancrée. Derrière lui, ses compagnons avaient réussi à s'extraire de la mêlée, fut-ce au prix de quelques blessures, et il fallut se défaire d'un autre assaillant trop hardi : le temps de s'en dépêtrer, l'objet du litige nocturne avait déjà barré la porte, craignant sans doute bien plus qu'eux de se retrouver nez à nez avec les gens d'armes de la ville.

              Guillaume essuya son visage d'un revers de main et cracha le sang qui lui remplissait la bouche, avec sa mine des mauvais jours : non qu'il en voulut personnellement au posvanien, mais enfin, se tenir entre lui et la sortie n'était pas exactement la meilleure idée qu'il eut pu avoir, surtout s'il tenait à se pas se faire plus d'ennemis qu'il n'en avait déjà.

              - Ôte-toi, lança-il en haussant la voix pour couvrir le vacarme ambiant.

              Il n'avait pas particulièrement cherché à être aimable -sa patience était déjà mise à rude épreuve- et l'ordre parut sans doute plus menaçant qu'il ne l'aurait voulu, mais à vrai dire, il n'en avait cure. L'important étant simplement de se sortir de là avant que tout ne dégénère irrémédiablement.

              Un soupçon d'étonnement fila sur le visage du néréen quand le soudard lui assura être aussi gentilhomme que lui : ou bien mentait-il éhontément, ou bien avait-il connu de sévères revers de fortunes, lui qu'on avait appelé capitaine un moment plus tôt. Il se rembrunit aussitôt, ne cherchant même pas à savoir qui pouvait être le témoin attestant de son honneur : l'ivresse et la colère lui brouillaient l'entendement plus qu'à l'ordinaire.

              - Mais que m'importe ? S'écria-il avec emportement. Si tu es vraiment ce que tu prétends, prends ton honneur à deux mains et va au-dehors réfuter ceux qui nous accusent ! Qu'es-tu donc pour fuir de la sorte ?

              - Messire, protesta Loup qui avait refait son apparition près de lui, se frayant un chemin parmi les autres. Je suis d'avis de le suivre, le guet n'aimera pas le tapage et nous y sommes mêlés. J'ai mieux à faire que d'aller croupir en geôle !

              - Ôte-toi, répéta Guillaume, un ton plus bas.

              Son écuyer renonça en levant les yeux au ciel avec un gémissement rageur. Il connaissait assez son cousin pour savoir qu'une fois martel en tête, il était plus simple de détourner le cours d'une rivière ou d'ordonner à la marée de faire demi tour. Guillaume pouvait être accusé d'avoir les moeurs légères sur bien des aspects, mais il y en avait d'autres sur lesquels il ne transigeait pas : son honneur de chevalier en faisait partie, et il refusait sans surprises de s'éclipser comme un voleur.
              Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Ven 3 Aoû - 7:45
              Tódor Ujváry
                Tódor Ujváry
                Vagabond
                Apparemment, le chevalier se tenant devant Tódor n’était pas prêt de s’éclipser par la petite lucarne. Enhardi par ses éperons et quelques verres de vin, il refusait catégoriquement de trouver une autre sortie, au grand dam du Paludéen. Malgré les autres membres du groupe plus favorables à une sortie par la porte arrière, l’autre soutenait mordicus qu’il fallait ouvrir la porte aux miliciens pour se dédouaner de toute responsabilité. Une entreprise vouée à l’échec, connaissant les brutes de la milice. Depuis que les fêtes secouaient Evalon et que des débordements occasionnels survenaient d’un bout à l’autre de la capitale, les hommes du guet étaient à cran et bien remontés contre les fauteurs de troubles.


                Tódor rétorqua alors :


                - Doutez donc que le soleil puisse se coucher et la lune se lever. Mais ne doutez jamais de mon honneur, chevalier. Sortez à votre guise au dehors, je ne vous retiendrai pas. Attendez-vous seulement à ce que les hommes derrière cette porte soient plus têtus et moins compréhensif que vous. Que les Trois vous guident, messire.


                S’il ne pouvait le raisonner, au moins l’aurait-il prévenu. S’écartant doucement de la porte, le regard toujours rivé sur l’homme l’ayant sauvé, il se dirigea finalement à grands pas rapides vers Csábá et son petit attroupement de posvanéens, occupés à finir leurs bières avant que la milice ne se pointe. Cette vieille morille de tourbier tourna alors sa tête barbue vers lui en se fendant d’un sourire énigmatique, et Tódor se demanda s’il avait bien fait de venir le voir après cette échauffourée… Csábá coassa alors :


                - Tamas me soit témoin, j’trouve que z’êtes coriace, capitaine.


                Tódor s’arrêta devant la Morille, cherchant un signe quelconque d’animosité ou de duplicité dans son regard, ses attitudes. Et pourtant, calme comme la falaise sur laquelle s’écrase les vagues, Csábá ne semblait pas dérangé par les martèlements des miliciens dehors.


                Car oui, la patrouille était à la porte, et découvrait à présent qu’elle était bloquée. Une voix rageuse s’échappait de derrière :


                - Ouvrez ! Je l’ordonne, ouvrez !


                Pas de « Au nom de l’Empereur », non. Après tout, il n’y avait plus d’empereur, ou d’impératrice, et ce depuis la Grande Peste. Les gonds de la porte se faisaient de plus en plus lâches, et la porte céderait bientôt, à moins que les chevaliers devant elle ne soient enclins à retirer ce qui la bloquait pour précipiter l’entrée des troupes. Tódor s’humecta les lèvres et dit :


                - Csábá, mène-moi vers la sortie.


                La Morille accepta d’un hochement de tête, se dirigeant vers l’arrière-boutique.


                - Au fait, j’suis désolé pour votre famille et vot’ chez-vous.


                Des souvenirs que Tódor balaya aussitôt de son esprit, car il n’était vraiment pas le moment de penser à des choses aussi horribles. En ouvrant la porte dérobée derrière les caisses que le propriétaire avait sûrement empruntée, Csábá continua :


                - On est pas tous du côté du Boîteux. Les purges de Ferenc sont mauvaises. Bon vent, cap’taine. Áldás à vous.


                Tódor se glissa derrière la porte en regardant une dernière fois en direction du groupe de chevaliers. Il demanda rapidement à son comparse :


                - Ne viendras-tu pas avec moi ?


                Il secoua la tête en souriant :


                - J’ai de bons copains dans le guet. Ça d’vrait aller pour moi. Vous en r’vanche… filez !
                Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Jeu 30 Aoû - 19:06
                Guillaume de Mornoie
                  Guillaume de Mornoie
                  Chevalier
                  Guillaume ne put retenir un sourire, étrangement sarcastique, quand l'homme lui rétorqua assez vertement. Finalement, peut-être qu'il disait vrai. Il le dévisagea un instant, et dans un bref moment volé à l'agitation qui s'était emparée du lieu, quelques détails éloquents lui sautèrent aux yeux : l'éclat du regard, le ton, l'aplomb très digne qu'il y perçut brièvement et qui vinrent contredire l'allure un peu miteuse du posvanien. Le chevalier avait passé sa vie au milieu de ces gens-là, et c'était comme si on ne pouvait jamais vraiment cesser d'être un soldat, et que malgré les coups du sort et les revers de fortune, la discipline et l'honneur leur rentrait dans la chair pour ne plus jamais s'en ôter. C'était dans son attitude, dans la façon dont il le mit en garde, dans tout cela, une impression indistincte qui le poussèrent, à travers sa propre colère et son ivresse, à comprendre qu'il disait sans doute vrai.

                  Il regretta presque d'en savoir bien trop peu sur ce qui se passait à Posvany pour avoir une idée de ce qui se tramait là, et de la raison pour laquelle celui-là avait attiré à ce point l'ire de tous les autres.

                  - L'avertissement est dûment noté, camarade, répliqua-il avec un hochement de tête.

                  Le reste des chevaliers et des comparses de boisson du néréen s'était regroupé près de la porte, qui fut bien vite débarrée avant que les sergents du guet ne la défoncent complètement. Les hommes d'arme déboulèrent en trombe, et Guillaume jeta un regard par-dessus son épaule en se demandant si le posvanien s'était décidé à filer, tandis que Loup jurait tout ce qu'il pouvait entre ses dents, nerveux comme une biche aux abois, tirant sur son surcot pour se donner un peu plus de contenance.

                  La fine fleur de la délicatesse martiale d'Evalon eut tôt fait de se ruer sur les lieux, mais celui qui les commandait s'arrêta net devant le bloc compact des chevaliers : il fallait être aveugle pour ne pas voir qu'on n'avait pas là affaire aus premiers paysans venus. L'homme qui avait mordu la poussière s'égosilla de plus belle, et, mi geignard mi furieux, s'en prit à Guillaume et prit les gardes à témoin. Pour sa part, le néréen se retint de lui faire ravaler à nouveau ses paroles, et quand il fut sommé de s'expliquer - rare privilège de la noblesse, sans quoi on l'aurait rossé comme un malpropre, probablement - il le fit avec cette sorte de calme trompeur qu'ont les volcans sur le point d'exploser. Il se contenta d'exposer les faits : nombreux étaient ceux qui avaient été pris à partis par un camp ou l'autre, après que les posvaniens et leurs voisins aient décidé de s'entre-cogner avec allégresse, et lui comme les autres n'avaient faits que se trouver au mauvais endroit, à un moment délicat. On ne pouvait leur reprocher de s'être défendus et pour preuve de sa bonne foi, il fut rappelé que c'étaient les chevaliers qui avaient ouvert à la garde, au lieu de s'enfuir comme des voleurs.

                  A la toute fin, il n'y avait plus rien d'autre que leur honneur et leur parole de gentilshommes pour attester de la véracité de leurs dires. Comme il en était coutume en cas de pareils litiges, Guillaume et quelques autres proposèrent tout naturellement un dédommagement en espèces sonnantes et trébuchantes à l'homme qui avait été lésé.
                  Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─ Jeu 6 Sep - 7:30
                  Tódor Ujváry
                    Tódor Ujváry
                    Vagabond
                    En sortant par la petite porte, Tódor resta un instant à l’affût d’un possible second groupe de gardes qui aurait décidé d’encercler le bâtiment. Tel un renard dans un fourré, il se dissimula dans l’ombre, les yeux glissant d’un coin de la rue à un autre. Lorsqu’il fut sûr que la ruelle était vidée, il sortit de sa cachette pour trotter jusqu’à une seconde venelledéserte, qu’il emprunta en réduisant son allure. Il la passa et déboucha sur une plus grande artère, qu’il remonta paisiblement en marchant, croisant à l’occasion un ou deux membres du guet qui le regardaient, sans doute à cause de ses bleus. Mais en évitant de les regarder, rien ne pouvait lui arriver.


                    Pourtant, fut un temps où c’étaient les gens du commun qui évitaient son regard, et le saluaient tant pour sa bravoure que pour son intégrité. Les mots du chevalier, en cette soirée chaude et mouvementée, avaient fait mouche. A l’époque, les grands et les petits louaient encore sa bravoure, sa justesse et son intégrité. Jadis, son nom était honoré, et des godets se levaient souvent à sa santé. Quel genre d’homme était-il à présent, à fuir dans le noir comme un vulgaire voleur ? Ses éperons avaient beau être couverts de boue, n’étaient-ils pas faits d’or au-dessous ?


                    Qu’est-ce que le monde a fait de moi ?


                    Une rage sourde naquit dans ses entrailles. Une tenaille lui triturant les tripes, titillant son intérieur qui le tançait de sa pleutrerie. Trop longtemps contenue, trop longtemps contrôlée, elle menaçait de poindre et de conquérir son corps. Il était dur de tenir. Une faim dévorante lui mangeait les intestins, et menaçait de s’en prendre à son cœur. Pongrác était là, juste devant lui. Sans sbires pour le retenir, Tódor pouvait aisément le maîtriser, et lui ouvrir le crâne avec une pierre. Dans ses rêves les plus fous, lorsqu’il tombait de sommeil comme une masse après une dure journée de labeur pour un maigre sou, il le tuait chaque nuit. Et chaque matin, il priait les dieux de ne jamais plus refaire ce songe.


                    Remontant les rues vers l’alberge où sa fille l’attendait, l’air frais du soir commençait doucement à le calmer. Il devait se concentrer sur le lendemain, trouver du travail. Oublier cette folle nuit au cours de laquelle il s’était pris pour celui qu’il fut, et plutôt penser à son enfant qu’à l’honneur des morts.


                    Il jura néanmoins la perte de Pongrác, et la chute de Ferenc.


                    Qu’es-tu donc pour fuir de la sorte ?


                    - L’ombre d’un chevalier.


                    Un spectre sans nom, à la recherche de son corps roidi et sans vie. Ce n’est que lorsqu’il le retrouverait finalement que, dans un souffle lui brûlant les poumons, il pourrait poser ses yeux sur son meurtrier aux cheveux d’or, et l’étrangler jusqu’à la mort.
                    Re: De Charybde en Scylla [Libre] ─
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