Re: [RP libre] Mauvaise graine dans les quartiers riches. ─ Lun 12 Nov - 12:08
Ce que fit la jeune pie pleine d’astuce prouva deux choses à Tódor : la première, c’est qu’elle était débrouillarde et réactive. La seconde, que ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce genre de chose. Il observa la bourse voler en direction des mains de son propriétaire légitime, avant de la voir tomber par terre en répandant son contenu avec moult tintements, qui ne manquèrent pas d’attirer les oreilles des plus avares dans la salle. Il vit ensuite la grasse victime se vautrer au sol comme un cochon plongeant vers son auge, à la rechercher de chaque piastre qu’il pouvait récupérer de ses doigts boudinés et encore luisant de la graisse du poulet qu’il venait de dévorer.
La demoiselle aux dons si particuliers murmura alors à Tódor de la retrouver à l’étage. Il la regarda prendre une des bourses et s’éloigner de la table, tandis que le gérant bravait la foule pour venir voir ce qu’il se déroulait. Il observa son vigile avec un mélange de dédain et de suspicion, car cela ne faisait guère plus d’une semaine qu’il l’avait engagé. Très abrupt, il dit :
- Que se passe-t-il ici ? Mika ?
Mika était le nom que Tódor utilisait à Evalon. Son passé risquant de le compromettre, il avait pris l’habitude de se faire passer pour quelqu’un d’autre, un simple réfugié posvanéen. Il répondit avec une assurance qu’il trouva très dérangeante :
- Messire ci-présent a perdu sa bourse…
Le tavernier baissa le regard vers son bedonnant client en train de racler le sol comme une charrue creusant des sillons. Il regarda ensuite Tódor et lui rétorqua, toujours avec ce ton menaçant :
- Je t’ai donné ta chance, Posvanéen. T’as pas intérêt à me faire regretter ma décision.
C’est seulement lorsque le gérant de l’établissement s’éloigna que Tódor s’autorisa à respirer. Il posa son regard sur la bourse restante, bien portante et fournie, comme un enfant que l’on aurait trop nourri et qui serait devenu potelé. Une froide colère s’empara peu à peu de lui, alors qu’il se relevait avec lenteur. Il prit la bourse, puis chercha du regard son propriétaire. Il le voyait tourner en rond comme un lion en cage, cherchant maladivement son trésor perdu. Tódor se porta à sa hauteur et lui tendit la bourse quand il se tourna vers lui d’un volte-face rageur.
[b]- Est-ce à vous, messire ?[/b]
La réponse cinglante de cet homme lésé mourut en même temps qu’il posa ses yeux luisants sur l’objet de ses convoitises. Son regard fit plusieurs fois l’aller-retour entre Tódor et la bourse, tantôt avec joie, tantôt avec des soupçons. Tódor dit simplement :
- Prenez garde la prochaine fois, sire. Certaines âmes sont moins intègres que moi, céans.
L’homme ainsi délesté retrouva fort vite sa bourse, qu’il cacha dans un recoin de sa veste. Il sourit à son sauveur, comme s’il venait tout à coup de se rendre compte qu’il avait une personne devant lui. Avec un bref hochement de tête, il dit joyeusement :
- Qu’il est bon de voir qu’il y a encore d’honnêtes gens parmi le peuple. Les Trois te bénissent !
Il se signa, et repartit sans rien donner de plus à Tódor qu’une bénédiction et un sourire. Si cela suffisait à son âme, son corps aurait espéré un peu plus… Il se tourna alors vers l’escalier, au-dessus duquel la pie devenue vipère s’était réfugiée avec son larcin. Une voix s’éleva depuis son dos :
- Où est-elle ? Où est-elle la garce, que je lui tranche les oreilles ?!
Tódor se retourna pour voir le malheureux client ventripotent debout, et qui avait fini de ramasser ses deniers. Il avait le visage crispé par la haine et les naseaux frémissant. Tódor se dit alors que cette histoire était loin d’être terminée. Le lourdaud le désigna :
- Toi, tu l’as aidée !
Il répondit avec un sérieux à toute épreuve.
- A quoi, monseigneur ?
- A me voler ma bourse ! Cette gamine m’a délesté, et toi tu l’as aidée !
Tódor s’apprêtait à réfuter ces accusations, lorsqu’il entendit la voix de l’autre homme dupé qui se présenta à côté de lui.
- Allons Carcarelle, c’est le vigile. Il ne t’a pas volé ta bourse voyons. Regarde, il m’a rendu la mienne !
Le dénommé Carcarelle plissa les yeux en reconnaissant son comparse, et s’humecta les lèvres.
- Et la fille ? Une ribaude en mal de larcin ! Haaaa, la larcineuse !
Tódor secoua la tête.
- Que nenni, noble sire. Je vous assure que sa démarche était tout à fait honnête. Tout comme l’était la mienne.
Carcarelle jeta un regard noir à Tódor, puis riva ses yeux de merlan sur son ami et demanda :
- Pourquoi lui ferais-tu confiance, Ralugson ? Il avait ta bourse en main !
Le dénommé Ralugson acquiesça.
- Parce qu’il me l’a rendue alors que je lui tournais le dos, Carcarelle. Je me porte garant de cet homme. Allons, viens, je n’ai pas encore assez bu ce soir.
Il passa une main sur l’épaule de son gras compagnon et tous deux se dirigèrent vers une table en discutant prix, affaires, et ragots concernant les hauts personnages de la ville.
Tódor se retourna d’un coup, et fila vers l’escalier, une main serrant le pommeau de son épée pour éviter qu’elle ne tremble de colère. Il grimpa les marches quatre à quatre, arrivant fort vite sur le palier menant à l’étage. Une fois en haut, il tourna la tête de droite à gauche, avant de se rendre dans la chambre dont la porte était entrouverte. C’est là qu’il la trouva… Et sa colère explosa au moment où il ferma la porte. Il la claqua d’un seul coup ferme, et fracassa son poing sur le mur en rugissant d’ire et de douleur. Tódor n’était pas connu pour perdre patience, et lorsqu’il le faisait, c’était souvent fort spectaculaire. Il pointa du doigt la pie qui se trouvait devant lui, tandis qu’un filet de sang s’échappait de l’une des jointures rougies de sa main meurtrie.
- Toi !
Il avait les yeux presque déments.
- Tu crois que tu es toute seule dans ce monde ? Tu crois que jouer ainsi n’a pas de conséquences ?
Son doigt tendu se posa avec fracas contre sa poitrine.
- Tes pitreries risquent de me coûter ma place ici ! Une place que j’ai eu des difficultés à me procurer, et que je ne veux perdre pour rien au monde !
Il avait son autre main posée sur sa dague, menaçant.
- J’en ai plus que marre de jouer les redresseurs de torts ! Tu vas me donner cette bourse tout de suite, ou je la prendrai de force.
Il se trouvait entre elle et la porte. Sa colère avait tendance à retomber très vite, mais la jeune voleuse pouvait voir qu’il était encore secoué par le courroux, la bouche encore écumante et les traits encore crispés dans une sombre grimace.