Histoire
Il faisait froid, sombre, c’était une période peu aimée de la population. Une période où le froid devenait parfois glacial, où la température chutait assez pour que la pluie se transforme en flocons brillants. La seule période de l’année où on enfilait les vêtements les plus chauds qu’on ait, où on se couvrait correctement pour ne pas tomber malade. Un rhume pouvait entraîner des complications, vous vous en doutez, à cette époque. Alors les gens s’arrangeaient pour couvrir les enfants le plus possible quand ils sortaient, et limitaient d’ailleurs ces sorties. Ils ne voulaient pas qu’une maladie, même la plus inoffensive, ne vienne prendre leur enfant si cher à leurs yeux, cela ne peut que se comprendre. Parmi toutes ces personnes, tous ces parents attentifs au bonheur de leur famille, il y en a qui sont plus aisés. Les Dupont font partie de ces gens, de cette petite partie de la population qui ne craint pas vraiment de se retrouver à court de vêtements chauds, ou de bouillon pour soigner la toux. Oui, les Dupont, originaires de Néra, sont une famille de bourgeois, où la joie et la chaleur sont bien présentes dans leur maison. Une bien belle maison, d’ailleurs, qui trahit sans gêne leur richesse.
Elle ne possède pas le luxe d’un château, ni le style d’une villa, mais elle a un certain charme. Plus grande que les autres maisons environnantes, elle est un peu à l’écart de la ville. Une petite barrière en bois délimite leur propriété, et leur jardin est toujours bien propre et soigné. C’est Mme qui jardine, qui cuisine, qui fait le ménage, tandis que Mr est forgeron dans son petit village. C’est le meilleur à la ronde, du moins c’est ce qu’on dit, et il n’en est pas peu fier. Il travaille toujours avec attention, précision, et même si ses prix sont un peu élevés, il ramène assez de clientèle pour appartenir à la catégorie des bourgeois. Il est probable que l’héritage de ses parents ont aussi dû aider, mais rien n’est vraiment assuré. Quoi qu’il en soit, ce couple alors sans enfant vit heureux dans sa belle maison, faite en pierres, et coule des jours tendres et emplis d’amour. Mais, comme vous le savez, il n’y avait pas de moyen de se protéger à l’époque. Et c’est ainsi qu’un beau mois de printemps, la jolie femme tomba enceinte. Justine, car c’est ainsi qu’elle se nommait, ne s’en aperçu qu’au bout de quatre mois, quand elle eut pris du ventre.
Et donc, cinq mois plus tard, une jolie petite bouille pointait le bout de son nez. Une petite rouquine, comme sa maman, qui ne pesait pas plus lourd qu’un moineau anorexique. Enfin, elle était toute petite, vous avez saisi l’idée. Bref, tout ça pour dire que leur famille s’agrandit au mois de décembre, avec l’arrivée de Jade. Elle était le clé de leur bonheur, ils faisaient leur maximum pour qu’elle grandisse dans la chaleur d’un foyer aimant, même lors des journées froides d’hiver. Ils étaient dévoués à leur famille, soudés et forts comme des rochers. Justine et son mari, Pierre, avaient une éducation très stricte, fondée sur le respect des personnes âgées, l’altruisme et l’apprentissage des bonnes manières. C’est ce qu’ils enseignèrent à leur fille, durant les trois premières années de sa vie. Elle apprenait les valeurs qui la rendraient assez forte pour affronter la vie, mais sans être une personne sans cœur. Cela lui réussit bien, parce qu’elle arrivait à se faire aimer des autres, et elle commença à dire ses premiers mots à ses 27 mois. Trois ans qui furent calmes, en somme.
Puis elle commença à articuler des mots entre eux, éduquée chez elle tantôt par sa mère, tantôt dans la petite école du coin, tenue par un prêtre. Mais bon, elle apprenait à parler, à comprendre le monde qui l’entourait, avec une patience et une douceur qui caractérisait bien sa mère. Ainsi, elle passa encore trois bons hivers à étudier chez elle, entourée de sa mère qui la couvait en craignant qu’elle ne tombe malade. Mais rien de mal ne lui arriva, et elle apprit toutes ses connaissances par le biais de ce prêtre, qui lui transmis les récits et les légendes par voie orale. Elle avait donc une bonne mémoire sensorielle. Elle n'avait pas beaucoup accès aux écrits, en dehors des rares bouquins qu'elle pouvait prendre à l'école. Elle en empruntait, de temps en temps, et sa mère lui apprit à lire, à compter, les différentes bases de la vie. Quoi qu'il en soit, elle eut une connaissance assez étendue, grâce au prêtre. Nous ne les évoquerons pas, vous êtes libres de faire comme elle et d’apprendre ce qu’il s’est passé avant, sur l’immense territoire où elle vit.
Son enfance fut bercée d’apprentissages en tout genre, allant de l’érudition jusqu’au maniement – minime – d’une arme blanche. Elle aimait bien prendre un poignard et s’entraîner à le lancer dans la terre, dans un endroit où personne ne risquait de se faire embrocher. Toujours sous l’œil attentif de son père, qui faisaient attention à ne jamais lui donner d’arme qui pouvaient la blesser. Bien souvent, la lame était faite de sorte qu’elle ne coupe pas, et la pointe était suffisamment fine pour entrer dans le sol, mais pas assez pour couper. Lorsqu’elle eut 10 ans, ses parents lui achetèrent un chiot, un compagnon dont elle ne se séparait jamais. Elle jouait avec lui, elle le dressa pour qu’il n’obéisse qu’à elle, et elle en fit ainsi son meilleur ami et son allié. Il n’était pas méchant, ne montrait les dents que si elle lui demandait, et allait même jusqu’à se laisser brosser sans rechigner. Elle avait lié une solide amitié avec lui, on les comparait souvent à un binôme. Et elle ne s’en plaignait pas, elle adorait avoir ainsi un ami, un compagnon, avec qui jouer et faire les fous. Elle était encore jeune, après tout.
Elle continua de grandir dans cette même atmosphère, jusqu’à l’an dernier. La maladie se mit à frapper sur tout le continent, affolant alors les habitants qui se mirent à se cloîtrer dans leurs maisons. Ce fut aussi le cas chez Jade, qui se retrouva alors contrainte de vivre uniquement à l’intérieur, avec les moyens du bord, en espérant ne pas être touchée par la Peste qui sévissait totalement au hasard dans le pays. Elle espérait ne pas être atteinte, mais aussi que personne autour d’elle ne le soit. Elle se plia sans rechigner aux exigences de ses parents, arrêta de lire et finit par rester chez elle. Son père lui-même arrêta de travailler, se reposant sur leurs provisions, ils ne voulaient pas prendre le risque de tomber malade et de contaminer leur famille. Je l’ai dit, ils étaient soudés et forts, rien ne les séparerait. Et, comme par un miracle inexplicable, ils furent épargnés. Autour d’eux, des tas de personnes pleuraient la perte d’un frère, d’une mère ou d’un enfant, mais pas eux. Cela ne les empêcha pas de tendre la main, d’essayer d’aider leurs voisins à se reconstruire, même si ce fut dur.
Quelques mois passèrent, où ils essayaient de reprendre un train de vie normal. Ils y arrivèrent presque, le père reprit à travailler, la fille put de nouveau sortir avec son compagnon à quatre pattes, et elle eut même son premier cheval. Elle enchaîna alors les promenades dans les champs avec ses deux animaux, profitant de ses journées sans vraiment travailler, mais en ramenant chez elle du poisson, ou bien des baies qui pourraient accompagner un bon petit plat cuisiné par sa mère. Malheureusement, cela ne dura qu’un temps. Ils avaient échappé à la maladie, mais ce fut bientôt un autre problème qui survint. L’entreprise de Pierre fleurissait, et les ragots disaient qu’ils roulaient presque sur l’or. Cela tomba dans l’oreille d’un voleur, un homme vicieux qui désirait devenir riche. Et, bien évidemment, il sévit en pleine journée, alors que la jeune femme n’était pas là. Quand elle rentra, ce fut une scène de carnage qui s’afficha devant son regard. Du sang, partout, des tripes étalées dans la maison comme un message, et ses parents morts. Personne n’avait rien vu, vous vous en doutez.
Une rage sans nom naquît alors au fond d’elle. Elle maudissait tous ces voleurs, et surtout celui qui avait tué ses parents. Elle ne savait pas qui il était, elle n’avait aucun indice, mais elle se promit alors de le retrouver. Passant au dessus de sa répugnance, elle récupéra quelques affaires, des vivres, un peu d’argent qui était caché dans une boite à sucre, et enfin l’alliance de sa mère. Celle de son père ne fut pas retrouvée, par malheur. Elle attacha cette bague autour de son cou, grâce à une ficelle, avant de mettre le feu à sa maison. Elle brûlait cet endroit où la mort était présente, mais elle rendait aussi hommage à ses parents qui s’étaient toujours battus pour qu’elle puisse vivre confortablement. C’est ainsi que Jade Dupont, du haut de sa vingtaine d’année, se mit à la recherche d’un chevalier pour qu’elle devienne écuyère. Avec son cheval et son chien, elle partit. Ce-dernier rendit l’âme après 10 ans de bons et loyaux moments de bonheur, et elle lui réserva le même sort qu’à ses parents. Le feu emmènerait son âme au paradis, car là était sa place. Puis elle rencontra la compagnie des Endeuillés, qui étaient comme elle.