Re: [Terminé] La robe et l'armure ─ Sam 31 Aoû - 19:44
Guillaume de MornoieChevalier
Face, leurs visages affrontés, profils taillés dans la clarté du jour qui coulait par les croisées. Pile, le pas de danse, de dérobade en feinte, comme une joute d'épée où l'on fendait avant d'esquiver, d'un coup, d'un baiser, d'un mot à l'autre.
Guillaume lâcha un rire amer, et baissa les yeux sur elle, avec encore à la bouche le goût de la sienne, comme celui d'un vin qui s'attarde.
- Parce que vous me l'avez demandé, ma dame, lui répondit-il avec toute sa franchise coutumière. Je ne vous ai jamais menti, je n'ai jamais rien caché, et je ne pouvais avoir l'audace de vous dissimuler ceci.
Le coeur à nu, quand elle gardait toutes ses nuées. Il avait sa réponse, semblait-il, mais elle ne lui apportait soudain aucun réconfort, parce qu'il ne voyait que la plus intense tristesse dans les yeux de Tyssia, et l'écho d'un chagrin insondable qui lui fanait le visage et le verbe. Quelqu'un, quelque chose, qui ne disait pas son nom : une hantise en pavane, embusquée ça et là, et qui se montrait toute grande, toute profonde, sans jamais dire vraiment ce qu'elle était.
- Je n'ai pas songé un instant que cela puisse vous causer si grand trouble. J'y avais déjà renoncé, parce que j'ai cru que vous me ririez au visage, ou bien que vous me prendriez en pitié de m'éprendre de vous, fol que je suis. Je ne pouvais croire avoir l'heur de vous plaire. Au fond, je sais bien ce que vous dites : vous n'êtes point pour moi, et je ne suis point pour vous, nous voici sans doute bien trop différents pour cela. Je n'ai rien qui puisse vous satisfaire, et pourtant voilà que j'ai l'orgueil de vous désirer, vous que rien ne peut atteindre.
Et pourtant, voilà qu'il l'avait fait, lui, avec ses simples mots, avec... Quoi, au juste ? Des paroles de baladin, des mots de poète, des manières de gandin poussé dans la lumière et l'indolence d'une terre qui n'avait jamais autant souffert de la guerre ?
Ses doigts erraient dans les boucles noires de sa dame, en froissaient les mèches éparses. Ils glissaient sur son visage, éprouvaient le tranchant de ses traits, et le battement au fond de sa poitrine semblait chercher le sien, son poul, son souffle, comme si toute substance dont il était fait ne cherchait que l'écho de la sienne. Qu'elle était belle, qu'elle était triste, qu'elle était douce, cette tristesse au fond de lui, et le goût des choses à demi consommées. Il avait renoncé, déjà, mais il hésitait encore, sur le seuil, comme dans un moment de bascule où ils ne savaient tous deux que faire.
- En d'autres temps, je me serais battu, reprit-il, laissant sa paume errer le long de sa joue.
Il la regardait comme l'on contemple un souvenir, comme s'il voyait à travers elle l'homme qu'il avait été, celui qu'il aurait pu être, pour elle.
- Mais je suis las, ma dame. Je suis las d'aimer sans retour, de tout risquer, encore et encore. Je n'aspire qu'à la paix, et je sais que ce n'est point auprès de vous que je puis la trouver. Mais voici que je doute, contre toute raison.
Guillaume lui saisit les mains, les tint entre les siennes et chercha son regard. Il lui fallait lutter pour garder le fil de ses pensées, et ne pas se laisser noyer par sa seule présence. Lutter pour parler, chercher le bon chemin au milieu de la tourmente, faire ce qu'il fallait quand une partie de lui ne lui dictait rien d'autre de se plier à cette inflexion qui le guidait vers elle.
- Je vois bien que vous êtes en grande peine, reprit-il, et je devine que cette peine-là porte un nom, sans doute celui d'un amour qui vous fut cher. Je crois que nous avons tout deux trop perdu pour risquer encore, alors, cela en vaut-il vraiment la peine ? On peut aimer de bien des manières, alors, nous pourrons bien trouver la nôtre.