Une fois assuré qu’il le suivrait, Arnes s’autorisa un léger signe de tête, avant de dire :
- Fort bien. Suivez-moi.
Il fit volte-face et se dirigea d’un pas mesuré vers ses propres appartements. Sur le chemin, à travers les couloirs de marbre et de stuc, il n’échangea pas une seule parole avec le chevalier néréen. Seul le bruit des bottes contre le sol, amplifié par l’écho sur les murs nus, accompagnait le duo durant leur court traversée en direction des quartiers privés d’Arnes. La route ne fut pas longue, et ce n’est qu’après deux bifurcations seulement qu’ils arrivèrent en vue de la porte en chêne cachant les appartements du chevalier.
Il ouvrit la porte massive et s’enfonça dans son antre. C’était une pièce meublée de façon spartiate, connectée à une autre pièce à la porte close, et s’ouvrant sur un petit balcon. Dehors, la lumière était vive et la vue plongeait vers Evalon et ses quartiers, mais les relents de la ville n’atteignaient que ceux qui s’approchaient de l’ouverture béante. Arnes se dirigea vers une petite table, sur laquelle était posés une carafe et deux gobelets en argent. Il pointa la cruche du doigt en regardant Guillaume et demanda :
- Un peu de bière légère ?
Arnes se méfiait de l’eau comme de la peste, sans mauvais jeu de mot, et ce depuis les violentes coliques qui l’avaient presque terrassé lors d’une chevauchée dans la nature pendant laquelle il s’était arrêté pour s’abreuver à un petit courant. La bière qu’il proposait n’était guère plus que de la bière de table, mais il préférait ne pas boire de vin avant le soir.
Son invité acquiesça, et Arnes prit la carafe pour remplir les deux gobelets. Il prit le sien, et tendit l’autre à Guillaume, avant de prendre une petite gorgée de la boisson maltée. Elle était fraîche, et son goût était bien moins prononcé qu’une bière brassée dans une abbaye trimurtiste, mais elle désaltérait, et c’était tout ce qu’il fallait à Arnes en ces jours d’été si loin de son nord natal. Il reprit une petite lampée de bière, avant de poser son regard sur Guillaume à nouveau. Son irritation était toujours là, lorsqu’il se mettait à étudier son visage. Quelque chose chez cet homme lui déplaisait, mais il ne savait dire quoi. Il finit par dire :
- Vous devez vous douter pour quelle raison je souhaite m’entretenir avec vous ?
Il fit quelques pas vers le balcon, tenant toujours son gobelet d’argent, et s’expliquant tout en marchant.
- Les nouvelles vont vite, au sein de ce palais. C’est effrayant. Je n’imaginais pas qu’une si petite rumeur pouvait gonfler si vite, et ce même dans la demeure des plus grands princes d’Eurate. Je crois avoir sous-estimé les nobles de Mellila. Ou bien serait-ce les Néréens ? Je ne saurais dire qui sont les plus doués à ce jeu de courtisan.
Il reprit un peu de bière, le regard à nouveau posé sur Guillaume.
- Pas moi, en tout cas.
Il gratta sa joue barbue, avant de continuer.
- Je déteste les on-dits. Mais j’exècre plus encore ceux qui sont dirigés contre ma suzeraine. Aussi, j’irai droit au but avec vous, messire de Mornoie. Tout ceci n’est-il qu’une farce ? Ou est-ce la vérité ?
La dernière phrase avait un ton différent. Elle avait été prononcée de manière plus froide, et Arnes s’en rendit compte. Il chercha l’apaisement dans son esprit, en se répétant les quelques mantras apprises de longue date durant son séjour en tant qu’oblat de Nacre. Intérieurement, Arnes se tançait de réagir de manière si abrupte, alors qu’il avait souhaité cette rencontre sans heurt aucun.