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Courtoisie chevaleresque
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Courtoisie chevaleresque ─ Mer 11 Sep - 14:55
Arnes Folkmer
    Arnes Folkmer
    Chevalier
    Les nouvelles allaient vite. Bien trop vite.

    Adossé à un mur les bras croisés contre sa poitrine, Arnes attendait quelqu’un au détour d’un couloir. Il affichait un air stoïque, mais sous ses traits se dissimulait une certaine irritation. Des rumeurs couraient dans les couloirs, cocasses et croustillantes, comme à leur désagréable habitude. Une amourette, deux tourtereaux interdits… Une dame de haut rang, un chevalier aux yeux rieurs… Lorsque les on-dits démarrent, ils sont souvent insignifiants. Mais à mesure qu’ils se répandent, poussent en eux une graine corruptrice, répandant toujours et encore son fiel.

    C’était pourtant une rumeur tout à fait typique des gens d’Eurate. L’amour courtois reposait sur deux principes fondamentaux : une dame de rang trop élevé pour être séduite par un vulgaire banneret, et ce dernier prêt à tout pour séduire l’élue de son pauvre cœur. Tout ceci n’était qu’un pur produit de la littérature, une fiction pour jeunes gens en mal d’amour, pour poètes et bardes. Or, certains semblaient affirmer le contraire. Certains semblaient prêts à mettre à l’épreuve le roman courtois.

    Quand il avait appris la chose, Arnes ne l’avait pas cru. Il tenait en horreur les racontars, et n’avait fait qu’ignorer ce qui semblait n’en être qu’un de plus. Cependant qu’il grandissait, il parut rapidement difficile d’éviter d’y penser, alors même que l’attente du verdict des ducs le maintenait en ces murs froids et oppressants du palais. Il était passé du déni au doute, et du doute à la crainte. Crainte qui ne s’était pas encore confirmée, car Arnes avait une ultime impératif à effectuer avant de pouvoir affirmer tous ses soupçons.

    L’impératif, justement, apparut au détour du couloir, vomi d’entre les tapisseries et les armures. Arnes tourna la tête, et vit qu’il s’agissait bien de lui : ses cheveux blonds et bouclés, épaisse tignasse sous laquelle s’étirait un long visage aux yeux vifs, et à l’arrogance sans pareille.

    « Un vrai chevalier. »

    Juste avant qu’il ne le dépasse, Arnes se releva, faisant un pas vers l’avant. Il était vêtu d’un long gambeson de couleur foncée, d’un ceinturon de cuir et de chausses noires. Lorsqu’il fit son pas vers l’avant, ses bottes en daim résonnèrent dans le couloir. Il se tourna vers l’homme, le toisant avec insistance, mais toujours de son air détaché.

    Il prononça finalement :

    - Messire Guillaume de Mornoie ?

    Il avait faire son possible pour paraître poli. Après tout, il s’agissait ici d’un chevalier, un homme ayant reçu le même adoubement sous l’égide des Trois. Et pourtant, il n’avait pas fort envie de se plier au protocole, avec cet énergumène en particulier.

    - Je suis Arnes Folkmer, chevalier au service de Dame Tyssia. J’aimerais m’entretenir avec vous à propos d’une affaire… importante. Voulez-vous bien me suivre, sire ?
    Re: Courtoisie chevaleresque ─ Mer 11 Sep - 21:02
    Guillaume de Mornoie
      Guillaume de Mornoie
      Chevalier
      - Guillaume, tu es un fieffé imbécile.

      Le reproche aurait eu plus d'impact, s'il n'avait été chuchoté entre deux portes, et si un large sourire n'avait distordu la trogne couturée de Renaud alors qu'il tenait son ami en embuscade, au prétexte d'une affaire quelconque.

      - La moitié du palais est déjà au courant, et l'autre le sera d'ici ce soir, avec un supplément de détails croustillants. Je t'ai suggéré d'aller saluer la dame Tyssia, j'aurais du te rappeler de veiller à la discrétion en sus.

      La remontrance amicale paraissait peut-être cocasse, mais l'homme disait vrai : Guillaume ne pouvait nier qu'une certaine partie de la réputation qu'il trainait dans son sillage était pour le moins avérée, quoiqu'il se montrât souvent assez discret sur le sujet pour ne pas écorner l'honneur de l'objet de ses -trop- nombreux émois. Bien évidemment, on avait rapidement su qu'il était allé rendre visite à la comtesse, et les oreilles indiscrètes de quelques pages, qui s'étaient fortuitement trouvées à portée de voix de la pièce close où ils s'étaient retirés un moment, n'avaient manqué de s'assortir de bouches pour colporter des historiettes amusantes. Après tout, il fallait bien se distraire comme l'on pouvait, pendant que les ducs délibéraient : quoi de mieux qu'une amourette sous le manteau ?

      On héla Renaud, qui libéra Guillaume de son regard inquisiteur. Néanmoins, alors que ce dernier tournait les talons, il fut retenu d'une poigne ferme.

      - Hé, fit l'autre. Lui as-tu dit ?

      Guillaume lui sourit, et l'expression douce amère de son visage suffit à répondre à la question.

      Resté seul, il déambula un moment dans les couloirs vides, l'âme en déroute et le cœur en désordre, cherchant dans un rien de solitude l'apaisement nécessaire pour remettre ses idées en place. Tout passerait, il le savait bien : tout cela n'était que chose familière, une fois, cent fois, toujours les mêmes feux, les mêmes chagrins, les mêmes amertumes répétées qui revenaient se ficher dans trop de plaies ouvertes qu'il chérissait pourtant, comme des trésors. C'était ainsi, à la toute fin, renoncer une fois de plus, et s'en aller avec une nouvelle épine fichée là comme un trophée. Comme des vagues, encore et encore, jusqu'à ce que tout s'apaise.

      C'était étrange, parfois, de se retrouver à aimer comme dans les histoires : celles qui sont belles, et tristes à crever, tout à la fois. A tout le moins, cela ferait d'autres jolis poèmes, et quelques chansons. On louait souvent l'habileté de sa plume pour décrire ces choses-là : mais que dire, sinon qu'il connaissait bien trop ces émois que l'on chante ? En vérité, ce n'était pas qu'il aimait comme dans les histoires : c'étaient les histoires qui aimaient comme lui, et qui venaient puiser à cette source, celle de toutes les peines et des plus grandes joies, celles qui faisaient couler le miel et le poison mêlés.

      Il allait au hasard, quand la silhouette massive d'un homme s'encadra soudain dans son champ de vision. Tout à ses pensées, Guillaume s'arrêta net, et son regard croisa le sien, comme deux fers qui se heurtent. La voix à l'accent prononcé et l'allure du soldat le renseignèrent bien vite, et il reconnut, après un instant de surprise, l'un des lieutenants de Tyssia qu'il avait vus à ses côtés, deux ans auparavant. Arnes, le fidèle Arnes, qui plus d'une fois avait muselé les ardeurs de la guerrière, et ramené à la raison son esprit quand il s'abîmait dans les brumes rouges de sa fureur. Qu'il ait été capable, par le verbe et par le geste, de faire taire l'emportement si brutal de Tyssia en disait long, autant sur leur proximité, que sur la force de caractère du crespinien qui, pour l'heure, lui opposait une face de marbre.

      - Je vous reconnais, oui, répondit Guillaume en saluant.

      Il grimaça un sourire et opina légèrement du chef en réponse. Il avait la désagréable impression de deviner déjà ce qu'on avait à lui dire, et ne fit dont pas l'offense de prétendre à l'innocence.
      Re: Courtoisie chevaleresque ─ Jeu 12 Sep - 8:04
      Arnes Folkmer
        Arnes Folkmer
        Chevalier
        Une fois assuré qu’il le suivrait, Arnes s’autorisa un léger signe de tête, avant de dire :

        - Fort bien. Suivez-moi.

        Il fit volte-face et se dirigea d’un pas mesuré vers ses propres appartements. Sur le chemin, à travers les couloirs de marbre et de stuc, il n’échangea pas une seule parole avec le chevalier néréen. Seul le bruit des bottes contre le sol, amplifié par l’écho sur les murs nus, accompagnait le duo durant leur court traversée en direction des quartiers privés d’Arnes. La route ne fut pas longue, et ce n’est qu’après deux bifurcations seulement qu’ils arrivèrent en vue de la porte en chêne cachant les appartements du chevalier.

        Il ouvrit la porte massive et s’enfonça dans son antre. C’était une pièce meublée de façon spartiate, connectée à une autre pièce à la porte close, et s’ouvrant sur un petit balcon. Dehors, la lumière était vive et la vue plongeait vers Evalon et ses quartiers, mais les relents de la ville n’atteignaient que ceux qui s’approchaient de l’ouverture béante. Arnes se dirigea vers une petite table, sur laquelle était posés une carafe et deux gobelets en argent. Il pointa la cruche du doigt en regardant Guillaume et demanda :

        - Un peu de bière légère ?

        Arnes se méfiait de l’eau comme de la peste, sans mauvais jeu de mot, et ce depuis les violentes coliques qui l’avaient presque terrassé lors d’une chevauchée dans la nature pendant laquelle il s’était arrêté pour s’abreuver à un petit courant. La bière qu’il proposait n’était guère plus que de la bière de table, mais il préférait ne pas boire de vin avant le soir.

        Son invité acquiesça, et Arnes prit la carafe pour remplir les deux gobelets. Il prit le sien, et tendit l’autre à Guillaume, avant de prendre une petite gorgée de la boisson maltée. Elle était fraîche, et son goût était bien moins prononcé qu’une bière brassée dans une abbaye trimurtiste, mais elle désaltérait, et c’était tout ce qu’il fallait à Arnes en ces jours d’été si loin de son nord natal. Il reprit une petite lampée de bière, avant de poser son regard sur Guillaume à nouveau. Son irritation était toujours là, lorsqu’il se mettait à étudier son visage. Quelque chose chez cet homme lui déplaisait, mais il ne savait dire quoi. Il finit par dire :

        - Vous devez vous douter pour quelle raison je souhaite m’entretenir avec vous ?

        Il fit quelques pas vers le balcon, tenant toujours son gobelet d’argent, et s’expliquant tout en marchant.

        - Les nouvelles vont vite, au sein de ce palais. C’est effrayant. Je n’imaginais pas qu’une si petite rumeur pouvait gonfler si vite, et ce même dans la demeure des plus grands princes d’Eurate. Je crois avoir sous-estimé les nobles de Mellila. Ou bien serait-ce les Néréens ? Je ne saurais dire qui sont les plus doués à ce jeu de courtisan.

        Il reprit un peu de bière, le regard à nouveau posé sur Guillaume.

        - Pas moi, en tout cas.

        Il gratta sa joue barbue, avant de continuer.

        - Je déteste les on-dits. Mais j’exècre plus encore ceux qui sont dirigés contre ma suzeraine. Aussi, j’irai droit au but avec vous, messire de Mornoie. Tout ceci n’est-il qu’une farce ? Ou est-ce la vérité ?

        La dernière phrase avait un ton différent. Elle avait été prononcée de manière plus froide, et Arnes s’en rendit compte. Il chercha l’apaisement dans son esprit, en se répétant les quelques mantras apprises de longue date durant son séjour en tant qu’oblat de Nacre. Intérieurement, Arnes se tançait de réagir de manière si abrupte, alors qu’il avait souhaité cette rencontre sans heurt aucun.
        Re: Courtoisie chevaleresque ─ Ven 13 Sep - 17:35
        Guillaume de Mornoie
          Guillaume de Mornoie
          Chevalier
          Plus par politesse qu'autre chose, Guillaume accepta la boisson. Le silence s'attarda, pénible, et il se fit l'impression d'être un marmot indiscipliné auquel un supérieur allait faire la leçon : ses maîtres à Rosépine avaient eu cette manie-là, souvent, de faire durer l'attente comme si cela pouvait rendre la remontrance plus efficace encore, mais cela n'avait pour effet que de lui scier les nerfs avec une application consommée.

          Pour autant, Guillaume n'était plus un gamin récalcitrant et il se fit fort d'éteindre toute trace de son agacement, d'autant qu'il lui fut rapidement perceptible qu'Arnes en faisait de même, avec plus ou moins de succès. Le néréen savait bien qu'il déplaisait à cet homme : plus encore que face à Tyssia, il mesurait l'immensité de tout ce qui pouvait séparer un demi sauvage crespinien d'un aristocrate de Néra, et cela ne fit que lui rappeler avec plus de force à quel point tout ceci était désespérément vain. Quelle idiotie, vraiment !

          Alors, avec une patience amère, le chevalier laissa l'autre discourir tout en déambulant entre les quatre murs de cette pièce trop petite. La question vint enfin, froide et brutale, alors qu'il lui faisait face, avec sa trogne d'ours et ses yeux de fer, et ses mots mâchés par son accent prononcé. Guillaume battit à peine des paupières, esquissa un sourire, et croisa les bras sur sa poitrine. Cela n'était que le prélude à une longue série de gens qui viendraient très vite lui chauffer les oreilles à propos de ses actes et des rumeurs qui en découlaient. D'ici peu, ce serait Courage en personne, et quoiqu'il eut infiniment moins à craindre pour son intégrité physique que face à l'imposant guerrier, les choses seraient sans doute autrement plus douloureuse, car son seigneur et ami avait une façon très particulière de lui faire reproche de ses torts. Il y a bien des choses plus à craindre qu'un coup de poing dans les entrailles.

          - Tout dépend de ce que vous avez entendu, répondit-il avec cette calme franchise qui lui était si coutumière. Vous savez comme moi que les rumeurs disent beaucoup de choses, et que d'un gravier lancé on en fait toute une avalanche.

          Pour dire vrai, il se demandait réellement ce qui était parvenu aux oreilles de celui-là. Le chevalier de Mornoie était connu pour autant de faits d'armes que de joutes plus galantes, et parfois même on lui prêtait des choses dont il ignorait tout.

          - Je sais que vous êtes un fidèle de ma dame la comtesse, reprit-il, et pour cela, et cela seulement je vous doit l'honnêteté.

          Les yeux limpides du chevalier s'étaient plantés dans les pupilles sombres de l'homme face à lui. Au moins, la franchise brutale du bonhomme lui épargnait les circonvolutions dont les courtisans mieux nés aimaient à s'entourer, et s'il devait encourir son ire pour ce qu'il avait confié à Tyssia, celle-là s'exprimerait sans doute de façon très évidente et très brève, et c'en serait pour le mieux. Alors qu'il s'apprêtait à parler, Guillaume en souhaita presque qu'il le frappât pour cela, juste pour se remettre les idées en place et admettre une fois pour toutes dans quelle folie il s'était lancé par ce simple aveu.

          - Il y a un fond de vérité, oui. J'ai été présenter mes hommages à sa seigneurie, autant par devoir de gentilhomme envers une alliée de Néra, que par sentiments tout personnels : ce sont ces mêmes sentiments qui m'ont poussé à lui répondre aussi sincèrement que je vous le fais à présent. Encore une fois, j'ignore ce que vous avez entendu, mais puisque vous avez sa confiance, il me faut vous donner la mienne en sus et vous le dire : oui, je me suis épris d'elle.

          Finalement, l'aveu n'était plus si pénible, une fois qu'il s'y était fait. Guillaume n'avait pas pour habitude de faire silence sur ces choses-là, qui passaient pour des vulnérabilités aux yeux des autres : mais une faiblesse que l'on expose perd bien souvent de son poison, aussi, c'est sans honte aucune qu'il avait dit cela, comme pour mettre au défi de le lui reprocher. Que dire de plus, après tout ? C'était ainsi, fort simple, au demeurant. Il s'était éprit d'elle, comme il s'était éprit de tant d'autres avant, et comme il s'éprendrait d'autres encore à l'avenir : c'était ce qu'il avait dit à Tyssia, au secret de la chambre close, et plus encore que le reste, c'était la vérité.
          Re: Courtoisie chevaleresque ─ Lun 23 Sep - 13:40
          Arnes Folkmer
            Arnes Folkmer
            Chevalier
            Ce qu’il avait entendu ?

            Beaucoup de choses.

            Il avait donc préféré que le chevalier en face de lui parle d’abord de ce qu’il prétendait qu’il s’était passé. Les bruits de couloir, comme il le faisait remarquer avec une cruelle véracité, étaient prompts à s’envoler et à gonfler comme d’horribles goitres. Patiemment, sa bière à la main, il attendait le récit de Guillaume, paré à toute éventualité, même au mensonge. Pourtant, quelque chose en cet homme respirait l’honnêteté. Arnes avait connu des chevaliers de tous acabits, grands et petits, rusés et téméraires, francs et sournois. Il ne connaissait que bien peu ce Néréen aux boucles claires, mais sa manière de parler et de présenter avaient tout l’air d’être dignes de confiance. Suivant ce que lui commandait son instinct, Arnes écouta.

            Et ses sentiments se mêlèrent.

            La jalousie pointa, fer de lance contre son cœur palpitant. L’espoir, bouclier d’argent terni par le doute et l’appréhension. La colère, refoulée, comme toujours. Elle ne pouvait éclater. Le calme régnait dans sa forteresse, et nulle nouvelle ne pouvait en troubler l’empire. Rajas conservait l’univers dans une parfaite harmonie, ses mains en coupe pour soutenir le monde et lui éviter de tomber dans l’abîme de Tamas.

            Une gorgée de bière lui délia l’esprit, et son regard, toujours braqué sur Guillaume, cachait mille expressions de son dépit.

            Arnes finit par dire d’une voix basse :

            - Vous vous êtes épris d’elle. Et ensuite ?

            Qu’avait donc pu entendre le chevalier, pour réagir ainsi ? Bien des choses, en réalité. La réputation sulfureuse de Guillaume avait pris comme l’huile sur le feu, et les esprits salasses avaient mis bien peu de tôt à sortir les pires des insinuations. Arnes avait entendu ces élucubrations de la bouche-même de son écuyer Philibert, auquel il avait fait jurer de ne plus jamais se prêter à pareille baguenauderie.

            L’atmosphère dans la pièce, pourtant aérée, était devenue pesante. Dehors, les bruits de la capitale ne résonnaient plus, et un calme gênant régnait dans cette chambrée minuscule et oppressante.
            Re: Courtoisie chevaleresque ─ Mar 24 Sep - 17:50
            Guillaume de Mornoie
              Guillaume de Mornoie
              Chevalier
              Les yeux noirs d'Arnes, comme des enclumes, pesaient sur Guillaume de toute la hauteur d'un froid silence de muraille. Sous les épais sourcils, la figure pâle du guerrier cherchait vérité ou mensonge, traquait le faux semblant, et c'était un jugement implacable qui menaçait le néréeen de toute la poigne d'acier qui était la sienne. Pourtant, il y faisait face avec une sérénité de condamné, une légèreté de mis à mort : prêt à tout affront, à toute dureté, à la cruauté même, parce qu'il ne pouvait rien d'autre que dire, mot par mot, le secret de ce qui était advenu. C'était l'honneur de Tyssia, bien plus que le sien, qui était en jeu, il le savait fort bien. Sans doute même autre chose de plus profond, de plus intime peut-être, pour ce qui relevait d'Arnes lui-même, mais les voies du crespinien demeuraient impénétrables aux yeux de Guillaume.

              - Ensuite ? Eh bien, je lui en fis l'aveu. Des paroles ont été échangées, et je vous en épargnerai la teneur, la dame vous le dira si le cœur lui en dit.

              C'était une insolence, il en était bien conscient, mais les deux hommes connaissaient sans doute assez bien Tyssia pour savoir quel cruel châtiment ils encouraient tous les deux si elle apprenait l'existence même de l'entrevue qui avait lieu à présent. Et pour tout l'or du monde, autant que par la menace de la colère de sa dame, Guillaume ne voulait dévoiler pleinement les paroles qu'elle lui avait offertes, non plus que trahir le secret qui les dissimulait aux yeux du reste du monde. Sans qu'elle ne en eut donné l'ordre néanmoins, il avait le sentiment que la vulnérabilité qui avait été la sienne au moment de l'aveu se devait d'être tue, à tout prix, même face à cet homme qui lui était si fidèle.

              - Par respect pour elle, je préfère n'en rien dévoiler devant vous.

              Par respect pour elle, oui, et parce que cela, le secret de ses mots et des baisers échangés avait la valeur d'un trésor qu'il ne voulait que garder pour lui, enclos dans sa mémoire comme les plus précieux des joyaux. Un rien de pudeur retranchait cela à la curiosité et à ce que devait la franchise : le reste, il était prêt à le dire, mais cela, non.

              - A tout le moins puis-je vous dire qu'il n'y eut rien de plus déshonorant pour elle, et pour moi, qu'un baiser. Et cela, messire Arnes, je vous en fais la promesse sur mon nom, mon honneur et mon sang, et sur tout ce qui m'est cher en ce monde.

              Comme le reste, ce fut dit avec le plus grand calme, la plus grande franchise. La clarté aquatique du regard de Guillaume se heurtait à une noirceur d'encre, s'y arrimait de toute sa force, celle d'une inébranlable conviction. Il n'avait plus touché à son verre, le pouce glissé dans son ceinturon, et l'autre main cachée dans les replis de son manteau : il se tenait là comme avant l'échafaud, et c'était avec toute la bonne volonté du monde qu'il se livrait à l'ordalie de ces yeux obscurs qui faisaient peser sur lui une sévérité plus inflexible encore que celle des prêtres. Sous le flot outremer de son mantel, enroulé autour de son poignet et glissé au creux de son poing serré, il y avait le médaillon à l'effigie du loup que Tyssia lui avait donné. Fallait-il le lui montrer, comme sésame de sa sincérité ?

              Finalement, l'expression grave de Guillaume s'infléchit d'un rien de regret.

              - Je connais bien la réputation que l'on me donne, reprit-il avec une sorte de résignation paisible. Je ne veux point mentir à ce sujet : elle est justifiée, oui, plus qu'en partie. Mais en ce qui concerne madame la comtesse, je ne puis que vous donner ma parole de gentilhomme qu'il n'advint rien de déshonnête, quoique j'ignore précisément ce dont on m'accuse, en la circonstance présente. Faites-en ce que bon vous semble, messire, mais de vous à moi : vous la connaissez bien mieux que moi, et vous savez sans doute fort bien ce que l'on encoure à l'encombrer de faveurs dont elle ne veut point.
              Re: Courtoisie chevaleresque ─
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