- [...] Mais, maintenant que vous êtes impératrice, il semble que je sois le seul mâle suffisamment digne de vous…. Enfin surtout le seul célibataire avec assez de titres pour prétendre à vous épouser.
Anémone eut un petit sourire amusé:
- Il semblerait. Oh, je pourrais envisager la chose avec le petit de Mellila mais ce serait...
Elle haussa les sourcils, et hésita, comme si elle cherchait un terme adéquat mais pas trop choquant pour qualifier cette relation. Elle secoua finalement simplement la tête.
- Hum non, vraiment pas !
Anémone échangea un regard joyaux avec Courage et éclata de rire !
- Oh bien sûr en vérité un de mes cousins pourrait simplement faire l'affaire puisqu'il s'agit avant tout de prestige. Elle fit la moue. Mais ce serait un peu un mariage-gachis vous ne croyez pas ?
Elle s'interrompit, l'air mi-amusée mi-contrariée.
- Attendez, ne serions-nous pas en train de leur donner raison ?!
En réalité, Anémone n'aurait pas tiré un si mauvais parti de cette union avec le duc de Nera. Elle appréciait Courage, en qui elle avait trouvé un esprit intelligent et un complice occasionnel ; de plus, elle ne pouvait nier qu'il avait un physique agréable. Bien sur il y avait le cas de son androgynie, mais Anémone n'avait jamais été attirée par les colosses poilus. Et puis comme elle disait parfois, si Courage était véritablement un homme c'était très bien. Et si, surprise, c'était en réalité une femme déguisée en homme, cela lui plairait tout autant !
- Vous avez raison, donnons leur un os à ronger pour les distraire. D'autant qu'avec les derniers évènements et mon couronnement ils sont pires que jamais !
Grimaçant, elle singea une voix pincée, policée, avec des nuances de bonne foi outragée, vraisemblablement attribuable à un de ses proches:
- "Ils est inpensable que la personne qui occupe le trône d'Eurate reste célibataire !"
Elle gloussa et reprit:
- Avez-vous un plan ? Oh, nous pourrions... hum... Je pourrais décider d'épouser un de mes chats. Je pense à Grumpf -c'est le gros noir avec les yeux verts, vous voyez ?-. C'est un très bon parti: noble, élégant, de vieille lignée, et à la fertilité éprouvée ! Il a déjà plusieurs bâtards. Alors n'est pas très contrariant. Quand à vous, vous révéleriez à tout le monde qu'en réalité vous êtes une femme, ce qui rendrait notre mariage impossible !
Toujours rieuse, elle appuya néanmoins ses déclarations d'un regard perçant fiché dans les yeux du duc.
Quelque part la jeune femme savait bien que son entourage avait raison. Si elle décédait sans héritier, cela ouvrirait une crise de succession sans précédent à la Croix des Espines puisqu'elle ne possédait ni frère et soeur, ni oncle et tante, et que sa seule grande tante encore en vie avait largement dépassé l'âge d'enfanter ou même d'hériter.
Seulement... ce n'était pas si simple. Bien sur ce n'était pas le concept d'un mariage arrangé qui la dérangeait. Elle avait parfaitement accepté et intégré le principe et l'intérêt des alliances par mariage. Seulement, son refus, outre la volonté de contrarier les plans de ses aînés, était motivé par deux raisons.
Enfant, on l'avait fiancée à l'un de ses cousins. Un choix parfait pour assurer la fidélité de ses turbulents vassaux.
Lors de leur première rencontre, ses mentors de l'ombre étaient venus et avaient apposé leur marque sur son fiancé. Celui-ci avait succombé dans les mois qui avaient suivi.
Bien des années après, le défunt avait été remplacé par le beau Courage. Le suivrait-il dans la tombe ?
Si sa vie avait été épargnée, les démons avaient toutefois laissé entendre qu'Anémone devait s'opposer à ce mariage. Leur insistance avait couté cher à certains de ses proches...
Le choix d'un mariage ne revient pas aux jeunes promis, mais à leurs parents. Et le démon son père, le seigneur des flammes, n'avait pas daigné jusqu'à présent donner son accord.
La seconde raison était plus intime. Elle révélait un aspect très humain mais aussi très bien caché de la personnalité de la turbulente impératrice. Elle avait peur.
Sa mère était morte en couches en la mettant au monde. Ce n'était pas particulièrement rare: dans sa famille maternelle surtout, ce n'était pas une première. Mais cette idée l'obsédait. Elle déjà avait assisté à des accouchements par le passé, plus ou moins réussis. Et chez cette jeune femme toute puissante parmi les humains, qui en apparence avait la volonté ferme bien que l'esprit dérangé, l'idée de l'accouchement la terrifiait ! Elle redoutait plus que tout, au fond d'elle-même, que sa progéniture lui ôte la vie dans d'horribles souffrances, tout comme elle-même avait achevé sa mère !
L'expression anxieuse qui avait pu à un moment faire de l'ombre sur ses traits se dissipa, et ses réflexions tourmentées donnèrent à l'impératrice marchande de melons une nouvelle idée:
- Je sais ce que nous allons faire ! Vous allez me citer deux jeunes gens de votre cour, et je vous en suggérerai deux de la mienne. Chaque fois que l'un de nos conseillers viendra nous évoquer cette détestable idée de mariage, nous détournerons le sujet en proposant de le marier, lui, à l'un de ces courtisans. Et nous y montrerons une telle insistance qu'ils finiront bien par arrêter de vouloir nous demander de peur que nous aussi nous cherchions à le caser. Tenez, moi par exemple je vous propose ma cousine Tyssia d'Opale et mon cousin Hemance. Mon chancelier, et un des principaux architectes de nos fiançailles ! Ou alors... ma grand-tante Béatrix. Elle aussi y tient beaucoup. Hummm, le choix est difficile !
Elle gratifia son interlocuteur d'un clin d'oeil:
- Non ? Alors-dites moi plutôt votre plan !