Au Nord du duché de la Croix des Espines, dans les profondeurs marécageuses du comté de Posvány, précisément là où la rivière de Kvór trouve sa source, se dresse la sinistre baronnie de Bodva. Cette triste région, essentiellement constituée de mangroves, abrite quelques rares villages sur pilotis et un unique château en ruine. Nombre de Khösz ont perdu la vie en cherchant leur chemin dans cette terrible forêt enveloppée d'une perpétuelle brume.
Alors que sa femme Rozsa Bátor Gyötrelem était affectée par la peste, ce fut finalement le baron Fajsz Gyötrelem, le Bourreau de Posvány, qui succomba à se mal tandis que sa femme parvint à surmonter cette épreuve. Sous la régence de sa mère, c'est donc à présent Bajnok II, aîné de la fratrie, qui siège sur le trône de la baronnie.
La baronnie de Bodva est une véritable curiosité environnementale. Relativement proche de l’Échine des Dieux, cette région humide est située sur le plateau le plus élevé du comté. Elle abrite en son sein la source de la rivière de Kvór dont les méandres vaseux forme une vaste mangrove. Cette-dernière est constituée d'un nombre important d'arbres touffus interdisant l'accès à la lumière du jour. Cependant, la caractéristique la plus invraisemblable de ces terres reste le perpétuel brouillard enveloppant la région. Si la visibilité est parfois nulle en ces lieux, les sons se trouvent au contraire décuplés. Il n'est pas impossible d'entendre les pas d'un loup situé pourtant à plusieurs dizaines de mètres. C'est bien pourquoi les bodvans ont appris à vivre en silence, tendant l'oreille vers les ténèbres, à l'affut du moindre danger.
Le sol est majoritairement couvert par les marécages, rendant difficile, si ce n'est impossible, la pérennité des constructions humaines. Aussi, plutôt que de devoir sans-arrêt rabibocher leurs maisons, les bodvans ont pris l'habitude de construire de simples abris temporaires en bois et montés sur pilotis. Conscients d'habiter en effet au beau milieu d'une forêt au sol instable, cette solution paraissait la plus appropriée. Le problème avec ce genre de dispositif trouvait son origine dans son caractère éphémère. Même le baron de Bodva ne sait pas exactement combien de gens vivent en ses terres tant les villages, souvent constitués d'à peine quelques masures, se font et se défont au fil des années. Malgré tout, les échanges nécessaires entre les communautés ont amené à la création d'un marché improvisé à proximité du château. Cet évènement se tenant généralement une fois par mois permet au moins de localiser les diverses communauté de la baronnie.
Ce qui nous amène au dernier point de cette partie : le Château de Bodva. Cette place forte fut construite en des temps immémoriaux sur l'unique promontoire rocheux de la région, précisément là où se trouve la source de la rivière de Kvór. Comme toutes les forteresses de Posvány, elle est aussi impressionnante qu'en ruine. En effet, il est fort difficile de ramener les matériaux nécessaires à son entretien étant donné qu'il faut se rendre jusqu'à l’Échine des Dieux pour y récupérer des pierres. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir certaines sections maintenues ensemble grâce à des assemblages de bois. Le caractère singulier des terres bodvanes rendant, de toute manière, l'éventualité d'un siège fort improbable, le château sert avant tout d'abris à la famille du Baron et à sa garnison. Les rares affrontements sur place se sont de toute façon finis dramatiquement pour l'assiégeant. Difficile de passer plusieurs mois dans un environnement aussi hostile. L'absence de lumière, la prolifération des maladies et le climat humide deviennent vite un enfer pour qui n'y est pas né.
La vie d'un bodvan n'a rien de facile. Entre les maladies, les hivers glaciales, la pénombre sans fin et les raids khösz, la mortalité infantile est une des plus élevées de l'Empire d'Eurate. Mais s'il parvient à atteindre l'âge adulte, l'homme du mangrove deviendra un représentant fort robuste de son espèce, aux sens affûtés et au cynisme dépriment. Si pour la majorité du duché, tous les posvanéens se ressemblent, ces-derniers seront reconnaître sans mal les gens de Bodva de par leur peau livide, leurs yeux cernés et leur musculature particulièrement développée au niveau des épaules. En effet, on dit qu'un bodvan apprend à nager avant de savoir marcher. Une expression bien compréhensible dans un environnement aux profondeurs traitres où l'on ne voit parfois pas à plus de dix pouces devant soit. Habitués à l'humidité ambiante, ils doivent néanmoins revêtir leurs épais vêtements de cuir et de peau tant les journées peuvent être fraiches.
La baronnie sert avant tout de garnison servant à défendre le comté contre les incursions fréquentes des khösz. Aussi, elle dépend largement du sud pour subvenir à ses besoins. La population survit essentiellement grâce à la pêche et à la chasse aux petits mammifères locaux tels que la musaraigne d'eau ou le campagnol amphibie. Il est en effet important de noter qu'il n'y a guère de réglementation sur le braconnage en ces terres. Il y a fort longtemps, un Gyötrelem tenta d'interdire la capture d'animaux à viande rouge, conduisant à la plus grande famine de l'histoire de la baronnie et à la disparition d'un tiers de sa population. Son héritier ne fit pas la même erreur et supprima rapidement cette loi infâme. Les bodvans peuvent librement échanger le produit de leur activité, essentiellement du bois, des poissons et des peaux, contre les biens de consommation originaire du reste du comté, notamment des outils et de la tourbe. Cette-dernière est très prisée par les locaux tant il est difficile de conserver son bois au sec avec une humidité pareille. Généralement, les déplacements se font sur de petites embarcations où chaque bodvan passera la majorité de sa journée.
La Posvány est une région brutale où les crimes sont punis de façon très exemplaire. Mais depuis que Fajsz Gyötrelem a prit le pouvoir, ce trait a atteint des proportions sanglantes inégalées. La justice, bien qu'impartiale, est aussi sévère que cruelle. Les exécutions en cas de méfaits sont presque systématiques et toujours opérées par le baron en personne. Au départ, le condamné finissait généralement pendu ou décapité, mais au fil du temps, le seigneur fit largement travailler son imagination afin d'accroître la durée de ses œuvres d'art et donc la souffrance de l'infortuné tombant entre ses pattes. En fonction de l'humeur du Bourreau de Posvány, le criminel peut aussi bien subir le supplice de la roue, que se faire empaler sur un pieu non-aiguisé ou encore être cloué à un arbre jusqu'à ce que mort s'en suive. Chaque exécution étant publique, la paix sociale devint rapidement une priorité pour les habitants de la mangrove. Les bodvans apprirent vite à arranger leurs affaires entre eux plutôt que d'aller demander justice auprès d'un baron aussi sanguinaire.
La noblesse bodvane n'est pas mieux lotie que la population. Nombres de chevaliers locaux semblent à peine plus aisés qu'un simple fermier libre des terres du centre. Même le Baron Fajsz n'est guère fortuné et se repose surtout sur les dons du comte de Posvány pour maintenir son train de vie. Le fait que ces pauvres terres renferment malgré tout quelques fiers exemples de la noblesse de l'Empire réside surtout dans son histoire. Ainsi, à l'origine, les seigneurs du comté envoyaient en ces lieux les nobles ayant commis des fautes suffisamment graves pour conduire à une exécution sommaire. La baronnie servait à la fois de garnison permanente contre les incursions Khösz et de lieu de repentance. En réalité, les Gyötrelem furent bien les premiers nobles à subir cette sentence. C'est donc naturellement qu'au fil des années, ils finirent par acquérir le titre de baron. Si cela fait maintenant plusieurs siècles qu'aucune sanction de ce genre n'a eut lieu, les descendants des anciens nobles ostracisés logent toujours en ces terres, s'accrochant ainsi à ce qu'il leur reste d'honneur.
Les Khösz envoient régulièrement de petits groupes d'éclaireurs dans la marais, et ce dans l'espoir de trouver un passage sûr pour leurs armées, ou même simplement pour vérifier que les posvanéens ne se sont pas relâchés au fil des années. Leurs nombreuses incursions, et surtout le manque de condamnés, poussèrent le Baron Fajsz à instaurer une nouvelle tradition. Chaque cadavre de Khösz qu'on lui ramenait valait l'obtention d'une récompense (généralement matérielle plutôt que monétaire), le tout étant doublé si la victime était encore en vie. Rapidement, un nouveau sport prit forme au sein de ces terres sombres et humides : la chasse humaine. Nombre de barbares orientaux tombèrent avec horreur sur des embuscades de bodvans en guenilles au regard ampli de convoitise. La frontière nord de la baronnie fut bientôt saturée de pièges artisanaux installés là par une populace avide de récompense.
Mais avant que cette mortelle tradition ne s'installe, les bodvans purent compter sur un savoir-faire très personnel afin de chasser les envahisseurs : le dressage de chiens de guerre. En effet, leurs sens développés et leur capacité à se déplacer sur l'eau comme sur terre permettaient sans mal à ces monstres sur pattes de retrouver la trace des Khösz avant de leur attraper le mollet pour les traîner jusqu'à leur maître. Ainsi, si la population se sert des molosses bodvans pour la chasse, les nobles quand à eux ont depuis longtemps cherché à les utiliser sur le champ de bataille. Ces immenses bestiaux savent entourer leur proie ensemble, imitant ainsi les meutes de loups, pour fondre dessus avec férocité, rapidement suivi par les hommes en armes.
La Baronnie de Bodva est trop pauvre et trop petite pour entretenir une véritable armée. Son ost est en effet constituée d'une dizaine de chevaliers démontés locaux et d'une poignée de bodvans aguerris. Mais même si Fajsz ne peut faire appel qu'à une centaine de combattants, il peut se targuer de diriger l'une des unités les plus émérites de l'Empire. Se basant sur le modèle des Paludéens de Posvány, les Kutyák de Bodva se distinguent néanmoins principalement à cause de l'environnement les entourant. Chaque mois, ils doivent en effet faire face à de petits groupes Khösz, s'assurant ainsi un entrainement régulier dans les mangroves. Quand ils ne combattent pas, encore faut-il survivre à ce marais putride qu'ils considèrent comme leur maison. Équipés d'armures lamellaires et de boucliers provenant du sud, ils manient la lance autant que l'arc avec une précision mortelle. Quand vient l'heure du combat au corps à corps, ils n'hésitent pas à former un puissant mur de boucliers, charcutant l'ennemi à l'aide d'épées ou de haches. Ces guerriers dans l'âme sont habitués à évoluer en silence dans l'obscurité et à fondre sur l'ennemi après une embuscade soigneusement préparée. Les années au service du sanguinaire Bourreau de Posvány les rendirent par ailleurs suffisamment insensibles pour éviter de sombrer dans la folie suite aux multiples boucheries qu'ils ont à accomplir. Enfin, leur caractéristique principale réside surtout dans leur utilisation de gigantesques molosses de guerre. Alliant la sauvagerie bestiale à la froideur tactique de leur entrainement, les Kutyák sont l'une des armes les plus redoutables du comté.