Son histoire
Rian vit le jour près de La-Cambre-en-Marais, plus à l'ouest, à une dizaine de lieues en l'an 1218. C'était une localité paisible, rythmée par l'agriculture et l'élevage. Le père de Rian, Baudry, avait décidé de s'installer ici avec sa femme, Ariana, quelques temps avant sa naissance. Lui était comptable. Il faisait les comptes de ses clients, souvent des marchands et des artisans accomplis, nouvellement bourgeois. Ses services étaient rapides, efficaces. De confiance, il avait réussi à se bâtir une réputation d'incorruptible, dévoué à son travail. En plus de ses services de gestion de trésorerie, ses multiples relations avec les les nombreux clients qu'il avait bâti lui permirent rapidement d'effectuer celui de logisticien. Bien souvent, lorsqu'un imprévu surgissait lors d'une vente, l'on se tournait vers Baudry, afin qu'il le débarrasse de son fardeau. Moyennant bénéfices pour commission, ce dernier parvenait bien souvent à trouvé un semblable, qui lui, aurait grandement besoin de ces produits. C'est ainsi qu'il passa la majorité de sa vie d'adulte en déplacement, profitant de la crainte des restes d'épidémie qui avait frappée l'est du pays, pour majorer ses tarifs. Le nez dans les comptes ou sur les routes, à gérer la vente de produit ne lui appartenant pas. De quoi vivre confortablement, chez lui, ou de subvenir à tout ses besoins lorsqu'il était en déplacement.
Ariana n'avait pas un désir de vie aussi trépidante. Bien qu'au début elle accompagnait son mari dans la majorité de ses déplacements, elle fut vite lassée par ces symphonies de chiffres et d'affaires, aspirant de plus en plus à une vie de famille. Elle était quand même l'arrière cousine éloignée d'une famille de noble. Désuets, mais nobles ! Parcourir villes et hameaux n'était pas vraiment ce qu'elle escomptait lorsque sa mère ne cessait de lui conter ses origines incertaines. C'est ainsi que Baudry plia, accepta de s'installer et de limiter ses affaires à proximité de leur lieu de vie. Rian vint au monde. Il fut aimé, bercé, éduqué et nourrit dans cette maison de briques à trois pièces qui était un luxe pour bien des gens. Son père nourrissait de grandes ambitions pour lui, comme tous, que le fils fasse mieux que son géniteur et qu'il porte en avant sa descendance. Pour cette raison, il l'emportait déjà très jeune assistant à ses échanges et contrats, lui apprit à compter, à lire. A écrire. Un peu, du haut de ses 7 années. La nuit, lorsqu'il se couchait dans la salle commune et que ses parents disparaissaient dans leur chambre, là, sur ses longs morceaux d'étoffes, il s'imaginait adulte, comme son père, lui-même patriarche.
C'était quelques jours après les célébrations de Sattva. Le printemps avait débuté et les agriculteurs s'attelaient. Il faisait bon. Un beau soleil illuminait le ciel taché de petits nuages et le vent marin du sud soufflait abondamment. Rian et ses parents rentraient d'un court séjour à La-Cambre-en-Marais pour faire des provisions et regagnaient leur foyer.
Ce fut laborieux pour Rian, qui souhaitait continué à jouer à la chasse avec ses amis plutôt que de rester avachi dans une charrette des heures durant, le postérieur ankylosé. Sur la tête, un chapeau grossier, pour maintenir sa rétine à l'abri du soleil. Alors qu'il ne restait que 2 ou 3 lieues les séparant de leur arrivée, que le crépuscule c'était déjà manifesté depuis longtemps et que les étoiles avaient repris leurs droits, ils aperçurent une colonne de fumée tourbillonner dans les airs. Ils conclurent que c'était les paysans, voisins et proches, qui avaient une fois encore réuni les mauvaises herbes afin de les brûler. Parvenu à l'orée du village, tout se succéda dans un enchaînement flou et saccadé. Rian ne se souvient plus que de la flèche qui pénétra l'orbite de son père et se figea dans son crane, le pique ressortant par l’arrière. Le bruit de son poids s’affaisser sur le sentier, le cri de sa mère. Il se souvient avoir couru. Dévalant les pentes, cognant contre les pierres, le souffle coupé. Des branches et autres feuillages lui fouettant le visage alors qu'il se précipitait vers la place commune de son hameau. Du bûcher humain qui remplaçait le bûcher de joie. De ce prêtre amputé d'une jambe, sa longue robe ocre devenue pourpre de son sang et du pendentif dorée de son ordre qui reflétait les flammes, dévorant quelques cadavres impossible à identifier. Il tomba à genoux, vomit une quantité de bile et se sentit sombrer, avant qu'une main rude et puissante ne le saisisse par le cou et ne l'entraine en arrière.
Ses souvenirs ne reprennent qu'au milieu d'une épaisse foret. Des hommes en armes aux carrures impressionnantes, en fourrure épaisses, l'entouraient. Il était lié, lui, ainsi qu'une dizaine d'autre personnes, jeunes hommes et jeunes femmes, garçons et filles, par une longue corde tortueuse à deux chevaux distincts, pour partager les poids. Ses poignets le faisaient souffrir. Ses pieds aussi. En faite, tout son corps semblait meurtri. Il avançait machinalement, sans savoir, sans comprendre. Convaincu intérieurement qu'il allait être dévoré après avoir été cuit, comme ses voisins. Il ne pensait presque pas à ses parents. La marche forcée l'empêchait de reflechir. Mais ses larmes ne cessaient de couler entre reniflements et plaintes. Ils étaient tous dans le meme état. On aurait pu confondre leur vacarme pitoyable avec une procession d'ames en peine. Leurs bourreaux évitaient les plaines et les sentiers établis pour emprunter forets, lisières profondes ou routes sauvages aux parois escarpées. Il suivait la force d'attraction du cheval, tiré en avant, parfois chutant, parfois sautillant d'une jambe à l'autre. Après quelques jours, sans manger ni boire autre chose que ce que la nature et les courtes pauses le lui permettait, il ne sentait plus rien. Excepté son odeur nauséabonde. Et lorsque ce n'était pas ce mélange olfactif de merde et de pisse sechés, c'était celle de la monture qui lui saluaient les pieds. Peu importe. Il ne vivait plus. Ils ne vivraient plus.
Ils rejoignirent une petite plage de galets, surplombée par un sommet echarpé. La, il y avait 2 bateaux tel que Rian n'en avait jamais vu. Ils étaient faits de bois et étaient fins. A leur tête, des sculptures de monstres effrayant semblait ouvrir la voie aux navires. Ils embarquèrent, furent enfermés et la traversée pu commencer.
Le voyage ne dura quelques jours, moins d'une semaine, mais sembla durer une éternité. Quelques jours, mortels pour certains. Bien des années après, Rian conclut que la peur les terrassa plus que la faim.
Leurs geôliers leur balançaient parfois un quignon de pain sec par les barreaux de leur cages située dans la coque. Les heureux pouvaient en déguster chaque miette sèches, parfois après une courte empoignade qui n'étaient jamais bien grave, bien trop affaiblit pour faire quoi que ce soit de physique. Ils posèrent pied à terre sur un autre littoral. Passèrent quelques heures à marcher et établir leur camp dans une clairière luxuriante qui offrait un périmètre de campement naturel. Si les prisonniers n'étaient plus en cage, ils étaient enchaînés à des poteaux de bois montés pour l'occasion ou des souches d'arbre. Ils furent nourris, du moins les survivants et ceux qui semblaient pouvoir y parvenir, et abreuvés. Ils étaient blonds, bruns. Larges, pour la plupart dotée d'une musculature impressionnante. Ils semblaient sortir des comtes des géants que parfois se racontaient les enfants pour s'effrayer. Ils portaient tous d'énormes armes qui valait au moins, à ses yeux, le poids d'un homme. Et les maniaient avec une effroyable dextérité. Un parmi ceux qui partageait le sort de Rian se mit à chuchoter et à répéter les mêmes mots, les premiers dans sa langue qu'entendit Rian depuis des jours et qui n'était pas une supplique. "Ce sont des Thoréens... Des Thoréens... ". Comme pour confirmer la juste analyse de ce dernier, l'un des barbares se dirigea vers le groupe de prisonnier, lorgnant sur une jeune femme rousse, aux levres charnues, que même la crasse du voyage et son traumatisme n'ont pas réussit à enlaidir. Il la souleva du sol a l'aide d'un bras, coupa le nœud qui nouait ses mains et la tira vers lui. Elle tenta de se débattre faussement, trop apeuré de ce qui pouvait lui arriver. Rian se mit à trembler de tout son corps. C'était la première. La première qui serait mangée.
Le lendemain, il s'étonna d’être encore en vie. A part quelques gros bras qui leur tournait autour ils étaient relativement tranquilles. Le bruit de leurs estomacs vides brisaient le silence établis entre eux, apeurés, faibles et affamés. La journée passa, puis le soir vint. Il ne semblait pas pressé de partir, buvant et mangeant de ce qu'ils avaient pillés, s'exclamant fort avec des sons complètement incompréhensible. Ils n'étaient qu'une cinquantaine de guerriers mais semblait tous très expérimente. A certains, il manquait un oeil. A d'autres, un bras. Mais ils étaient tous en tenue de combat et même le plus fétiche du groupe passait pour un adversaire redoutable. Ils festoyaient encore, buvant allègrement. Il y avait un homme parmi eux. Grand, robuste. Plus grand que la moyenne -comprenez leur moyenne-,dont le visage ridé et fatigué par des décennies de combat était couvert par une large barbe noire grisonnante ainsi que de multiples balafres. Il était écouté. On s'écartait ou le saluait sur son chemin. Vraisemblablement leur chef. La faim avait fini de résoudre Rian a quitter leur buffet des yeux et se tourner vers la pénombre de la foret... C'est là qu'il les aperçut. Des monstres, des démons sortis du Chaos qui s'approchaient, avançaient de couverture en couverture pour les prendre par surprise. Ils devaient être à 150 mètres, peut etre 200. Mais le nyctalope perçut leurs formes se déplacer dans l'obscurité. Leurs tailles d'hommes était surplombées par des oreilles d'animaux, comme celle de loups ou de chiens. Il se remit à trembler, incapable de savoir si ce qu'il voyait approcher était bien réel. Il rassembla son reste de force et se mit à crier à pleins poumons, la terreur débordant de sa gorge.
"DES DEMONS !!". Son doigt pointant les ténèbres des bois. Beaucoup parmi les barbares ne lui prêtèrent aucune attention. Mais celui qui faisait office de chef cessa sa conversation, fixa l'orée des bois puis se mit à hurler dans sa langue. Des bruits de ferrailles et de fer dégainés lui répondirent en choeur. En a peine quelques secondes, guerriers et guerrières étaient en ligne, armes à la main, bouclier au poing. Une flèche passa au dessus de la tête de Rian, qui se blottit contre terre, imité par ses co-detenus. Puis des lances. Et enfin des guerriers. Ils fondirent sur les barbares comme une meute, dans des cris et des sons aigus, habillés de peaux et armés de lances, de serpes et d'autres armes exotiques.
Ils finirent par être rapidement repoussé. Ils ne tardèrent pas à sonner retraite dans un gargouillis auditif. Ils voulaient profiter de l'effet de surprise, surement en sous-effectif. L’échec de leur plan et les quelques cadavres de guerrier leur appartenant, éventrés, finirent par les convaincre. Bien après le chaos du combat, le chef s'approcha de Rian.
- "Es-tu devin ?"Il lui parla dans sa langue, sans etre agressif. Faire face à ce géant de fer, se voir refléter dans ses yeux bleus le tétanisa. Il ne parvint pas à répondre. Le barbare réitéra sa question, mais face au mutisme de son prisonnier, perdit patience. Il dégaina son épée. En voyant son épais fer, ce fut comme un électrochoc. De sa voix aiguë, il lui répondit . Non, il n'était pas devin. Il voyait dans le noir. Sa réponse fut accueillie par un regard sceptique, mais sembla calmer l'homme qui rengaina l'épée dans son fourreau. Il s'éloigna. Rian souffla et remarqua qu'encore une fois, il n'avait su contrôler sa vessie.
Ils quittèrent le jour même la clairière et se remirent en marche. Passant par différents hameaux. Rian finit par réaliser qu'il n'était plus dans son pays. La marche était devenue moins soutenue, moins difficile. Ils étaient parfois nourris, parfois non. Au premier village d'envergure qu'ils croisèrent, ils s’arrêtèrent quelques temps. Ils furent détachés, mais escortés sous bonne garde, les mains encore liées. Puis on les présenta sur la place et tout le monde parmi les prisonniers comprit le manège qui se produisait. Ils allaient être vendus, tenus pour esclave jusqu'à la fin de leurs jours. Sacrifiés ou dévorés par un barbare a l’appétit insatiable. Avant que les enchères ne débutent pourtant, le précédent interrogateur s'approcha de Rian et le délivra de ses liens à l'aide d'un poignard. Il l'informa que dorénavant, il serait sa propriété. Et ce fut la seule explication. Il se retourna pour voir ses précédents compagnons d'infortune être touchés, palpés, mesurés, d'un regard triste.
Il s'appelait Jagar(Yagar). Il était chef d'un groupe de mercenaire thoréens. Ils louaient leur service à quelconque chef de village, guerrier, marchands quelques fois. Mais le plus souvent, ils vivaient de pillage et d'esclavage. Il formait son groupe chaque hiver pour faire une campagne de pillage le printemps venu. Souvent en Eurate. Mais aussi chez d'autre thoréens. Il ne pouvait être blâmé. Bien qu'une hiérarchie était maintenue chez ce peuple, chaque tribu, chaque clans, était son propre responsable. Les alliances n'étaient souvent que commerciale. Mais si un point les unissait tous, c'était fl'animosité qu'ils ressentait à l'égard des peuples d'Eurate. Les raids menés l'année dernière les enhardir. C'est comme ça que Jagar avait finit par réunir un groupe de fidèles, prêt à périr a ses cotés, pour quelques kilos d'or et la promesse d’être enterré avec leur butin.
Les membres de ce groupe n'était pas homogène. Jagar était un Hijcerheiderr, comme la majorité de son groupe. Il y avait des Fjallids aussi. Quelques Skógur. C'est d'ailleurs des guerriers skógurs qui avaient attaqués le campement l'autre soir. Ils espéraient mettre la main sur le butin conséquent de la troupe de Jagar. Lui ne servait pas directement de seigneur bien qu'il était soumis à son roi. Il ne possédait pas de terre et vivait de pillages et de commerce. Il semblait connu et respecté partout ou il traînait sa carcasse de muscles.
Les journées ont vite fini par se ressembler. Il se levait avant eux avec le reste des esclaves. Chauffait l'eau pour les guerriers, préparait à manger, porter leurs charges. Il n'avait seulement aucun droit de s'approcher d'armures ou d'armes. Leur entretien revenait à une autre catégorie de captifs, qui étaient un peu mieux considérés que celle à laquelle appartenait Rian. Il apprit aussi que son sort avait été différent des autres à cause de son don. Il devait avoir été béni par un esprit ou par un démon, car seulement eux sont capables de voir dans la nuit. Les Thoréens sont d'une foi fervente. Leurs croyances rythmant leur vie à tout instant.
Il passa les premières années a être un simple larbin. Nourri de restes ou de ce que les animaux qui les accompagnait avaient délaissé. Voyageant à la suite de Jagar et le servant. Il finit par grandir et le caractère qui l'imprégna plaisait à bon nombre de la troupe. Il s’exécutait, était d'un silence religieux. Et surtout, il les craignait plus que tout. On ne lui portait rarement d’intérêt, sauf pour le frapper. C'était récurent, surtout les soirs de fêtes. Et croyez moi, les thoréens aiment les fêtes. La barrière du langage s'estompa peu à peu. Il finit par comprendre la majorité des mots courants utilisés et des ordres qu'on lui aboyait, guidé parfois par un esclave plus expérimenté. Parmi eux il y avait des gens d'Eurate, mais pas seulement. Une fois, à la traversée des bordures d'une ville, Rian vit même un homme aussi noir que le charbon. Les raids thoréens ne sont pas seulement la malédiction d'Eurate. Au delà de leur comportement violent, la culture thoréenne était riche de croyances, de traditions tribales et d'honneur. Manquer à sa parole était un signe de faiblesse chez eux. Ce qui était inacceptable, au risque d'être méprisé par tous. Leurs rituels étaient impressionnants, sanguins. Plus simple que ceux d'Eurate mais paradoxalement plus chaleureux. Les sacrifices et la mort ne les effrayaient pas. Ils semblaient plutôt la vénérer, se précipiter vers elle, dans un fanatisme mortifère. Ils avaient une vision du Monde très simple. Tuer ou être tuer. Humilier ou être humilié. Eux contre les autres. Ce sens de l'utilité était tellement poussé qu'ils se débarrassaient de tout être, homme ou bête, jugé encombrant. Jusque dans leurs mots. Ils répugnaient les longues phrases ou les mots à trop longues syllabes. D'ailleurs, né Ryan (Ry-an), on finit par l'appeler Rian. Une syllabe. Plus simple. Pour siffler un chien.
Parvenu à 13 ans et après toutes ses années à servir ces mercenaires prolifères, Jagar semblait l'apprécier de plus en plus. Il ordonna qu'on le forme à la chasse avec un autre captif, présent lui aussi depuis des années. Dorénavant il n'aurait plus à laver les vêtements souillés de ses gardiens, il devrait les nourrir. Il excella rapidement dans son apprentissage et sa vision de nuit le rendit très utile. On lui confia parfois des rôles d'éclaireur ou même de sentinelle, l'autorisant à ses occasions à porter une arme. Dans la servilité la plus totale, Rian s'exécutait. Les combats qui sont courant en Eurate sont bien différents des leurs. Ils privilégient toujours l'approche de l'embuscade, les attaques de nuits, éclaires et mortelles. Ils s'infiltrent dans les demeures avec leurs armes, tranchent les gorges dans le sommeil, mettent feu aux bâtisses pour semer la pagaille, laissant volontairement croire à une issue de sortie, afin de les achever les uns après les autres sans trop se fatiguer ni risquer leurs vies. La ou la discipline d'Eurate est une fierté, l'honneur du groupe, les thoréens privilégient les exploits personnels et se plaisent à entendre compter leurs prouesses. Ils se nomment d'ailleurs souvent par leurs faits d'armes.
Dans cette routine, Rian finit par s'intégrer. Il ne s'interroge jamais au sujet des lendemains, de l'avenir, des choix à faire. Il n'a pas à en faire. Décider est un luxe qui ne lui est pas acquis. Lorsque ses résultat plaisent, il est récompense. Lorsqu'ils sont décevants, il est battu. Enfermé dans une cage. Laissé à l'abandon jusqu'au bon vouloir de ses maîtres. Heureusement, Rian apprenait vite. L'enferment ne fut exécuté que de rares fois.
Après une campagne mené au nom d'un chef de guerre local, de nombreux guerriers périrent. Ils n'étaient déjà plus très nombreux, mais ces événements persuadèrent Jagar de freiner ses ambitions durant un temps. Il en recruta d'autres par la suite. Mais c'est surtout pour Rian que tout changea. De retour au campement après un raid mené contre un rival, Jagar était accompagné par trois prisonniers. Pas de femme. Pas d'enfant. Pourtant, ils les privilégient aux restes pour leur docilité et leur utilité. Cette fois, seulement des guerriers. Torses nus, des cheveux extrêmement longs comme le veut la coutume, des barbes fournies, même attachés et agenouillés ils restaient impressionnants. Ceux là, leur destination était la mutilation. Ils seraient exposés des jours, des semaines, bien après que le temps et la décomposition auront eu raison de leur corps. Leurs squelettes seraient les témoins immortels de la force de Jagar. Il fit venir Rian et lui tendit une dague ornée. Plongeant ses yeux glacials dans ceux de Rian :
- "Si tu veux vivre, tranches lui la tête."L'ordre était simple. Concis. Rian posa son regard sans un mot sur celui du prisonnier. Il se remémora sa capture. Mais le Thoréen ne tremblait pas, n'avait pas peur. Il semblait même sourire. Rian comprit. Il a ce qu'il ne possède pas. Lui, préfère mourir plutôt que d’être asservit. S'il n'est pas tué, il fera tout pour. Il contourna le prisonnier, s’arrêta derrière lui. Il reproduit ce qu'il avait vu des dizaines et des dizaines de fois. Coup de genou. Il chute. Saisir ses cheveux. Le tirer en arrière. Placer la lame de manière verticale. Trancher. Giclée de sang. Rale porcin lorsque la lame rentre en contact avec les cordes vocales. Serrer le manche, trancher comme dans une carcasse de Yak. Il termina par marteler les cervicales avec la dague pour séparer la tete du tronc et la déposa sur le dos. Les mains ensanglantés jusqu'aux poignets, il tendit la dague à Jagar. Il la reprit, l'essuya sur la chemise crasseuse de Rian avant de la ranger dans un fourreau en cuir, orné de fourrure et de pierres.
- " Tu combattras pour moi dorénavant"La nuit, Rian ne parvint pas à dormir. Pas pour son geste. Pas pour le sang séché encore présent sur ses mains. Non, le sommeil le fuyait car il imaginait celui de Jagar à la place de sa victime. Un sentiment qu'il avait oublié se remit à germer en lui, qu'il croyait oublié/ Une haine farouche, froide, déterminée. Il le pensa si fort qu'il crut avoir été entendu dans le silence nocturne;
"Oui, Jagar du peuple des Thoréen, je sentirais la chaleur de ton sang sur mes mains, comme j'ai senti aujourd'hui celle de ton semblable."Promotion acquise, les moments d'entretien matinaaux avaient été remplacé par un perfectionnement aux armes. Il n'utilisait pas les armes traditionnelles des Thoréens. Il leur préférait celles qui étaient plus légères. Epées ou dagues, serpes ou même arc. Il se découvrit bon tireur et son agilité naturelle fit rapidement de lui un bon duelliste. C'est comme s'il était devenu la Némésis des thoréens. Eux, forts, puissants et violents. Lui, rapide, précis, tout en finesse. Les quelques Skogur encore présent apprécièrent sa dextérité et lui enseignèrent quelques techniques de combat, plus vicieuses que leurs cousins. Le comportement général à son encontre changea. Surtout depuis qu'il était revenu vivant d'une attaque de nuit d'une place forte. Il avait, avec 5 autres combattants, escaladé les murailles, assassiné les gardes furtivement, ouvert les portes et permis au gros des troupes de déferler sur les insouciants. Il mangeait convenablement. N'était plus battu. Au pire une bonne droite. Quelques bousculades. Mais n'était pas pour autant accepté parmi eux. Tout le monde lui beuglait encore des ordres mais, à ses yeux, ils n'étaient plus humiliants. Rian, va chercher le petit déjeuner. Rian, tu gardes cette nuit. Rian, aiguise mes armes. Les autres captifs n'avaient que rarement cette chance. Ils n'étaient que deux. Lui et un homme étrange à la peau caramel, aussi efficace que silencieux. La nuit, Rian s'endormait, loin des autres, confortablement installé sur des branches en hauteur.
Le voilà homme. Il a vécu plus longtemps que beaucoup des guerriers de Jagar. Plus longtemps aussi que l'homme caramel. Jagar lui ne semble pas vouloir faiblir.. Le serment de l'étriper non plus. Il a conscience que, s'il l'attaque parmi les siens, il ne survivra pas. Tout ce qui est passé, tout ce qui est à venir, ne mérite pas une telle fin.
La neige commençait à fondre, annonçant le début de printemps et aussi la reprise des raids en terre d'Eurate. Cette fois ci, il ne serait pas avec les restants, ceux qui continuent d'entretenir les betes, gardent l'équipement, les familles, les captifs. Il serait parmi eux, à fondre contre les siens. Jagar le lui a annoncé, un sourire presque sadique aux levres, impatient de voir sa création faire couler son propre sang. Rian n'était pas troublé. Pas de d'éloquente indignation, ni de réticences. Tuer c'est vivre. Vivre c'est tuer. Le sang d'un barbare ou d'un paysan d'Eurate n'est pas différent. Mais au fond de lui, pour la première fois, il prit conscience qu'une opportunité s'offrait à lui.
Après avoir discrètement traversé le fleuve de Lacmnil, Jagar et ses seconds mirent en place un plan d'attaque. Pas loin, un grand village, presque une ville. Le retour du printemps forcera les gens à aller vendre, acheter. Il faut profiter de cette occasion pour frapper rapidement et exploiter surprise et faiblesse de ces idiots pour s'approvisionner. Elles serviront à tenir tout le long de la campagne de raids. Les objets précieux, pour qui les aura arrachés. Prisonniers ? Seulement enfants et femmes, jeunes, belles, en bonne santé. Un goût métallique, mêlant dégoût et colère se manifesta dans la bouche de Rian. Une impression de déjà vu. Ecoeurante.
La veille de l'attaque, Jagar envoya trois éclaireurs aux abords du carrefour commercial. Il opta pour une reconnaisance nocturne, envoyant Rian accompagné de deux autres de ses soldats. Ils passèrent de nombreuses heures à faire le tour. Ils se séparèrent pour observer les trois principaux axes et observer les mouvements des gardes. Après s'être assuré d'être seul et hors champ de vision, Rian sortit de sous son pantalon un morceau des bois d'un cerf tué il y a quelques jours. Il sortit un fin couteau de jet et se mit à graver dans l'os. Il n'a pas oublié. Les lettres, ses formes, ses angles. De manière grossière, il grava sur la défense de l'animal un avertissement clair.
"DEMAIN ATTAQUE THOREEN A LA NUIT TOMBEE". Il noua a l'aide d'une cordelette son message a une flèche, plus épaisse, plus robuste que celle taillée habituellement, faite par ses soins pour cette occasion. Il arma son arc, tendit la corde, visa. Tira. La flèche s'abattit au pied d'une bâtisse en pierre semblable à celle où il vit le jour. Il se surprit à prier, marmonner le nom de Tamaste, invoquant son intervention. Il s'assura encore d'avoir agi de manière invisible. Quelques minutes plus tard, il fut rejoint par un des deux éclaireur. Il remercia le destin, le ciel, le karma, les dieux, des steppes enneigées jusqu'à Eurate, de l'avoir dissimulé. En rentrant au camp avancé, il se sentit envahi par le doute. Peut-être les habitants ne les croiraient pas. Ils avaient bien une garde, des sentinelles. Mais ils ne suffiraient pas. S'ils croyaient à une mauvaise blague plutôt qu'à un avertissement, il en serait fini de son stratagème.
Ils étaient disséminés en une longue ligne pour couvrir un maximum de terrain et avançaient discrètement vers le hameau. L'heure de l'attaque a sonnée. Des peintures de guerre ornaient les visages des guerriers. Habillés de peau de bête, décorés de cornes ou de bijoux effrayants, la terreur s'inviterait chez l'innocent. Les Thoréens se plaisaient à jouer des superstitions paysannes pour semer la terreur dans le coeur de leur ennemis. A plusieurs centaines de mètres, encore cachés par les arbres et leur feuillages, ils pouvaient apercevoir l'entrée de la ville. Elle était ouverte. Rian cracha, jura. Ne l'avaient-ils pas écouté ? Jagar fit séparer le groupe en deux. La première troupe devait fondre dans le coeur du village, suivi par la deuxième qui garderait les sorties. La charge débuta. 200 mètres. Chacun pouvait entendre le souffle de son voisin. L'adrénaline commençait à se manifester. Pas par crainte. Par désir d'assouvir ses pulsions meurtrières. Jagar fit un cri de guerre, résonna dans la bouche de chacun de ses compagnons, chargea en tete, suivi de Rian, deux rangs derrière. Il ne le quittait pas des yeux. Tant pis pour les autres, aujourd'hui ne se représentera pas. Jagar n'en réchappera pas. Les yeux immobilisés sur sa proie, Rian avance. Jagar hurle. S'agite. Pénètre dans l'enceinte dessinée par quelques murets. Hurle encore. Mais pas une réponse, pas un cri, pas d'effroi, juste le silence. Soudain, des toits des chaumières, dissimulés sous de la paille, des archers se redressèrent. L'arc tendu, les flèches se décochèrent les unes après les autres en un choeur harmonieux. Flèche qui siffle, râle. Flèches, râles. Les corps tombaient les uns apres les autres. Trois, quatre. Jagar ordonne le mur de bouclier. Trop tard. Des maisons qui l'entouraient une trentaine de soldats apparurent. Ils se ruèrent sur les barbares armées de longues hallebardes ou à ce qui pouvaient y ressembler afin de les tenir a distance. Empalant les plus hardis au bout de leurs pointes. Dans la confusion quelques combattants de Jagar reculèrent, mais pas lui. Ni son plus proche conseiller. Des bruits de combats parvenait de l'exterieur. L'autre équipe a était accueillie par une volée de flèche avant de pouvoir assurer les arrières du groupe. Si leurs ennemis disposaient encore de renforts, ils seraient prit en tenailles. Mourir sans gloire dans une bataille aussi pittoresque n'est pas réellement ce a quoi aspire les thoréens. A l'unisson ils se mirent à reculer, se couvrant des volées de fleches. D'autres, trop éloignés de leurs confrères tentaient de resister au nombre bien trop important de soldat qui pas après pas les cernaient.
Passé le choc, les yeux de Rian s'enflammèrent. Jagar. Il le repéra, à agiter son énorme hache de manière circulaire pour tenir hors de portée les soldats d'Eurate. Il empoigna une dague qui se terminait par une légère courbe. Conçue pour éviter les blessés. Lorsqu'elle s'enfonçait dans la chair, elle perforait et tranchait les organes, promettant une longue agonie si le premier coup n'était pas fatal. En un éclair, il bouscula le guerrier qui participait au mur de bouclier devant lui, le faisant tomber à terre. Celui de droite et de gauche reçurent instantanément une fleche, l'un dans la gorge, l'autre se planta dans son front, profitant de la faille crée par Rian. Certaines d'ailleurs manquèrent de le toucher, le frôlant, mais il n'y prêta aucune attention. Comme un possédé, il ne voyait plus qu'une seule chose. A deux mètres à peine, alors que Jagar lui tournait le dos pour se défendre, il se propulsa en avant, projetant toute l'energie de son saut dans son bras et planta la dague au niveau du rein. La force du coup traversa la maille, le cuir et s'enfonça dans la chair du géant. Il tenta de pivoter afin de faire face a son attaquant mais Rian ne lui en laissa pas le temps. Il sortit la dague de son étreinte de chair et de muscles devoilant une plaie de sang noir abondante et trancha la poplitée qui le fit poser genou à terre. Lor, son second qui était resté avec lui fut plus choqué de voir la petite merde docile qu'ils avaient apprivoisé parvenir à atteindre leur maitre à tous, que par l'embuscade. Moment d'inatention fatale. Sa gorge fut traversé par une lance. Ses yeux se révulsèrent et il s’effondra, au rythme du retrait de l'arme. Jagar vivait encore, refusant de plier son autre jambe. Explosion de rage. Coup de genou, Jagar est face contre terre. Saisir ses cheveux, le tirer en arrière. La lame posé a la verticale. Tranche, tranche. Du sang jaillit, abreuve la terre. La dague cale contre un os dans un grincement strident mais il persiste. Déjà vu. La vie quitte Jagar dans un grognement animal et son corps convulsé finit par rester inerte. Il n'a pas le temps de finir son oeuvre qu'il est projeté en arrière. Rian se débat, mais la lance posé contre sa jugulaire l’arrête. Ce n'est pas un de ses bourreaux. Il porte une armure et un écusson. Un soldat local. Rian comprend que les autres ont sonné la retraite. Le regard du soldat est froid, il n'hésitera pas même s'il ne comprend pas exactement ce qui vient de se passer. Rian prend alors la parole. Comme il y a des années, il doit donner une réponse pour vivre.
- " Leur avant poste est à moins de deux lieux d'ici. Je suis de la Cambre-en-Marais "Le souffle haletant, il tente de convaincre le garde de l'épargner. Le capitaine de son détachement pose une main sur son épaule. Voulant prouver sa bonne foi, Rian laisse tomber son arme à terre, détache son harnais de cuir ou pendent épée et armes de jet.
Il dut s'expliquer. Raconter son histoire. Son apparence ne l'aidant pas. Fort heureusement, ses souvenirs d'Eurate lui servirent. Sa maîtrise de la langue aussi. Il n'a pas oublié comment parler, chérissant tout les souvenirs qui lui restait chaque soir avant de dormir. Les détails qu'il donna finirent par convaincre bien qu'il fut décrété qu'il resterait sous surveillance jusqu’à ce que son sort soit décidé. Le message qu'il laissa avait été effectivement bien reçu. Les années précédentes, nombres de villages en bordures avaient été attaqués au début du printemps. Les instances militaires de la région avaient décidées de ne plus laisser ces forfaits se reproduire, aussi, des renforts avaient été dépêchés et les villageois discrètement cachés dans les sous sols. Ils sortirent les uns après les autres de différents bâtiments pour aidés à transporter les cadavres vers des charniers. Rian chercha des yeux celui de Jagar. Il était éteint, un rictus de douleur figé sur le visage. Les yeux vides. La tête à moitié décollée. Il l'observa longuement, plusieurs heures, jusqu'a ce que deux paysans le chargèrent sur une charrette avec d'autre de ses comparses.
Il fut emmené dans sa région d'origine. On le présenta à des officiers en poste à la Cambre-en-Marais. Ils le jugèrent, lui, jugèrent son histoire et surtout jugèrent ses compétences. Les archives ont appuyées ses propos et lui offrit durant quelques temps gîtes et couverts. Dans la chambre qu'on lui laissa, se trouvait une glace. Il ne s'était pas revu depuis plus d'une décennie. Doucement, avec appréhension, il s'en approcha. Il avait les cheveux longs, hirsutes. Plusieurs couches de crasse et de sang recouvrait sa peau. Nombres de marques, de trous et de cicatrices se dessinaient dorénavant sur son visage. Il fixa ses yeux. Vides. Comme ceux de Jagar. Il se mit à pleurer, comme un enfant, comme durant les premiers jours de son calvaire. Ses sanglots étaient étouffés et sa respiration difficile. Finalement, au bout de quelques minutes, il sombra dans un sommeil profond, pour la première fois, reposant.
Il
(pensait avoir) avait 22 ans à ce moment là. Et on lui demanda souvent pourquoi il n'avait pas tenté de fuir plus tot. Les captifs difficiles finissaient mutilés, torturés et exposés aux yeux de tous. Il avait conscience qu'il n'avait nul part où aller, qu'il ne leur échapperait pas. On l'écoutait puis on approuvait de manière suspicieuse. Personne ne comprendrait, il le savait. On le convoqua plusieurs fois afin de donner tous les renseignements qu'il avait obtenu ces dernières années en terre barbare et Rian s’exécutait, n'omettant rien. Les noms des principaux chefs qu'il a rencontrés, des principales voies commerciales, de leur coutumes. De leur artisanat, de la différence de qualité du fer entre les deux pays, de leurs approches militaires, des conflits en jeu actuellement. Et non, les Thoréens ne devoraient pas les captifs.
On lui proposa de rester, un poste, un travail. Il hésita puis refusa. Tout ce temps, on décida pour lui. S'il avait tout perdu par le passé, il avait acquis son destin, sa liberté.
Rian passa les trois années suivante à parcourir Eurate. Parfois, il entend parler de son histoire. Parfois, il entend les légendes au sujet des géants de l'ouest qui l'effrayait quand il était enfant. Offrant des services de gardes du corps, d'escortes à quelques riches marchands, participant à quelques batailles ou raids punitifs, sa légende se construit. Son refus d'intégrer la garde militaire ou civile lui offrit par la suite une autre opportunité. Il fut approché par un chasseur de tête, lié à la guilde des mercenaires. Ils ne dépendaient d'aucuns seigneurs bien que soumis aux intrigues des Grands. Son savoir était désiré et les temps à venir propices à les exploiter. Les rejoindre signifiait leur remettre une part sur chacun de ses gains en rapport avec sa fonction de mercenaire mais lui ouvrait aussi les portes d'un vaste répertoire de clients, tous plus soucieux les uns que les autres à être entouré des meilleurs. Rian accepta, intégra les rangs et remplis nombre de missions pour leur compte, parfois martiale, parfois tactique, face aux raids éclairs des Thoréen lancait cette derniere année. L'ouest d'Eurate, la ou il est né, était encore fragile et assez mal organisé. Il passa la majeur partie de son temps de ce coté ci. Il sait que dans tous le pays, ses connaissances sont recherchées. Il les vendra. Ou les offrira. A qui les méritera.