Il l'écouta répondre. Il l'observa secouer sa tête, agitant ses longs cheveux dans une cascade de boucles ténébreuses et hypnotisantes. Chacun de ses sons, chacun de ses mots, de ses gestes étaient décortiqués par Rian. Il ne saisissait toujours pas tout les tenants et aboutissants de ses paroles. Ni où elle tentait de l'amener par ses confidences. Il avait appris à être méfiant, un peu trop, jamais assez. Pourtant il restait là, à écouter, à devenir complice sans ne s’être encore impliqué plus que par l'écoute. Il se questionna un instant, pour savoir ce qu'il désirait. De toute évidence, interrompre cette conversation ne le tentait pas, aussi périlleuse soit-elle. La retrouver inerte, inanimé, payant le forfait de son audace non plus.
-Ce n’est pas une guerre, ce n’est pas la mort et le sang que je cherche, je veux juste un endroit où me réfugier, un endroit loin de leur regard, de leur jugement… Je veux être chez moi...
Pas de guerre ? Ni de morts, ni de sang ? Et elle espérait un chez soi ? Il la regarda de façon assez sceptique, perplexe de ce qu'il venait d'entendre. Il se surprit à plisser les yeux. Etait-ce une escapade, une habile manœuvre pour ne pas s'engager de trop par ses paroles ? Il ne saurait réellement le dire. Par respect respect pour ses habitudes et pour elle, il ne chercherait pas à avoir tout les détails. Il en valait mieux ainsi, pour tout deux.
Puis se fut à elle de faire les cents pas, imitant Rian. Il ne cessait de reproduire les mêmes actes depuis le début de leur rencontre, spontanément, s'échangeant positions ou émotions. Un observateur avisé n'aurait pas mieux décrit la scène en les qualifiant de reflets. Chacun avec ses particularités bien à lui, avec ses propres démons, mais issu d'une racine commune. Il ne la quitta pas des yeux tout le long. Mais il en profita pour faire quelques pas en arrière. Près de lui se trouvait un fauteuil et il le tira pour s'y installer sans autre forme de courtoisie. Il avait besoin de rassembler ses idées et rester les bras ballants face à la dame l'avait lassé. Le sentiment d'en avoir trop fait. L'idée d'avoir trop donner. Le loup grognait. Il perdait du terrain et s'agiter dans les parois abyssales de son âme.
Il imagina le "chez soi" de Tyssia, avec un peu d'effort et y parvint. Rien de fameux. Juste la paix. Cette paix qu'il chassait comme un fou, un aliéné, sans parvenir à mettre la main dessus. Chaque mort, chaque tuerie, chaque épreuves lui semblait justifié pour l'approcher mais la réalité était plus amère encore. C'est qu'il s'en éloignait à chaque fois un peu plus. Il imagina son chez lui, sa Paix... Encore. Insistant. Sans succès. Existait-elle ? Y parviendrait-il ? Rien ne venait. Ni image. Ni calme. Ni lucidité. Juste un tourbillon de noirceur et de formes fantomatiques. Juste un amas flou de quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. Rien qui ne semblait éclairer son avenir.
Il reposa alors ses yeux sur elle. L'admira un instant. Il avait occulté la beauté qui se dégagée de cette femme jusque la, de cette noblesse naturelle qui émanait d'elle. Il avait rencontré beaucoup de chefs, de combattants, de dirigeants. De près ou de loin. A tous, il leur manquait quelque chose. Souvent au combattant cette noblesse charismatique. Souvent au noble, cette hargne énergisante. D'elle, il lui semblait qu'il ne manquait rien. Un tableau illuminant qu'il prit soin de mémoriser parfaitement, même s'il ne dura que quelques instants.
Puis, il joignit ses deux mains, les fixant, avant de prendre parole :
- "Attends-tu quelque chose de moi, Tyssia ? "
Sa question se porta d'une voix naturelle, neutre. Une réelle interrogation. Il ne pouvait deviner ni les intentions ni les projets de cette femme. Mais il savait qu'inéluctablement, un jour, elle aurait besoin d'aide, de soutien. Ils étaient opposés et proches. A l'image d'une colombe et d'un corbeau. Pourtant, chacun à leur manière, ils volaient le même rêve.