Il pouvait être surprenant de voir un parfait inconnu surgir dans sa chambre; cela l'était d'autant plus lorsque ledit individu arrivait par une voie autre qu'une porte d'entrée. Imaginez donc vous faire surprendre, en pleine paisible matinée, par un malappris qui se glissait par votre fenêtre. Choquant et surprenant, bien sûr. Mais par le plafond... C'était bien là une méthode d'autant plus étonnante, et la raison pour laquelle Yrhina, statufiée sur place, dévisageait l'intrus qui venait d'atterrir dans sa baignoire. Alors qu'il s'escrimait à sortir, fort peu élégamment d'ailleurs, de sa cuve de bois, la jeune demoiselle recula prudemment d'un pas, observant d'un oeil ahuri le trou dans le plafond et les débris de bois qui jonchaient le sol. Mais quel poids pouvait donc faire cet énergumène, pour avoir réussi à passer assez au travers des solides planches qui constituaient, il y avait encore peu, son plancher ? Alors que le nouveau venu s'excusait de son mieux de cette interruption, la pâtissière se contentait de le dévisager fixement. Avant d'éclater de rire. Oui, il avait l'air totalement ridicule, les cheveux plaqués sur le crâne, les vêtements dégoulinants et la mine contrite. Hoquetant de rire, Yrhina tenta vainement de reprendre son souffle alors qu'il semblait d'autant plus gêné de la voir ainsi rire à ses dépends. Mais de le savoir en plus militaire, noble sans doute si elle se fiait à la particule de son nom ! La situation aurait pu difficilement être plus comique, à le voir si raide dans ses nippes trempées !
-Yrhina, finit-elle cependant par souffler en reprenant de son mieux son sérieux. Yrhina Blanchelune, et vous êtes dans la chambre que mes soeurs et moi occupons dans cette auberge.
Mieux valait pour lui qu'il ne soit pas trouvé par son père en ces lieux, car si l'artisan n'était guère effrayant, nul ne pouvait savoir quelle serait sa réaction s'il venait à trouver un homme dans la chambre de ses filles, de si bon matin et en compagnie de son aînée ! Un rouleau à pâtisserie n'écrasait pas que la pâte, après tout... Heureusement pour le dénommée Arrhys, aucun de leurs outils de travail n'avait été emmené avec eux, il pouvait donc ne craindre qu'une chaise fracassée sur la tête. Ce qui, en soi, n'était guère mieux.
-N'auriez-vous pas emmené une serpillière avec vous dans votre chute, Lieutenant ? Il me semble percevoir quelques gouttes d'eau sur le plancher.
Moqueuse ? Certes, mais bon enfant. Difficile de résister à la tentation face à cette scène grotesque, d'autant que la boutade n'était guère méchante. Un regard autour d'elle, et la jeune femme s'avança jusqu'à son drap de bain qu'elle avait mis à sécher quelques minutes plus tôt et, le récupérant, s'avança en rougissant vers son visiteur imprévu. Soudainement, elle songeait qu'arrivé un peu plus tôt, et elle aurait été bien plus embarrassée de le voir... ou plutôt que lui ne la voit. D'un autre côté, il aurait aussi pu la tuer dans sa chute.
Rejetant ces idées d'un mouvement de tête, elle se reconcentra sur le présent plutôt que sur quelques hypothétiques situations et fourra le linge dans les mains d'Arrhys.
-C'est une façon bien originale que d'arriver de la sorte. Que faisiez-vous donc, si je ne suis pas indiscrète, pour atterrir ainsi avec votre chaise dans ma baignoire ? Tenez, séchez-vous donc, vous allez prendre mal.
Elle devait reconnaître commencer à trouver elle aussi la situation quelque peu gênante. Que devait-elle faire, le faire sortir discrètement ? Lui proposer de l'accompagner petit-déjeuner en bas ? Le mettre dehors en se fâchant pour s'assurer qu'il n'ait pas de mauvaises intentions à son égard ? Mais si tel était le cas, il n'aurait pas pris le temps de se présenter et n'aurait sans nul doute pas l'air si mal à l'aise.