Août 1249
La session de la Chambre Haute venait de se terminer, et la prochaine n’étant pas prévue avant plusieurs jours, Liuśjen et sa fille retourneraient à Fontainectar. Leur demeure en Evalon intramuros avait certes toutes les commodités qu’ils pouvaient souhaiter, leur domaine était bien plus agréable pour vivre. Et Liuśjen préférait de loin être près de sa distillerie. Y compris lorsqu’il était en voyage, pour affaires personnelles, ou pour celles de l’Empire, ses pensées étaient souvent tournées vers son entreprise. Tout allait-il bien ? N’y avait-il eu aucun accident ? Sa production était telle conforme aux prévisions ?
De son pas lent, le Conseiller se dirigeait vers sa voiture, s’appuyant comme à l’accoutumé sur sa canne. Sa jambe droite était plus raide lorsque le temps était humide, et il pleuvait depuis bientôt trois jours. Seul cet après-midi avait été sans eau tombant du ciel, mais les nuages noirs qui s’amoncelaient de nouveau assuraient d’un orage pendant la nuit. L’homme en noir grimaça : les douleurs dans son genou continueraient de le lanciner pendant quelques jours encore. Le tirant de ses pensées fut Barnabé Ferbaril, son ‘’Capitaine de la Garde’’. Pour protéger leurs possessions et, surtout, leur société, les D’Empyrée avait de tout temps équipé une petite garde privée. Bien entendu, aucun d’entre eux ne prêtait serment – ils ne travaillaient après tout pas pour un grand seigneur, malgré que leur employeur appartînt à la haute noblesse – mais la paye était très bonne, ce qui faisait d’eux des mercenaires avec un sens du devoir et de loyauté.
Barnabé, donc, vint jusqu’à lui de son habituel pas rapide. Une fois à sa hauteur, il lui annonça ce que Liuśjen redoutait à chaque fois qu’il venait à Evalon avec sa fille. Celle-ci, lorsqu’il était avec la Chambre, aimait à se promener en ville. Son père la faisait toujours accompagner par un garde, mais la demoiselle, cette fois-ci, avait visiblement décidé de continuer ses explorations toute seule. Le Conseiller sentit un poids se former dans son estomac : il tenait à sa fille comme à la prunelle de ses yeux, et il était toujours malade d’inquiétude que quelque chose puisse lui arriver. Barnabé avait déjà envoyé ses hommes arpenter les rues de la capitale, mais Liuśjen rejoignit son carrosse aussi vite qu’il le put, et ordonna la mise en branle de celui-ci, afin de parcourir lui aussi la ville.
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Lyudmila était une belle petite fille de dix ans, qui en paraissait douze physiquement, et quatorze mentalement. Lorsqu’elle n’était pas avec son père, elle adorait se raconter des histoires. Un jour, elle était une grande Dame, le lendemain, une redoutable pirate, … Aujourd’hui, elle avait décidé d’être une exploratrice, et Evalon convenait parfaitement à ce nouveau métier. Sa robe, un peu moins, mais la vie étant faite d’épreuves, cela en ferait une de plus.
Elle avait faussé compagnie à son garde du corps, trouvant cela plus amusant. Elle savait que son père s’inquiéterait, comme il le faisait toujours, mais elle savait aussi que rien ne pouvait lui arriver. Qui s’en prendrait à elle ? Elle était la fille de l’une des familles les plus riches et influentes de l’Empire, et n’était-elle pas aussi la grande exploratrice qui avait découvert la ruelle secrète entre l’apothicaire et le confiseur ? Forte de cette pensée d’invincibilité, dont les enfants se persuadaient si aisément, elle s’était enfoncée dans les recoins de la ville, passant des quartiers riches à ceux plus communs.
Seulement, voilà, si elle savait tout cela, les trois hommes en face d’elle l’ignoraient visiblement. Ou s’en fichaient. Ou encore en étaient stimulés. Elle avait bien évidemment fini par se perdre, et n’avait pas demandé son chemin aux bonnes personnes. Ces trois citoyens, l’Edenté, le Tondu et le Borgne, comme elle avait fini par les surnommer par-devers elle, calculaient combien ils pourraient tirer de rançon s’ils l’enlevaient. Lyudmila était vive et agile, mais dans sa robe, face à trois adultes, elle savait qu’elle ne pourrait pas les distancer. Alors elle fit ce que toute petite fille aurait fait dans sa situation. Elle hurla.