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Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile]
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Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─ Dim 2 Sep - 13:17
Anonymous
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    Invité
    Août 1249


    La session de la Chambre Haute venait de se terminer, et la prochaine n’étant pas prévue avant plusieurs jours, Liuśjen et sa fille retourneraient à Fontainectar. Leur demeure en Evalon intramuros avait certes toutes les commodités qu’ils pouvaient souhaiter, leur domaine était bien plus agréable pour vivre. Et Liuśjen préférait de loin être près de sa distillerie. Y compris lorsqu’il était en voyage, pour affaires personnelles, ou pour celles de l’Empire, ses pensées étaient souvent tournées vers son entreprise. Tout allait-il bien ? N’y avait-il eu aucun accident ? Sa production était telle conforme aux prévisions ?

    De son pas lent, le Conseiller se dirigeait vers sa voiture, s’appuyant comme à l’accoutumé sur sa canne. Sa jambe droite était plus raide lorsque le temps était humide, et il pleuvait depuis bientôt trois jours. Seul cet après-midi avait été sans eau tombant du ciel, mais les nuages noirs qui s’amoncelaient de nouveau assuraient d’un orage pendant la nuit. L’homme en noir grimaça : les douleurs dans son genou continueraient de le lanciner pendant quelques jours encore. Le tirant de ses pensées fut Barnabé Ferbaril, son ‘’Capitaine de la Garde’’. Pour protéger leurs possessions et, surtout, leur société, les D’Empyrée avait de tout temps équipé une petite garde privée. Bien entendu, aucun d’entre eux ne prêtait serment – ils ne travaillaient après tout pas pour un grand seigneur, malgré que leur employeur appartînt à la haute noblesse – mais la paye était très bonne, ce qui faisait d’eux des mercenaires avec un sens du devoir et de loyauté.

    Barnabé, donc, vint jusqu’à lui de son habituel pas rapide. Une fois à sa hauteur, il lui annonça ce que Liuśjen redoutait à chaque fois qu’il venait à Evalon avec sa fille. Celle-ci, lorsqu’il était avec la Chambre, aimait à se promener en ville. Son père la faisait toujours accompagner par un garde, mais la demoiselle, cette fois-ci, avait visiblement décidé de continuer ses explorations toute seule. Le Conseiller sentit un poids se former dans son estomac : il tenait à sa fille comme à la prunelle de ses yeux, et il était toujours malade d’inquiétude que quelque chose puisse lui arriver. Barnabé avait déjà envoyé ses hommes arpenter les rues de la capitale, mais Liuśjen rejoignit son carrosse aussi vite qu’il le put, et ordonna la mise en branle de celui-ci, afin de parcourir lui aussi la ville.


    ******

    Lyudmila était une belle petite fille de dix ans, qui en paraissait douze physiquement, et quatorze mentalement. Lorsqu’elle n’était pas avec son père, elle adorait se raconter des histoires. Un jour, elle était une grande Dame, le lendemain, une redoutable pirate, … Aujourd’hui, elle avait décidé d’être une exploratrice, et Evalon convenait parfaitement à ce nouveau métier. Sa robe, un peu moins, mais la vie étant faite d’épreuves, cela en ferait une de plus.

    Elle avait faussé compagnie à son garde du corps, trouvant cela plus amusant. Elle savait que son père s’inquiéterait, comme il le faisait toujours, mais elle savait aussi que rien ne pouvait lui arriver. Qui s’en prendrait à elle ? Elle était la fille de l’une des familles les plus riches et influentes de l’Empire, et n’était-elle pas aussi la grande exploratrice qui avait découvert la ruelle secrète entre l’apothicaire et le confiseur ? Forte de cette pensée d’invincibilité, dont les enfants se persuadaient si aisément, elle s’était enfoncée dans les recoins de la ville, passant des quartiers riches à ceux plus communs.

    Seulement, voilà, si elle savait tout cela, les trois hommes en face d’elle l’ignoraient visiblement. Ou s’en fichaient. Ou encore en étaient stimulés. Elle avait bien évidemment fini par se perdre, et n’avait pas demandé son chemin aux bonnes personnes. Ces trois citoyens, l’Edenté, le Tondu et le Borgne, comme elle avait fini par les surnommer par-devers elle, calculaient combien ils pourraient tirer de rançon s’ils l’enlevaient. Lyudmila était vive et agile, mais dans sa robe, face à trois adultes, elle savait qu’elle ne pourrait pas les distancer. Alors elle fit ce que toute petite fille aurait fait dans sa situation. Elle hurla.
    Re: Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─ Dim 2 Sep - 21:25
    Anastasie Lunétoile
      Anastasie Lunétoile
      Prêtresse
      La prêtresse n'aimait pas voyager, c'était une certitude depuis longtemps. Mais il y avait parfois des cas pour lesquels il fallait se forcer, et comme Anastasie n'excellait pas vraiment dans l'art délicat du refus cela lui arrivait très régulièrement. Un tout jeune prêtre d'Evalon se trouvait dans une situation préoccupante et avait demandé l'avis de plusieurs confrères et consoeurs au sujet de l'un de ses patients. L'homme n'était pas sur le point de mourir - ce qui était déjà agréable pour des prêtres de Tamas trop habitués aux funérailles-  mais sa maladie était pour lui un grand handicap et son médecin ne savait plus que faire pour le sortir de cette mauvaise passe, si cela était possible. Tout le monde convenait néanmoins qu'il était difficile de donner un avis ou des conseils précis quand on n'avait pas le malade sous les yeux, et pire encore, quand la moindre lettre risquait d'arriver avec un délais assez grand pour la rendre inutile voire dangereuse en cas d'évolution du problème. Ana n'était pas la plus proche, mais elle n'était pas la plus occupée, et il fut décidé qu'elle irait donc passer quelques jours à la capitale pour se rendre utile. Elle serait sans doute d'un plus grand soutien à ce jeune prêtre plus qu'au malade en question, mais si cela pouvait être utile...

      La voilà donc fraîchement débarquée à la capitale après un trajet qui se passa tout à fait sans encombres. Comme elle avait de fort mauvais souvenirs de son dernier séjour dans la ville elle n'avait pas tardé à se présenter là où elle était attendue, sans avoir l'intention de faire du tourisme de quelque manière que ce soit. Elle ne devait rester que quelques jours de toute façon, avant de reprendre la route et retourner à sa paroisse: son escorte était déjà arrangée. Si elle se retrouva seule dehors dans les rues, ce fut pour l'unique raison qu'elle avait quelques achats à effectuer pour un remède qu'il fallait essayer. A vrai dire ce n'était pas de gaieté de coeur, et si elle avait pu se passer de cette sortie elle l'aurait sans doute fait. Mais comme déjà dit, le refus n'était pas sa tasse de thé.

      Quand elle entendit unepetite voix se mettre à hurler, elle était plus ou moins sur le chemin du retour. Anastasie n'avait pas trouvé tout ce qu'elle cherchait mais elle saurait se débrouiller avec ce qu'il y avait, comme toujours. Le cri attira tout de suite son attention. La dernière de ses mésaventures avait commencé de la même manière et s'était assez mal terminée, il fallait l'avouer, mais entendre une voix si aiguë l'inquiétait. C'était un cri d'enfant. Ana n'était pas douée pour occulter la souffrance ou les appels au secours de ses semblables et c'était encore pire quand elle les savait particulièrement vulnérables, que ce soit par leur âge ou par autre chose. Elle pressa le pas et ne tarda pas à apercevoir le problème à une intersection.

      Dans la rue à sa gauche, il y avait une demoiselle qui portait une très jolie robe. Son allure toute entière semblait crier qu'elle n'avait rien à faire dans ce quartier qui, sans être l'un des plus pauvres, n'était pas du tout le mieux fréquenté. Ana vit tout de suite les trois hommes à sa suite, qui la séparaient de l'enfant, et dont le genre lui semblait tout à fait différent. Trois hommes. Le même nombre que ceux qui l'avaient enfermé dans cette horrible cave. Anastasie comprit bien vite qu'il y avait un problème et que la demoiselle n'avait sûrement pas crié par simple dégoût pour l'apparence peu soignée de trois hommes sûrement inconnus qui la suivaient sans trop se cacher à présent. Comptant sur la sympathie que ses vêtements de prêtresse et son air doux inspiraient souvent, elle décida qu'elle allait faire quelque chose.

      Pressant le pas, elle dépassa bien vite les hommes et approcha de l'enfant en trottinant presque malgré sa robe.

       - Alice !
      S'exclama-t-elle d'une voix forte et inquiète. Mon enfant, où étais-tu passée?  

      Comme elle tournait le dos aux hommes, ils ne pouvaient sûrement pas voir la gêne sur son visage à cause du mensonge. Heureusement. La prêtresse adressa un clin d'oeil maladroit à l'enfant, espérant que la solidarité féminine suffirait à les sortir de là. Après tout, à vingt-neuf ans, Ana pouvait bien se faire passer pour la mère de la demoiselle. Elle fit semblant de s'inquiéter de l'état de la robe de la jeune fille, et dont la longueur était tachée par les saleté qui devaient traîner par terre.

       - J'étais très inquiète!
      Cette fois-ci elle n'eut pas besoin de feindre: voir cette jeune fille seule ici avait effectivement été particulièrement inquiétant.  

      Il ne restait plus qu'à prier à présent. Comptant sur la vivacité d'esprit de la demoiselle autant que sur la lenteur ou la lâcheté des trois hommes qui l'avaient effrayée, Anastasie saisit le premier bout de bras qu'elle trouva sous sa main et attira la demoiselle avec elle en pressant le pas.

       - Tamas soit louée, rentrons.  

      Elle serra les dents. Il fallait espérer que la petite n'ait pas eu peur de son intervention et en plus que celle-ci parvienne à décourager les trois hommes. Ce n'était pas gagnée. Mais même s'ils décidaient d'user de la violence Ana ne les laisserait pas faire. Elle avait déjà vecu beaucoup de choses et savait ce que c'était que souffrir, elle n'hésiterait pas à tout faire pour épargner cela à une enfant.
      Re: Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─ Dim 16 Sep - 10:09
      Anonymous
        Invité
        Invité
        La salvation venait parfois de là où on l’attendait le moins. Ce fut la première leçon de la journée que Lyudmila apprit. Mais avec ce savoir vint aussi une prise de conscience : quelle qu’ait pu être l’aide en question, la jeune fille se serait jetée dessus comme un naufragé s’agripperait à une planche en bois au milieu de la mer déchaînée.  Sa planche à elle vint en la personne d’un être qui, sur le moment, lui parut tout auréolé de lumière divine. Sans en avoir conscience, elle sut ce que sa sauveuse tentait de faire, et l’enfant, dans son anxiété réagit presque machinalement et entra dans le jeu de l’inconnue. De son pas entravé par la longueur de sa robe, Lyudmila courut vers elle et s’accrocha à sa taille.


        « Mère ! cria-t-elle d’une voix dont la peur, ni les tremblements de son corps, n’étaient feints. »


        Son corps exprimait tout ce qu’elle n’était pas en état de dire : l’angoisse qui était sienne, lui faisant oublier toute son éducation qui interdisait d’ordinaire de se ruer dans les bras de personnes inconnues, fussent-elles gentilles, et de s’agripper à elles de toute la force de son corps ; ainsi que la gratitude extrême qu’elle éprouvait en cet instant, quoique ternie par la présence des trois malandrins près d’elles. Lorsque la jeune femme attrapa son bras et commença à l’entraîner, Lyudmila se laissa faire, serrant de sa main libre celle qui la tenait, mais sa plus grande crainte se réalisa : les trois hommes revinrent à leur hauteur et leur barrèrent la route.


        « Partez donc pas, mes jolies, dit l’Edenté. Vous pourriez p’t’être b’en v’nir dans nos bras, pour qu’vous rassure un peu. »
        ******


        Ce fut le cocher qui entendit le premier le cri perçant provenant d’une ruelle parallèle à celle où il avait engagé la voiture à la suite de deux de leurs hommes d’arme. Son employeur, lorsqu’il parlait avec lui, lui avait dit que la jeune maîtresse aimait à explorer son environnement dès qu’elle en avait l’occasion. Originaire des parties basses de la Capitale, il savait que les rues et recoins constituaient un formidable terrain de jeu, bien qu’extrêmement dangereux pour une fillette, surtout aussi bien habillée. Lorsqu’il indiqua la source du bruit aux deux gardes, ces derniers partirent en avant, mais la densité dans cette rue l’empêchait de mouvoir rapidement le lourd carrosse.

        Liuśjen estima qu’il s’écoula un peu moins de dix minutes entre le moment où son cocher s’était exclamé et celui où sa voiture s’arrêta dans la rue d’où provenait le cri. Aussi rapidement que le lui permettait sa jambe raide, le Conseiller descendit dans la rue, et regarda autour de lui. Il voyait deux de ses hommes, l’épée tirée, faisant face à trois hommes miteux et misérables. Un peu plus loin, il vit une femme portant des vêtements rappelant ceux d’une religieuse, et à son bras était pendue sa fille. Lorsqu’elle le vit, cette dernière se rua dans ses bras, et l’homme sentit un intense soulagement parcourir son corps. C’est alors qu’elle fondit en larmes, lui racontant entre deux sanglots ce qui s’était passé. Lui caressant la tête, geste qui avait le don de l’apaiser, Liuśjen releva la tête et s’adressa à Barnabé, qui venait d’arriver avec deux hommes supplémentaires – le reste sillonnant encore Evalon.[/i]


        « Trouvez un Sergent du Guet, et faîtes en sorte que ces trois impécunieux ne revoient jamais la lueur du jour. »


        La froideur de ses yeux et la dureté de son visage disparurent tandis que son regard allait se poser sur celle qui, selon les dires de sa fille, l’avait sauvé telle une envoyée des Dieux. Tenant d’une main sa fille, et de l’autre sa canne, Liuśjen avança doucement vers elle, le pas prudent sur ce sol irrégulier. Une fois les quelques mètres les séparant traversés, le Conseiller s’arrêta devant elle, s’inclinant autant qu’il le pouvait devant l’inconnue.


        « Ma Dame, je ne sais comment vous remercier d’être venue au secours de ma précieuse fille. Lyudmila m’a raconté comment vous êtes intervenue, et pour cela je suis votre obligé. »
        Re: Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─ Dim 16 Sep - 14:13
        Anastasie Lunétoile
          Anastasie Lunétoile
          Prêtresse
          La pauvre enfant semblait terrorisée. Il n'y avait qu'à voir avec quelle force elle avait étreint Anastasie et de quelle manière elle la tenait toujours pour en être convaincue. Sa voix même avait laissé échapper beaucoup de l'angoisse qui devait être la sienne. La main de la prêtresse sur son bras était plus ferme et plus déterminée, mais elle était loin de se sentir beaucoup mieux que la petite.

          Seulement elle ne pouvait pas se laisser aller à l'angoisse. La demoiselle, dont elle ignorait toujours le prénom, comptait sur elle pour la sortir de là à présent. La prêtresse prit une grande inspiration. Elle sentait l'enfant trembler juste à côté d'elle, si proche que le bas de leurs robes se touchaient, et cela lui interdisait de sombrer dans la peur à son tour. Qui sait ce que feraient ces trois hommes ? La robe de l'enfant avait dû attirer la convoitise, et la promesse de gains les auraient peut-être empêché de trop la violenter. Mais Ana savait trop bien ce qu'on ressentait entre les mains de brigands et sa détermination ne faillirait pas cette fois.

          Les trois hommes ne les laissèrent pas fuir. Il devait être désagréable de voir leur proie leur échapper, sans doute. Leurs pas devinrentplus rapides, et les deux femmes gênées par leurs vêtements ne pouvaient pas espérer les distancer à moins de relever leurs robes et de se mettre à courir. Anastasie ne l'avait fait qu'une fois, et c'était loin d'être un souvenir agréable: ils l'avaient rattrapée. Leurs agresseurs -ou du moins les hommes qui ne tarderaient pas à l'être- les dépassèrent et leur barrèrent la route avec un naturel presque déconcertant. Ils n'étaient sûrement pas à leur coup d'essai, pensa la prêtresse en s'arrêtant net et tirant un peu sur le bras de la petite pour l'empêcher de s'éloigner.

          « Partez donc pas, mes jolies. Vous pourriez p’t’être b’en v’nir dans nos bras, pour qu’vous rassure un peu. »

          Les autres rirent un peu mais les demoiselles ne firent pas de même. Anastasie espérait que l'emploi du pluriel dans cette "menace" était un hasard parce qu'elle imaginait bien de quelle étreinte ils voulaient parler.

          - Laissez-nous.

          Elle n'avait pas crié, mais toute la fermeté dont était capable une voix habituellement si douce avait été concentrée dans ces deux mots. Elle se tint aussi droite qu'elle le put, fronça les sourcils et se força à soutenir leurs regards. Au fond d'elle, Ana était terrorisée. Si elle avait été seule, la peur l'aurait paralysée comme souvent elle le savait. Mais il avait la petite main de la demoiselle qui serrait un peu sa robe, et qui l'empêchait de flancher. Celui qui avait parlé jusque là, dévoilant une dentition assez approximative, reprit la parole. Il faisait un peu figure de tête de groupe, et la prêtresse le regarda de haut en bas pour le fixer dans sa mémoire. Il expliqua que si elle leur laissait l'enfant ils pourraient peut-être songer à la laisser tranquille elle, et que vu les vêtements de sa fille elle n'aurait aucun mal à trouver de quoi payer pour la récupérer, en allant par exemple prévenir le père. Observant néanmoins qu'elle était prêtresse de Tamas -ce qui ne sembla pas les intimider- ils ne prirent pas la peine de chercher sa bourse.

          Mais Anastasie ne pouvait pas imaginer une seule seconde abandonner la fille à son triste sort, même pour aller chercher de l'aide auprès de garde. Les Trois seuls connaissaient le plan de cette petite bande, ce serait trop long et trop risqué. Les hommes approchaient mais elle passa devant l'enfant pour leur faire barrage. C'était de toute façon ce qu'une mère aurait fait.

          - Vous ne la toucherez pas
          , répondit-elle, mais cette fois-ci sa voix était comme fêlée.

          Elle repoussa avec une force insoupçonnée mais tremblante une main sale qui s'était tendue vers son visage comme pour lui caresser la joue, et recula en poussant la petite derrière elle. Il ne restait plus qu'à prier pour l'aide des dieux, pour une opportunité qu'elles pourraient saisir. Un murmure de prière glissa hors des lèvres de la clerc. Et il fut entendu.

          Deux silhouettes massives s'engouffrèrent brusquement dans la rue, coupant toute possibilité de retraite aux trois hommes qui avaient cru pouvoit les menacer impunément. Ils ne tardèrent pas à effrayer les agresseurs lorsque le bruit des armes que l'on sortait de leur fourreau parvint jusqu'à leurs oreilles. Deux contre trois, voilà qui pouvait sembler bien peu mais les trois brigands ne paraissaient pas bien armés. L'un tenta de sortir quelque chose mais la lame était dans un piteux état. Les deux hommes en face ne sourcillèrent pas et se mirent en garde. Ana ne suivit pas la suite.

          Elle avait encore avec elle une enfant dont elle avait plus ou moins accepté la charge et qu'elle ne pouvait pas se permettre d'oublier même pour assouvir sa curiosité quant au sort des trois assaillants. Une enfant qu'il fallait rassurer. La demoiselle avait les larmes et aux yeux et ne l'avait pas lâchée. Anastasie la serra doucement contre elle, tout en s'arrangeant pour qu'elle ne puisse pas voir la scène et en lui murmurant quelques paroles rassurantes. La prêtresse n'avait pas envie de la traumatiser davantage en la laissant voir un combat qui pourrait peut-être mal tourner. Quant à elle, elle observait discrètement en cherchant un échappatoire, qu'elles trouveraient sans doute en fuyant pendant que les trois misérables avaient le dos tournés. Heureusement il ne se passa rien de grave, et les trois hommes finirent dans un coin de la ruelle et sous étroite surveillance.

          D'autres personnes arrivèrent alors. La demoiselle sembla les reconnaître, ou au moins l'un d'entre eux, et elle se précipita subitement vers un homme appuyé sur une canne. Ana aperçut l'enfant se laisser aller à ses larmes et l'affection que lui témoigna en retour l'homme laissait imaginer qu'il était un de ses proches: un père, un oncle peut-être...

          Bon. Voilà une histoire qui terminait bien. La pression retombait alors pour la prêtresse: tout était fini. Ses mains tremblèrent tout à fait, son teint devint parfaitement livide. Si elle avait été seule, elle se serait peut-être laissé glisser contre un mur le temps de reprendre ses esprits. La peur l'étreignait bien mieux maintenant qu'elle comprenait tout à fait à quoi elle avait échappé. Mais comme elle était en public il fallait se resaisir et vite. Une grande inspiration. Ube deuxième. Elle passa une main sur son visage et se décida à s'éloigner. On n'avait pas besoin d'elle ici.

          Anastasie avait été si perturbée qu'elle n'avait pas remarqué que l'enfant qu'elle avait aidée et son probable parent se dirigraient vers elle. Elle leur adressa un sourire mal à l'aise, songeant à s'éclipser plus qu'autre chose, et elle sentit très nettement son estomac se serrer en voyant l'homme à la canne se pencher.

          - Oh je... Je vous en prie ce n'est vraiment pas... Nécessaire.


          Elle avait tendu une main particulièrement tremblante en avant comme si elle allait aider l'homme à se redresser mais bien évidemment c'était inutile. Ana semblait un peu paniquée. Elle avait bien plus l'habitude de la reconnaissance discrète des gens du peuple, ceux qui ralaient devant les remèdes mais pensaient parfois à lui apporter un petit quelque chose, un morceau de nourriture, en disant maladroitement qu'ils avaient pensé à elle. C'étaient beaucoup trop d'émotions d'un coup, et elle avait du mal à savoir comment gérer tout ça.

          - Tout le monde... Tout le monde l'aurait aidée. Et puis... Sans doute plus... Plus efficacement que moi.


          Son coeur battait à cent à l'heure et elle priait en plus de tout pour ne pas se montrer trop ridicule. Elle aurait quelque chose à raconter à son jeune confrère en rentrant, voilà qui était certain.
          Re: Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─ Sam 27 Oct - 17:55
          Anonymous
            Invité
            Invité
            La jeune inconnue semblait gênée, peu à son aise, ce qui en un sens plut immédiatement au Conseiller. Il avait horreur des personnes trop sûres d’elles, souvent arrogantes, au point d’en être insupportables. Il estimait que la confiance en soi était une chose importante, mais pas au point d’aveugler et de rendre hautain. Aussi se redressa-t-il, un éclat amusé dans le regard. Cela ne dura pas, toutefois, et ses yeux reprirent bien vite leur expression dure et glaciale, tandis qu’il détaillait celle qui pour sa fille avait incarné la Providence. Elle était petite et frêle, pas le moins du monde intimidante ; elle correspondait à la description des jeunes demoiselles en détresse dans certains romans de chevalerie, pas le genre à courir au-devant des ennuis. Et pourtant, c’était elle qui était venue au secours de sa fille, se dressant entre elle et trois moins-que-rien, plus miteux qu’un ramassis de détritus laissé au soleil d’Eté des jours durant, se mettant par là même en danger d’être également prise pour cible. Physiquement, elle n’aurait pas fait le poids, et elle en avait certainement conscience. Cela ne l’avait pourtant pas empêché d’agir comme elle l’avait fait. Il y avait en elle une force, un courage insoupçonné, et il suspectait qu’elle l’ignorait elle-même.


            « Ce que tout le monde aurait fait ou non ne m’importe pas, commença-t-il d’une voix profonde, calme, comme s’il énonçait un simple fait. Demain, ou en un autre lieu, un Chevalier aurait pu voler au secours de ma fille. Ou peut-être aurait-ce été un palefrenier. Mais aujourd’hui, ce fut vous qui vous trouvâtes exactement là où vous étiez appelée, au moment où il le fallait.
            Eussiez-vous été en un autre lieu, ma Lyudmila aurait sans doute été perdu. Alors je ne vous laisserai pas minimiser votre acte, vous qui sans être guerrière vous êtes dressée entre une jeune âme innocente et trois créatures perverties par une envie malsaine. »



            Son ton était dur, et ses paroles pouvaient sonner comme une remontrance, mais il n’en était en réalité rien du tout. Il s’agissait juste de sa manière d’être, et l’austérité de son expression n’était pas pour arranger les choses. Liuśjen ne s’était d’ailleurs même pas rendu compte des effets que cela avait eu sur son interlocutrice, avant que sa fille ne lui presse doucement la main, essayant de lui signifier qu’il était en train d’effrayer l’inconnue. Son regard passa de sa fille à la jeune femme, et son torse se gonfla tandis qu’il prenait une longue inspiration avant de reprendre la parole.


            « Ma fille est ce qui compte le plus à mes yeux, aussi, je serai toujours dans l’incapacité de vous remercier à la hauteur de ce que vous avez fait. Toutefois, nul ne dira qu’un D’Empyrée a jamais manqué de rembourser quelqu’un envers qui il était redevable. Aussi humble que cela puisse paraître, ma Dame, je souhaiterais vous inviter à dîner ce soir dans ma demeure. Peut-être alors pourriez-vous me parler de vous, et nous conter vos aventures, fussent-elles humbles ou héroïques. »


            Il inclina légèrement la tête, un léger frémissement des lèvres indiquant un fantôme de sourire destiné à adoucir le ton sur lequel ses paroles avaient été prononcées. Pour les relations humaines, Lyudmila était bien plus douée que lui, plus prompte à montrer ses émotions, plus chaleureuse.

            ******

            Accrochée à la main de son père, Lyudmila n’avait d’yeux que pour sa fausse mère d’un instant. La panique ayant depuis longtemps déserté ses pensées, elle pouvait contempler l’inconnue à loisir, et l’avait classé dans la catégorie des envoyés divins. Tant de lumière émanait d’elle, qu’elle n’avait pas de souhaits plus chers que de lui poser mille et unes questions afin d’en savoir plus sur elle. Ce fut grâce à cet examen minutieux qu’elle parvint à voir, contrairement à son père, que ce dernier l’effrayait, l’intimidait tout du moins. Elle lui serra alors doucement la main, et réussit à le lui faire comprendre. Oh, comme elle aurait aimé pouvoir lui parler dès maintenant, mais les règles de politesse que sa gouvernante et ses précepteurs lui avaient inculquées lui interdisaient de parler outrancièrement lorsque les grandes personnes étaient en pleine conversation.

            Elle ne put toutefois pas cacher sa joie lorsque son père invita la jeune femme à venir prendre le repas chez eux. Son visage s’illumina d’un grand sourire, et elle trépignait d’impatience d’attendre la réponse de l’intéressée. Tellement qu’elle lâcha son père pour attraper des deux mains l’une de sa sauveuse, et de lever vers elle un regard fébrile empli d’émerveillement. Oubliant son éducation, elle ronronna presque lorsqu’elle lui adressa la parole.



            « Oh, je vous en prie, dîtes oui. Nos cuisiniers sont les meilleurs de l’Empire, et nous vous donnerons une chambre plus que confortable, s’emballa-t-elle, ayant déjà décidé que la jeune femme passerait la nuit chez eux. Je vous ferai visiter toute la maison, et le jardin, aussi ! Nous avons de magnifiques fleurs ! Vous pourrez vous en faire un bouquet, et… »

            ******

            « Lyudmila, interrompit-il sa fille d’une voix sévère, dans laquelle perçait toutefois une pointe d’amusement. Ne sois pas aussi enfiévrée.
            Toutefois,
            reprit-il à l’adresse de celle qui lui faisait face. Il est vrai qu’il se fera tard une fois le repas terminé. Nous mettrons une chambre et une salle d’eau à votre disposition pour passer la nuit. »
            Re: Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─ Sam 27 Oct - 19:34
            Anastasie Lunétoile
              Anastasie Lunétoile
              Prêtresse
              Anastasie avait vraiment envie de disparaître. L'histoire s'était bien terminée et c'était un véritable soulagement pour tout le monde, sauf peut-être les trois hommes qui avaient cru pouvoir violenter une pauvre enfant impunément. Cela avait néanmoins suffit à rappeler des souvenirs particulièrement pénibles à la prêtresse, ces mêmes souvenirs qui l'avaient poussée à agir alors qu'elle savait très bien au fond qu'elle n'avait aucune chance, ces souvenirs là qu'elle avait voulu épargner à la jeune fille. Elle n'avait vraiment aucun mérite à avoir agi, tout simplement parce qu'elle n'avait suivi que son instinct – et pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un instinct de survie d'ailleurs. Et puis au fond, elle n'aurait rien pu empêcher s'ils avaient vraiment voulu passer à l'action. C'était aussi cette impression tenace d'avoir plongé sans filet dans le vide qui faisait battre son cœur si vite, qui la rendait si pâle, si gênée, si perdue.

              Il fallait dire que son interlocuteur ne faisait rien pour l'apaiser non plus. Alors qu'Ana aurait tout donné, elle qui ne possédait rien, pour disparaître et pouvoir fondre en larmes et décompresser dans un coin, pour retourner voir son confrère et tenter d'oublier, il lui parlait d'un air sévère. Son regard était froid, presque incisif, il faisait sentir à la prêtresse qu'elle avait fait quelque chose de mal sans qu'elle sache exactement quoi. Bref, il rajoutait à son malaise sans rien apaiser. C'était un peu comme s'il lui donnait un ordre et qu'il lui reprochait quelque chose à la fois. Il était évident que cet homme avait de l'argent, et il apparaissait avec la même clarté qu'il avait l'habitude qu'on lui obéisse. Ana ne sut pas cacher le mouvement de recul que tout ceci lui inspira, elle baissa les yeux d'un air presque honteux et ses épaules se replièrent presque, comme si elle se recroquevillait sous le poids des reproches. La longue inspiration qu'il prit se confondit avec un soupir aux oreilles d'Ana, et elle crut un instant l'avoir véritablement contrarié. Elle redoutait les conséquences que cela pourrait avoir.

              Elle ne s'attendait certainement pas à ce qui suivit. Elle ? Invitée à manger ? L'homme ne s'était pas présenté en bonne et due forme, mais Anastasie avait bien entendu un nom de famille qui, couplé à l'élégance et aux moyens de l'homme qu'elle avait en face d'elle, ne laissait pas de doute quant au prestige de sa maison. Elle, pauvre prêtresse de Tamas qui s'était simplement trouvée là, invitée chez un homme pareil ? Chez un homme qui avait réussi à la terroriser en moins de deux minutes ? Hors de question. Après tout, sa place n'était pas là. Elle devait retourner là où elle était attendue, auprès du confrère qui avait réclamé son aide. Le léger sourire qui tenta de prendre place sur le visage de son interlocuteur ne suffirait sans doute pas à la faire changer d'avis. Il n'était pas poli de refuser une invitation, mais il l'avait mise si mal à l'aise qu'elle n'imaginait pas survivre à un repas complet en sa compagnie.

              Et puis il y eut Lyudmila. Celle qui avait poussé Ana à faire quelque chose, celle qui tenait discrètement la main de son père, celle qui ne semblait même pas réaliser à quoi elle avait échappée. Son père disait qu'il aurait pu la perdre, et pourtant elle ne semblait même plus y penser. Qu'elle avait de la chance. Et quel enthousiasme ! Elle avait l'air si heureuse de cette proposition, elle serra avec tant de sollicitude la main d'Anastasie que celle-ci se trouva bien en peine de répondre quoi que ce soit. Les arguments avancés n'étaient pas les plus à même de séduire la prêtresse. Le luxe ne faisait pas partie des choses qu'elle recherchait, elle qui avait voué sa vie à Tamas et renoncé aux possessions terrestres. Elle appréciait beaucoup les jardins, certes, c'était ce qui pouvait le plus l'intéresser dans la liste que Lyudmila commença à présenter. Elle semblait avoir beaucoup de choses à vanter pour tenter d'obtenir une réponse affirmative, mais son père finit par se lasser, ou peut-être par la trouver trop impolie.

              Mais Lyudmila, elle avait déjà un peu réussi. Parce qu'elle avait attiré un petit sourire attendri bien que mal à l'aise sur le visage d'Ana. Parce que la prêtresse n'avait aucune envie de refuser quelque chose de si simple que sa présence à quelqu'un qui la souhaitait tant. Anastasie était rarement quelqu'un qu'on refusait où que ce soit. Mais souvent on la tolérait, on la gardait là parce qu'elle servait les dieux, parce qu'on ne pouvait pas s'en débarrasser, parce qu'au fond elle se montrait parfois utile quand on était malade. On appréciait rarement d'avoir un prêtre de Tamas auprès de soi, parce qu'on songeait souvent que ce serait pareil au moment de sa mort. Il était rare de voir tant d'engouement. Anastasie se prit à penser que la petite n'avait peut-être pas compris le pendentif en forme de serpent, ou qu'elle était sans doute trop jeune pour songer déjà à son décès.

              -Eh bien...
              Elle hésita encore un peu, parce qu'elle se rappelait tout de même de son devoir, et du mal-être qu'elle avait ressenti à ce début de conversation. Je m'en voudrais de décevoir un tel enthousiasme....

              Un mouvement de tête indiqua finalement qu'elle acceptait l'invitation. Elle craignait un peu de le regreter. Non pas qu'elle doute de l'hospitalité des d'Empyrée ! Mais elle avait surtout peur qu'on la prenne pour quelqu'un qu'elle n'était pas, et de ne pas se trouver à sa place.
              Re: Le Sens des Mots [PV Anastasie Lunétoile] ─
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