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Croire aux rescapés [Alaric Ailargent]
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Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Lun 3 Sep - 18:45
Isabelle Menescalcir
    Isabelle Menescalcir
    Palefrenière

    Croire aux rescapés



    Avec Alaric Ailargent




    La bistre populace d’Evalon grouillait devant la porte nord. L’hiver, qui avait été plus clément ces derniers jours, revenait avec ses marres de brumes et son manteaux couvert bourbe. Au milieu de la foule de gens pressés, des passants emmitouflés, des caravanes de marchands qui partaient avec des escouades de mercenaires, Isabelle se tenait les côtes et peinait à garder les paupières ouvertes pour guetter les va et vient incessants autour des immenses battants cloutés qui s’ouvraient sur la route de pavés. A ses côtés, Parreloup, le grand hongre brun, posait un œil bien placide sur toute l’agitation de ce pan d’humanité braillard.

    Il était temps pour la palefrenière de partir. Evalon lui avait fait suffisamment perdre de temps et causé trop de tors. Trois jours avaient passé depuis qu’un infect personnage eut décidé de poser les mains sur elle pour la briser en quelques morceaux. Dans l’altercation, elle avait perdu des côtes qui ne flottaient plus que parce qu'une bande serrée sous son corsage, en dessous de sa tunique et de sa pelisse, les soudaient au reste de sa cage thoracique. Grâces aux onguents d’une adorable miresse, les hématomes qui maculaient son corps s’étaient estompés, passant du noir au bleu, du bleu eu vert, et du vert au jaune dans un dégradé qui tirait vers le rose habituel de sa jeune peau mordue par le froid. Mais pour tenir debout, elle avait recours à cette pâte d’opium fournie par la prêtresse et une sacrée dose de lambic qui la faisait tanguer plus qu’à l’habitude. La boiteuse chaloupait comme un navire au bord de l’écueil. Elle se raccrochait à l’encolure de sa monture et glissait, sous l’implantation du crin, les doigts qui dépassaient de ses mitaines en laine pour les réchauffer.

    Depuis le matin, elle tentait de se greffer aux différents cortèges qui prenaient la route. Toutefois, jusqu’ici, soit les voyageurs qu’elle avait interrogés s’en allaient trop à l’Est ou trop à l’Ouest, soit l’escorte coûtait plus que ce que la cavalière pouvait se permettre.

    Parce que son esprit était trop embrumé par toutes les substances qui débarrassaient son corps des moindres douleurs, elle s’en tenait au plan de base : trouver le voyage le plus direct et qui la laisserait au plus proche de la poste à chevaux. Après les horreurs qu’elle avait vues lors du voyage vers Evalon en compagnie de Guillaume de Mornoie, l’idée de faire chemin seul, dans son état de surcroît, tenait davantage de la folie furieuse que de la bravoure. Alors, elle consultait tout le monde, répétant le même discours à tous ceux qui voulait bien l’écouter jusqu'au bout :

    Mesdames, messieurs, messires, bonjour. Vous rendez vous à la Croix des Espines ? Et passez vous par la Croix de Castris ? Accepteriez vous que je me joigne à vous ?

    Mais souvent, la langue pâteuse et le regard fuyant de la jeune femme avait raison d’elle. Personne ne se serait accordé à dire qu’elle faisait gueuse, mais à vaciller ainsi sur ses jambes, elle n’inspirait pas confiance. Et à force de se rapprocher de tous les groupes sur le départ, elle finissait, sans le vouloir, à attirer l’attention et importuner tout le monde.

    A un moment, un mercenaire qui escortait déjà deux dames confortablement assises dans une jolie diligence la repoussa un peu durement. A cause de son équilibre précaire, Isabelle se retrouva par terre, la jambe en bois au travers du passage. Sans plus aucune volonté pour se relever, elle regarda la voiture tractée par deux grands palefrois noirs s’éloigner, les rênes de Parreloup dans les mains et les mains croisés sur les genoux qu’elle avait repliés sur la poitrine.

    Même s’il gelait à pierre fendre, la jeune femme ferma les yeux. Son corps brisé l’engonçait. Et arrêter de se mouvoir comme un pantin désarticulé la soulageait un peu. Elle sentait le sommeil se glisser sous ses paupières pendant que le givre se prenait dans ses cheveux et les plis de son visage marqués par ce que l’enfance a de plus doux, et de ce que l’âge adulte a de plus cruel. Et elle aurait pu rester une éternité là, à attendre qu’on la chasse. Elle trônait sur le bord de la route, avec la nonchalance d’une statue posée au hasard.

    Ce furent les nasaux chauds dans sa nuque qui la firent rouvrir un œil puis l'autre. Une bonne heure avait fui et, dans son sang, la gnôle se diluait lentement. Et ce qu’elle vit en premier, ce fut une paire de bottes. Juste devant elle. A même pas une coudée du bout de son pied valide. Des bottes de bonne facture en cuir, comme les militaires et les chasseurs aiment s'en doter. Comme les chaussure restaient plantées là, elle remonta prudemment les yeux vers les genoux de leur propriétaire, puis vers les immenses mains couvertes de gants de cuirs de l’étranger, sur la manchette métallique qui parait son poignet droit. Les prunelles de la cavalière continuèrent leur ascension sur une carrure large et haute et tombèrent finalement sur un visage encadré de longs cheveux châtains et d'une barbe fourbue, enfoncé dans une capuche de peaux qu’elle lui envia dès lors. De là où elle était, l'homme semblait caresser les nuages.

    Isabelle mit sa main en visière devant les yeux pour estomper le contre-jour et fronça les sourcils sans rien dire. Un coup d’œil rapide derrière l’inconnu lui apprit qu’il trainait à sa suite une monture qui semblait fort bien parée pour le voyage. Alors, aussitôt, le séant à même le sol et les yeux remplis d’espérance, la boiteuse demanda avec un sourire ironique au coin de ses lèvres bleuies :

    Eh dîtes ? Vous passez par la Croix des Espines, m'sieur ? Par la Croix de Castris, à tout hasard ?

    Parreloup, qui broutait les quelques brins d’herbes sur le bas-côté la bouscula un peu pour la pousser à se lever.
    Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Ven 7 Sep - 18:56
    Alaric Ailargent
      Alaric Ailargent
      Ce matin, Alaric s'était réveillé à l'étage d'une auberge de la ville, désorienté, encore assommé  par les nombreuses bières de la veille. Il se redressa, et resta assit un moment, frottant ses yeux et sa barbe, en poussant des grognements d'ours mal réveillé. Un léger mal de crâne lui battait les tempes, et il avait une désagréable impression de bouche pâteuse, conséquence directe de l'alcool. Après quelques secondes qui semblèrent durer des heures, il se leva, en titubant, et se dirigea vers un sac posé dans un coin de la pièce. Il était du genre prudent, mais il préférait vérifier, ne se rappelant pas en détails de ce qu'il s'était passé la veille au soir. Il en tira un parchemin, vérifia le cachet de cire, et poussa un soupir de soulagement. Il avait veillé à mettre l'objet de sa présence ici en sécurité, et il avait réussi malgré l'ivresse. Maintenant, il ne restait plus qu'à le ramener.


      Après une longue et pénible préparation, il attacha ses cheveux en un chignon peu soigné, laissant quelques mèches déborder, mit ses gants, et descendit ses sacs à l'étage inférieur pour s'installer rapidement à une table, et avaler en vitesse le plat qu'il venait de commander. Il fallait se préparer à affronter le froid de la saison, et surtout éponger le reste d'alcool qui refusaient de se dissiper.


      Il sorti, et alla chercher son cheval, aux abords de la sortie de la ville, après avoir acheté ses dernières provisions pour le voyage. Il installa les sacs, et se saisi de la longe pour diriger le cheval, resserrant son manteau de sa main libre. Alaric jeta un regard perplexe à l'animal. Il avait appris à monter à cheval, mais préférait éviter autant que possible, il ne leur avait jamais réellement fait confiance. Mais il fallait bien, après tout, le voyage à pied serait bien trop long jusqu'à la Croix des Espines…


      En passant l'une des portes de la cité, l'homme vit, de loin, un cheval qui semblait se tenir immobile, la tête baissée, surement en train de se repaitre des quelques brins d'herbe à sa portée. Un cheval seul, étonnant, pensa Alaric. Après tout, s'il appartenait à quelqu'un, pourquoi rester planté ici, et s'il n'appartenait à personne, que faisait-il ici? Curieux, l'homme s'approcha, jouant des coudes pour amener sa monture jusqu'à l'autre animal.

      Là, assise devant lui, se tenant les jambes, se trouvait une jeune femme. Il se pencha légèrement en avant pour l'observer, et pour déceler un signe de vie. Était-elle endormie? Soule? Ou peut-être morte? Jetant un regard aux alentours, Alaric se dit que personne ne semblait être avec. Peut-être attendait-elle simplement quelqu'un? Mais la jeune femme ouvrit un œil, puis le second, fixant d'abord les bottes du mercenaire pour remonter petit à petit jusqu'à son visage, lequel s'était paré d'un magnifique sourire chaleureux. C'est alors qu'elle lui demande si il passait par la Croix des Espines.


      "Hé bien, demoiselle, vous avez de la chance, je m'y rend justement. Mais il ne fallait pas m'attendre ici, vous auriez pu trouver un coin chaud pour que je vous trouve."


      Alaric se pencha sur elle, lui tendant une main amie pour l'aider à se lever, accompagnant ainsi le mouvement du cheval. Il lui frotta le bras pour la réchauffer, bien que le geste soit trop bref pour créer la moindre chaleur.

      "Que cherchez-vous, un guide, une escorte?Il jeta un regard au cheval derrière l'inconnue, et arqua un sourcil, souriant toujours."Et votre compagnon là, il peut pas vous trainer jusque là-bas? En tout cas, moi, je l'peux!"

      Il sourit davantage, avant de reprendre un air plus sérieux. Il remarqua que s'il profitait de l'air frais, qui bien que mordant, lui faisait un bien fou étant donné sa gueule de bois, la jeune femme ne semblait pas du même avis. Elle semblait transie de froid…
      Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Mer 12 Sep - 20:52
      Isabelle Menescalcir
        Isabelle Menescalcir
        Palefrenière
        Un instant, Isabelle fixa la main tendue comme on regarde le canif d’un voleur. Il lui fallut un temps pour vraiment comprendre ce qu’elle entendait. D’abord, elle crut à la blague. Ce gars-là allait à la Croix des Espines. Et il lui offrait son escorte sans demander de l’or en compensation. Perplexe, la jeune fille recroquevillée sur le bord de la route fronça les sourcils et détailla l’inconnu dans l’autre sens : du bout de ses doigts, son regard remonta son bras pour redescendre jusqu’aux bottes.

        L’homme montra du doigt aussi cheval, qui coucha les oreilles quand il sentit l’homme trop familier. Si ce compagnon à quatre pattes ne pouvait pas la ramener à bon port ? Bien sûr que si ! Si les chemins d’Eurate avaient été sûrs, elle n’aurait jamais été là à mendier l’aide d’un étranger en arme. Mais tout ce qu’elle trouva à y répondre ce fut :

        Lui, c’est Parreloup. Moi, c’est Isabelle.

        Des mots alignés maladroitement, presque mollardés dans le froid. Sa tête tournait un peu et le frimas qui s’accumulait dans ses plis lui picotait les tempes. Réfléchir lui coutait un effort indécent. Pas d’hésitation, alors : qu’importe qui il fut, elle voulait rentrer chez elle. Ou plus exactement, elle devait rentrer chez elle. Pour son oncle, Sébaste, qui attendait son retour depuis une semaine. Pour se rétablir aussi. Alors, très clairement, la cavalière opina du chef. Le voyage, elle le ferait aujourd’hui et avec lui.

        En grimaçant, elle sortit la menotte qu’elle avait planquée dans ses manches pour serrer la main de l’inconnu. Puis, de toutes ses maigres forces, elle s’agrippa aux doigts tendus pour se mettre sur ses jambes brinquebalantes. Un gémissement monta du fond de son gosier parce que ses côtes la faisaient souffrir encore. Et trouver son équilibre, avec un hurlement qui débordait par le nez et par les yeux, tint d’un effort de concentration extrême. Autour d’elle c’était comme si le monde était pris dans une valse de l’enfer. Les remparts d’Evalon tanguaient dangereusement eux aussi.

        Je vous suis, lâcha-t-elle comme si elle voulait en finir.

        D’un geste mal assuré, elle repassa les rênes par-dessus l’encolure de Parreloup et boita jusqu’à la selle. Elle mit sa botte à l’étrier et se balança pour se hisser sur sa monture. Elle dut s’y prendre à deux reprises avant de parvenir à s’asseoir en selle. Pas d’une grande maladresse pour une dresseuse aguerri. Non seulement l’homme devait se rendre compte qu’il avait hérité d’une infirme, mais, en plus, si elle n’était pas capable de chevaucher.

        Heureusement, voir Isabelle assise dissipait les doutes en général. Si la tête ballotait un peu comme un sac plein de mauvais grain, l’assise et l’assiette paraissaient parfaites à l’arrêt. Il fallait qu’elle parte de cette ville pleine d’ombres et de peurs.
        Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Ven 28 Sep - 11:38
        Alaric Ailargent
          Alaric Ailargent
          Alaric resta un moment devant l'inconnue, la regardant le dévisager comme s'il lui avait demandé sa bourse et ses bottes. Il continuait de sourire, se voulant rassurant et chaleureux, et attendit qu'on lui réponde, pour ne pas brusquer la jeune femme. Lorsqu'elle lui répondit et les présenta, elle et son animal, il plissa légèrement les yeux, souriant de plus belle.

          Alaric, enchanté.

          Dans un premier temps, après s'être présenté à son tour, il resta silencieux, laissant Isabelle lui prendre la main pour se relever. Les expressions faciales de la jeune femme et son comportement, tant dans sa démarche et que des ses tentatives de monter en selle, indiquaient qu'elle n'était pas au mieux de sa forme. Naïvement, Alaric pensait qu'elle avait elle aussi passé la soirée de la veille à ingérer une bonne quantité d'alccol. Il l'observa, et visiblement, elle avait gagné en assurance et en coordination après s'être installée sur son cheval, et lorsqu'elle fut prêt à partir, il se tourna pour tirer sur les rênes de son canasson. Pour le début du voyage, le mercenaire préférait marcher. Bien qu'il se sente mieux, l'alcool de la veille lui tenait encore l'estomac, et il n'aurait probablement pas supporté de se faire ballotter. 

          Alaric dirigea son regard vers Isabelle et Parreloup. Effectivement, elle avait l'air bien plus à l'aise que lui, surement plus habituée à l'équitation. Il ouvrit la discussion.

          Alors, que faisiez-vous dans cette belle cité d'Evalon? Vous aviez aussi quelque chose à fêter?

          Il ponctua sa phrase d'un rire, faisant allusion à l'état de la jeune femme qui, d'après le mercenaire, était encore soûle de la veille. Il espérait que celle-ci soit suffisamment lucide pour mener son cheval jusqu'au bout, et pour discuter un minimum, autrement, le voyage serait incroyablement long.


          Il en profita pour jeter un rapide coup d'oeil à la foule autour de lui. Il se demanda combien de temps elle avait déjà patienter avant qu'Alaric ne lui propose son aide, et combien de temps encore elle aurait attendu sinon. En tout cas, Evalon était bien une grade cité. L'heure n'était pas si avancée, et les rues grouillaient déjà, les portes étaient submergées de gens qui entraient et sortaient de la ville. Et pour le moment, même s'il ne risquaient rien si près des murailles, Alaric allait conduire Isabelle au plus proche des groupes qui sortaient d'Evalon. Les routes allaient rapidement se séparer, mais mieux valait rester au plus proche des groupes importants pour prendre le moins de risques possible, et aviser ensuite.
          Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Lun 1 Oct - 13:10
          Isabelle Menescalcir
            Isabelle Menescalcir
            Palefrenière
            La cavalière jeta un coup d’œil autour d’elle, dans cette foule pleine de regards qu’elle trouvait tous plus offusqués les uns que les autres, tant bien même ils ne lui étaient pas adressés. Une dernière fois, elle regarda l’endroit où elle était assise quelques minutes plus tôt pour se persuader de ne pas y avoir laissé son ombre encore recroquevillée. Pour vérifier qu’elle n’avait pas oublié un morceau d’elle dans cette capitale de terreur.

            A cheval, le mouvement est constant, saccadé, parfois haché et heurtant. Difficile ainsi pour la blessée de ne pas sentir ses côtes balloter au gré des cahots. Une douleur sourde mais constante dans ses côtes la faisait serrer les dents. Rien de vif. Rien de déchirant. Juste un leitmotiv harassant.

            Entre deux gémissements étouffés dans son écharpe de laine, elle constata que le mercenaire qui lui servirait de protecteur avait choisit de faire le début du voyage à pied. Une étrangeté qu’elle ne jugea pas. Sa condition ne lui permettait pas de meilleure option : à pied, elle boiterait et, à cheval, elle douillait. Contre ça, elle n’avait guère d’autre remède que celui qu’elle avait glissé dans la doublure de son manteau : une flasque de la gnôle, la plus forte qu’elle avait pu acheter, et de la pâte d’opium qu’une miresse lui avait donné. Discrètement, elle glissa ses doigts vers sa poche intérieure pour prendre une autre gorgée. Quitte à passer pour une ivrogne, autant que l’effet curatif ne s’estompât guère.

            C’est à ce moment que celui qui s’était présenté comme Alaric choisit de l’interrompre et de la questionner :

            Alors, que faisiez-vous dans cette belle cité d'Evalon? Vous aviez aussi quelque chose à fêter?

            D’un geste trop rapide pour ne pas paraître suspect, Isabelle rangea la petite bouteille en cuivre à sa place. Elle grimaça, peinant à avaler la boisson la brûlant de l’intérieur alors que le vent mordait ses pommettes creusées de fatigue. Son jeune foie n’avait pas l’habitude de connaître de tels épisodes d’imbibition. Même si cela la peinait, elle n’avait pas assez de boisson pour en proposer au mercenaire alors elle préférait lui cacher l'existence de son remède. Des deux voyageurs, c’était lui qui avait la responsabilité de garder les idées claires.

            Elle finit par se racler la gorge, et lâcher une réponse cinglante bien que à peine plus audible que la ritournelle des sabots cliquetant sur la route :

            Evalon est fort laide pour moi, m'sieur. Rien à fêter. Rien à gagner. Cette ville est un tas de fumier.

            Sans même y avoir pensé, elle avait serré ses doigts sur les rênes tant et si bien que Parreloup s’était étonné de trouver une résistance sur son mord. Il était obligé à marcher à un pas rassemblé pour avancer à la même allure que l’homme sur sa droite. Isabelle se força à débrider pour que l’animal ne pâtisse pas de sa nervosité. Elle ne finit pas maugréer une explication brève et concise comme un jugement dernier :

            J’venais là pour vendre mes montures. Je suis dresseuse de chevaux. Et là, je repars sans mon comptant d’or et avec des os en miette, m’sieur.

            Par hasard, entre deux foulées de pas, le regard de la jeune femme tomba dans celui de l’homme. Elle y mesura la brumaille qu’elle venait d’y jeter. Pas de jugement pour elle. Il avait tout l’air d’un foutu mercenaire : les mauvaises nouvelles, il pouvait les encaisser.

            Isabelle s’essuya la bouche du revers de la manche et se remit à fixer l’horizon. Droit devant, le pavé laissait place au chemin de terre. La première bifurcation venait et le convoi de marchands dont ils s’approchaient ne seraient pas de la partie : les chariots avaient choisi le chemin à la dextre alors que les crospiniens auraient à tourner à la senestre.

            La jeune femme serait bientôt seule avec cet homme aussi peu lucide qu’elle sur les chemins d’Eurate. Si les substances ne la tenaient pas aussi loin de la terre ferme, elle aurait sûrement été terrifiée. Alors, par précaution, Isabelle prit une autre gorgée de son eau de vie. Pour se donner du courage. Et s’aider à prier pour revenir en un morceau sur les terres qui étaient les siennes.
            Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Sam 27 Oct - 13:42
            Alaric Ailargent
              Alaric Ailargent
              Le mercenaire observait les passants, qui se faisaient de moins en moins nombreux à mesure qu'ils s'éloignaient de la cité, et de temps en temps, jetait un regard à la jeune femme. Alors qu'elle répondait entre ses dents à la question posée plus tôt, il n'entendit qu'un vague bougonnement, mais les quelques mots qu'il arrivait à entendre donnait l'idée générale. Visiblement, elle n'avait pas apprécié la visite. Sur le moment, Alaric ne s'interrogea pas davantage. Il est vrai qu'une grande cité comme celle-ci réservait son lot de mésaventures pour beaucoup, d'autant plus pour une jeune femme seule. Mais la suite l'interpella. 

              "Des os en miettes? Plus d'or? Que s'est-il passé?"

              Ce type de cas n'était pas rare, mais d'en avoir un sous les yeux provoquait un certain sentiment de colère chez le mercenaire. Malheureusement, il était surement trop tard pour retrouver les responsables. Alaric posa sur la jeune femme un regard doux, chaleureux, presque protecteur. Pour le trajet, ça serait à lui de veiller à ce que rien ne lui arrive.

              Arrivé à la bifurcation, Alaric se rendit compte qu'à cette vitesse, le voyage allait être interminable. Il fit signe à Isabelle de s'arrêter une seconde, et monta sur sur son cheval, après deux tentatives ratées. Il pesta, jurant contre lui-même et contre l'animal, mais finit par s'installer sur la selle, peu à l'aise. Il fit un signe de la tête à Isabelle pour lui montrer le chemin sur la gauche, et ils s'y engagèrent ensemble.

              "Alors vous dressez ces bestioles? Je sais pas comment vous faites, je les aime autant qu'elles m'aiment, c'est à dire pas vraiment. Foutus canassons, j'ai toujours l'impression qu'ils profitent de mon inconfort pour se jouer de moi. 'pensez que c'est assez intelligents pour ça?"

              Il lui sourit, puis tourna le regard vers le chemin. Il attendit sa réponse, puis laissa flotter un silence quelques instants, avant de reprendre, plus sérieusement.


              "A moins que votre flasque ne contienne un remède miracle, vous devriez ne pas en abuser. J'pourrais pas vous ramener si vous vous traînez sur votre cheval en vomissant tripes et boyaux." puis il ajouta, sur le ton de la plaisanterie "Ou alors je vais devoir vous faire payer le service."
              Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─ Dim 28 Oct - 16:30
              Isabelle Menescalcir
                Isabelle Menescalcir
                Palefrenière
                Des os en miettes ? Plus d'or ? Que s'est-il passé ? s’enquit alors le mercenaire.

                La cavalière grimaça. A la fois, elle savait qu’elle en avait trop dit et pas assez pour satisfaire la curiosité de celui qui lui accordait le privilège de l’escorter jusqu’à la Croix des Espines. Un ridicule instant, elle croisa le regard de l’homme et elle vit, au fond des yeux sombres et bienveillants, cette petite lueur de pitié qui la fit regretter d’avoir parlé.

                La gnôle lui déliait la langue, et alors des paroles dans le désordre. En réponse, Isabelle grinça aussi froidement que la charnière du pilori :

                Quand on tape très fort un truc, généralement, il casse, vous savez ? Bah voilà. Je suis comme tout le monde : quand on cogne fort, j’ai les os qui se brisent. Et le temps de colmater tout ça, j’ai dépensé une partie de mon revenu. M’enfin, je ne vous apprends rien : vous connaissez la chanson.

                Ou peut-être ne la connaissait-il pas ? Il avait l’air fort dans ses habits de soldats en voyage. Une robuste stature qu’on ne devinait que dans le caractère de la cavalière. Mais, avec l’âge, il saurait peut-être ce que c’est d’appartenir à cette cohorte de faibles. Là, Isabelle tiendrait un avantage : à force de rester sur ses gardes, elle avait gagné en expérience. Il est plus facile pour une personne faible d’accepter son sort et d’agir en conséquence que pour une personne qui fut invincible d’accepter la bien misérable condition qu’offre l’infirmité, la débilité ou la vieillesse.

                Elle déglutit bruyamment pour faire passer l’alcool et comme pour avaler que, oui, son histoire était tragiquement une chose courante et banale. Ils étaient trop nombreux, les gens comme elle, pas assez solides pour encaisser les frappes d’un destin bien cruel par moment. Des témoignages comme le sien, il en trouverait à la pelle. D’habitude, les petites gens, qui n’ont guère d’aventures à conter, aiment se fendre en de larges histoires. Isabelle, qui n’était guère une bavarde, ne s’étendrait pas davantage sur le sujet. Elle avait dit ce qu’elle avait à dire et il savait maintenant ce qu’il avait à savoir.

                Arrivé à la bifurcation, l’homme décida enfin de se mettre à cheval. Pas trop tôt. Quand il lui fit signe, Isabelle se mit sur le bas-côté et laissa filer ses rênes pour permettre à Parreloup de brouter l’herbe fournie du faussé qu’on ne faucherait qu’au retour du printemps. Une première fois, elle regarda l’homme mettre un pied à l’étrier et tenter de se hisser sans y parvenir. Puis une deuxième tentative resta infructueuse. Isabelle baissa les yeux, retenant un sourire amusée. Elle allait lui proposer de faire un contrepoids pour éviter que la sangle ne tourne sous le poids du bonhomme lorsque, finalement, il posa son séant au fond de la selle.

                Il lui indiqua le chemin à leur sénestre et Isabelle le suivit sans un mot. La moindre remarque aurait été déplacée de sa part. Par contre, l’homme n’y alla pas de main morte, sûrement gêné par son petit échec :

                Alors vous dressez ces bestioles ? Je sais pas comment vous faites, je les aime autant qu'elles m'aiment, c'est à dire pas vraiment. Foutus canassons, j'ai toujours l'impression qu'ils profitent de mon inconfort pour se jouer de moi. 'pensez que c'est assez intelligent pour ça ?

                La jeune cavalière rit doucement en somme de toute réponse. Assez intelligent ? Oui, peut-être. Les équidés restaient toutefois des animaux ; capables de retenir un certain nombre d’instructions, certes, avec une exécution aléatoire selon les caractères de tous, mais tout de même des bêtes placides, avec une complexité notable et émouvante quand on s’amusait à les côtoyer de près. De grands enfants puissants, dont la force était capable de déchirer aussi bien la terre que les membres des prisonniers écartelés. Isabelle les voyait ainsi : une source de revenu attachante, dont elle comprenait la délicatesse sourde. Sans les croire intelligents, elle les savait capable de bien des coups douteux.

                Les chevaux commencèrent à avancer ensemble, calquant leur pas sur celui de leur congénère comme ils le font d’instinct en évoluant en troupeau. Entre la cavalière et le mercenaire, le silence se glissa, attentionnés qu’ils étaient sur la qualité du chemin emprunté. Le gel avait fait durcir la boue et, tant que le soleil ne s’était pas levé, les sabots ne glisseraient guère sur cette portion trop de fois foulés par des roturier de leur genre.

                Comme le pas s’amplifiait, le mouvement secouait plus Isabelle qui porta une « dernière fois pour la route » son remède à la bouche.

                A moins que votre flasque ne contienne un remède miracle, vous devriez ne pas en abuser, la grilla Alaric. J'pourrais pas vous ramener si vous vous traînez sur votre cheval en vomissant tripes et boyaux. Ou alors je vais devoir vous faire payer le service.

                Isabelle reboucha la flasque et la rangea dans la doublure de son manteau en pestant :

                Ne mettez pas trop en doute les capacités de mon foie de crospinienne, monsieur. Ce serait me faire offense. Vous n’avez pas à craindre de me voir trainer à cheval.

                Sur ce, Isabelle mit Parreloup au petit trot. La cadence réveillait un peu les douleurs mais rien que l’assiette de la jeune femme ne puisse accompagner. Contrairement à lui, elle montrait ainsi qu’il ne lui coûtait point d’avancer un peu dans ce froid.

                A l’allée, elle avait fait la route avec une horde de chevaliers revenant de guerre, avec des hommes blessés dans leur chair ou dans leur estime, et ils s’en étaient allé à un rythme bien plus soutenu que celui proposé par ce protecteur presque aussi amoché qu’elle. A cheval, elle avait cet air fier et dur des statues d’autrefois. Rien à voir avec la paysanne qui trainait de la patte.

                Ne faites pas votre grand-mère et allons un peu de l’avant, proposa-t-elle. Je ne veux pas dormir sous la flotte.

                Et en disant ça, elle montrait du menton les gros cumulus qui se profilaient au loin. Le souvenir de la nuit passé engoncée dans le froid de l’hiver lui restait en mémoire. Pour regagner l’auberge la plus proche, il faudrait se magner un peu et peut-être prendre quelques chemin de traverse.
                Re: Croire aux rescapés [Alaric Ailargent] ─
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