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Tünde “Villám” Vihar
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Tünde “Villám” Vihar ─ Sam 22 Déc - 19:57
Tünde “Villám” Vihar
    Tünde “Villám” Vihar

    Tünde “Villám” Vihar


    “Tamas et nous seuls pouvons”



    29 ans
    Originaire de Nőerdő
    Vassalité : Posvány/Voile Sombre
    Statut social : Noble
    Son métier : Baronne


    Caractère



    Tünde ne ressent pratiquement aucune émotion. Elle base ses relations humaines sur une analyse factuelle des comportements des individus et n’accorde sa confiance qu’à l’épreuve des faits. Elle est dénuée d’empathie et a besoin d’un temps de réflexion pour décider si elle apprécie un individu ou pas. Elevée dans la pure tradition posvanéenne, elle comprend l’intérêt la survie en groupe et applique donc des politiques qui visent à améliorer la vie des populations isolées de son territoire pour que chacun soit mieux à même de repousser les Khöz au retour des beaux jours. C’est de la logique qui découle de son instinct de conservation, pas d’une quelconque forme de pitié pour qui que cela soit.

    L’application stricte d’une politique de gestion efficace de son territoire, avec préservation des ressources humaines et un objectif de prospérité sur le long terme, fait qu’elle est considérée à tort comme une dirigeante souple, voire faible, qui s’attendrit pour son peuple. En vérité elle est dénué de l’ego qui peut mener d’autres individus à craindre pour leur position de force. Dans son cas, tous ceux qui l’ont rencontrée savent que, non, il n’y a aucune trace de pitié ou de sentimentalité inutile dans son attitude. Elle fait ce qui profite à l’ensemble de sa population et n’accorde aucune importance au reste. Elle a un patrimoine. Elle le fait prospérer.

    Cela ne lui apporte pas que des avantages. Par exemple, les relations diplomatiques et les discussions préalables à un accord autre que commercial entre elle et une tierce-partie sont supervisées par Gergely, son conseiller diplomatique, pour arrondir les angles en cas de désaccord et nuancer la froideur de l’attitude par défaut de Tünde.

    Le soucis de sa personnalité presque dénuée de sentiments est qu’elle se retrouve rapidement désarmée quand elle ressent et qu’elle doit les gérer.



    Physique



    Tünde est une petite femme aux cheveux noirs qui tirent déjà sur le gris. Elle est relativement trapue, moins depuis qu’elle passe plus de temps à administrer qu’à tirer à l’arc. Ses yeux sont gris tirant sur le jaune ambré et elle a la peau claire. Son air est par défaut neutre ou sévère, elle sourit peu et les démonstrations émotionnelles de sa part sont au mieux rares mais le plus souvent inexistantes.

    Elle porte en général une robe grise anthracite, simple et fonctionnelle. Ses seules parures sont des anneaux d’acier et des cordons attachés entre, symboles des responsabilités qui la lient à sa terre. Lorsqu’elle sort elle porte une lanterne à la ceinture, tout autant pour le symbole du guide de son peuple que pour la praticité de pouvoir éclairer sa route en tout temps.

    Elle s’exprime clairement et n’hésite pas à expliquer longuement son point de vue pour s’assurer d’être comprise et entendue. Elle fait d’un calme toujours souverain dans son attitude et il lui arrive même d’être apaisante. Elle peut aussi être dérangeante de cette placidité déstabilisante, notamment quand la réaction naturelle à une situation serait la colère ou la peure.

    Elle est accompagnée en tout temps d’une ourse noire, grande et forte, qui semble tout aussi placide qu’elle. Elle est le plus souvent couchée non-loin de sa maîtresse, mais il arrive que Csóka, la femme de Tünde, ou Tamara son ancienne mentor, l’accompagne dehors pour lui permettre de se défouler. Le plus souvent c’est Tamara qui l’emmène pour les longues marches nécessaires à la dépense énergétique de la bête, sauf quand la baronne peut se le permettre en personne.


    Histoire



    Version résumée

    Tünde est née un jour de fin d’automne, aux portes de l’hiver, une nuit d’orage. Elle est issue de la lignée historique des dirigeantes de Nõerdõ, qui menèrent leur peuple depuis les régions fertiles au nord de la Posvany vers l’est du territoire au moment où les hordes Khöz revinrent. Elle a grandi dans un pays de bourbiers et de tourbières et de forêts épaisses.

    Le gros de son enfance est marqué par les naissances presque annuelles de sa nombreuse fratrie, puisque sa mère se marie à trois reprises et que douze enfants au total naissent de ces unions. La plupart vivront jusqu’à l’âge adulte mais la peste fauchera presque tous ceux qui se seront mariés hors Nõerdõ dont l’isolement seul de chaque poche de population lui a permis d’éviter le gros de l’hécatombe.

    Tamara, amie proche de sa mère, joue un rôle important dans son éducation. Surtout qu’elle finit par la prendre sous son aile pour l’emmener pendant toute la saison des beaux jours parcourir la baronnie et en rencontrer la population dès ses sept ans. Tünde est une enfant précoce sur de nombreux plans, notamment parce qu’elle ne développera jamais de gestion de ses propres sentiments qui sont presque inexistants. En contrepartie elle passe énormément de temps à analyser son environnement et c’est ce qui fait rapidement sa différence avec ses contemporains.

    La grande amie de son enfance est Tekla, sa petite sœur. Avec moins d’un an d’écart elles auraient pu être jumelles et leur proximité ne s’estompera qu’imperceptiblement avec l’entrée de Tekla chez les Kescke, l’ordre de combattants d’élite de Nõerdõ, reconnaissables à leurs armures en peau de chèvre et aux crânes de ces animaux qui leurs servent de casques. A cette époque, celle du tout début de l’adolescence, Tünde parcours encore la baronnie seule avec Tamara et leurs silences qui font office de discussions.

    Puis la jeune fille découvre que feus les époux de sa mère ne se perdent pas dans les marais quand celle ci vient commanditer l’assassinat du troisième et que Tamara insiste pour que Tunde soit celle qui officie cette fois-là. Si sa mère hésite avant de céder, l’adolescente ne voit aucun problème avec la manœure. Après tout, après chaque décès d’un époux de sa mère, cette dernière semble plus heureuse et passe plus de temps avec Tamara, qui s’en porte bien également. Factuellement, la mort d’un homme qui n’est jamais que le troisième à faire des enfants à sa génitrice n’a rien de choquant, surtout pour un individu qui comme elle est dénué d’empathie.

    C’est ce qui rend Tünde effrayante pour certains individus à mesure qu’elle grandit : son absence de sentiments et ses actions strictement rationnelles et factuelles la plupart du temps. Pour d’autre, ce sera un gage de confiance et de fiabilité. Ceux-là seront ses proches mais nous en reparlerons.

    Après son introduction au petit monde fermé de l’assassinat, Tünde continue de suivre Tamara mais cette fois en tant qu’apprentie active. Cette dernière lui enseigne différentes manières de se battre, de tuer, de piéger, mais ne cherche pas à en faire la meilleure dans ce domaine. Les qualités de la jeune fille sont l’administration et la gestion rationnelle d’une organisation et sa mentor en a parfaitement conscience. Alors Tamara lui enseigne tout ce qu’elle peut et surtout répond de son mieux aux questions et aux attentes les plus nombreuses de sa pupille.

    Vers ses treize ou quatorze ans, Tünde est introduite à la cours d’hiver de sa mère en tant que jeune adulte en devenir. Elle se fait ses premiers contacts officiels au sein de la jeunesse noble de la baronnie et trie soigneusement ses propres fréquentations dès cette époque là. C’est cette année là que son conseil tel qu’il existe aujourd’hui se dessine en grande partie.

    Gergely et Lenke, alors seulement fiancés, deviendront respectivement son conseiller diplomatique et sa conseillère commerciale. Tekla deviendra sa conseillère militaire et Csóka, sa future épouse, se fait la voix du peuple et des moins riches de la baronnie, ceux qu’il faut nourrir avec les profits des commerces les plus rentables.

    Dès ce premier hiver passé réellement en société et non pas dans le cocon de son innombrable et croissante fratrie, elle se taille donc une place de choix et commence à assurer ses positions pour l’avenir. Csó termine, soyons honnêtes, rapidement dans son lit. Leur idylle ne tarde pas à naître et dans cette baronnie isolée à la culture matriarcale forte, cela se devine sans être dit et personne ne le fait remarquer ouvertement. L’absence de fécondité de leur relation est à la fois un passe-droit qui permet de ne craindre pour la virginité de personne et un frein pour l’avenir. Ces deux tendances pèseront sur leurs épaules longtemps, tout particulièrement pour Csóka.

    En effet, l’année de ses seize ans, pendant l’hiver qui suit, Tamara annonce à Tünde qu’elles vont partir pour au moins deux ans toutes les deux. Cela survient après un premier voyage hors les frontières de la baronnie, pour aller voir Eurate et pour acheter un arc digne de ce nom à la jeune femme, sur l’île de Sairdagne où on fait les meilleurs arcs de l’Empire.

    Leur absence dure quatre années pendant lesquelles Csóka subit les pressions croisées du clerc de la baronnie et de ses parents pour se trouver un bon parti. Ce sont les efforts conjugués de Tekla et les conseils avisés de Gergely et Lenke qui permettent à la jeune femme d’attendre tout ce temps sans céder.

    Pendant toutes ces années, Tünde est immergée dans le monde du Voile Noir où elle fait ses preuves en tant qu’administratrice à la tête d’une branche mineure, sur la recommandation de sa mentor. Les résultats sont sans appel et elle travaille dur, depuis Evalon où elle passe aussi beaucoup de temps, à propager ses idées réformistes au sein de l’ensemble de la guilde. Elle veut la rendre plus efficace par une gestion rigoureuse et un suivi réel. Elle n’a aucune affection ni aucune patience pour les romantiques de boulevard, les bourgeois, nobles et autres dilettantes et esthètes de service. Elle pense à celles et ceux qui font ce travail pour en vivre et pas forcément parce qu’iels l’ont choisi. Ses positions radicales l’amènent rapidement à se confronter à Garett, chef en place de la guilde, qu’elle finit par discréditer et écarter indirectement après plusieurs mois passés à afficher des positions inattaquables quant à ses intentions et sa maturité à son “jeune” âge et à survivre à des tentatives de suppression, notamment en retournant les assassins contre leur commanditaire.

    Garett est sans doute en vie à ce jour, mais en prison quelque part où personne ne le trouvera plus.

    Après de longs débats et contre son avis, Tünde est nommée à la tête de la guilde et cette dernière lui adjoint trois conseillers déjà vétérans du terrain pour lui permettre de mieux saisir les subtilités des métiers du Voile Noir qui ne se révèlent qu’avec l’âge. Tamara devient officiellement sa garde du corps tandis que Sylvia et Rob suivent respectivement comme conseillère en investissements à long terme et comptable. Tamara prend la place de conseillère pour les affaires liées aux assassinats.

    A son retour à Nõerdõ, elle retrouve ses amis et sa famille, mais aussi le fardeau accumulé de l’héritière en titre de la baronnie lié à son statut célibataire et pas encore mère. Elle a alors la vingtaine et la tension autour de sa situation est palpable. Rentrée d’on ne sait où, avec des roturiers et une femme jamais ni mariée ni mère qui l’a, tous le savent, fortement influencée. Elle doit prendre sa place d’héritière et la légitimer avant que les grognements sceptiques ne s’intensifient.

    C’est cet hiver-là qu’elle est blessée par une ourse réveillée par accident pendant son hibernation. Alors que l’échéance de devoir trouver un mari et l’épouser l’étouffe et la révulse, elle est en forêt avec Tatiana qui veille sur elle, au coeur de l’hiver ou peu s’en faut. Un glissement de neige la fait chuter devant une tanière avec perte et fracas. L’ourse réveillée la blesse au bas-ventre et elle ne doit sa survie qu’à l’intervention de Tatiana.

    Outre la frayeur générale causée par l’événement, la conséquence la plus concrète mis à part les semaines de convalescence est la stérilité de Tünde, puisque le chirurgien qui la soigne doit retirer certains organes trop abîmés, dont la partie supérieure de ses organes génitaux. Cela entraîne toute une série de conséquences, dont le fait qu’elle n’ait plus à se soucier d’épouser un homme et de faire des enfants, d’autant plus que Tekla, elle, se marie peut de temps après.

    A l’issue d’une longue conversation avec le père Refus, où elle se livre complètement sur l’ensemble des doutes et des idées noires qui sont venues l’habiter depuis son retour, depuis l’ultimatum du mariage hétérosexuel posé, où elle dit qu’elle était prête à se laisser mourir sous les coups de l’ourse, résignée à échapper ainsi à un avenir aux couleurs de l’enfer à ses yeux, elle le convainc de la laisser épouser Csóka. Elle met en avant l’importance pour la baronnie d’être dirigée par une baronne heureuse et épanouie et l’impact positif de leur union à l’échelle plus large que celle de savoir si Csóka pourrait faire quatre enfants à un noble quelconque et finir par se donner la mort un jour à cause de la tristesse d’être séparée d’elle.

    Quoi qu’elle en dise par la suite, sa relation avec son amie et amante est une des rares choses à éveiller chez elle une forme agréable et non-effrayante de sentiment. Elle y tient donc tout particulièrement, d’autant plus qu’elle a plusieurs preuves qui l’encouragent à faire une confiance totale à Csóka. Refus finit donc par accepter de bénir leurs fiançailles et leur union, d’autant plus que Tünde s’engage à prendre sous leur aile les orphelins des raids Khöz pour subvenir à leurs besoins et en faire une génération plus instruite et plus forte qui fera la grandeur de Nõerdõ quand sa propre sœur et ses enfants prendront sa succession à elle.

    Le père Refus, après tout, tolère déjà l’existence des sorcières du marais, à condition qu’elles se fassent oublier, parce qu’elles protègent grandement les fidèles du trimurti qui vivent moins près de la frontière Khöz vers laquelle est installée cette communauté amazone.

    Les années qui suivent cet hiver presque tragique de 1241 sont celle que tout Eurate a connu, quoique les événements tels que la peste ou les Joyeux Compagnons aient un tout petit peu moins impacté la baronnie que le reste de l’Empire, notamment grâce à l’isolement géographique de cette dernière, au maillage de ses positions fortifiées et à la tendance méfiante de ses populations. Les rares bandits qui ont tenté de s’installer sont morts sous les flèches des civils comme des Kescke avant d’avoir eut le temps d’échapper aux ours, au lynx, aux loups et aux cochons sauvages. Les maladies et les infections multiples des environnements très humides de la baronnie on fait le reste. Quant à la peste, elle se propage mal quand les populations humaines se voient peu, hors elle a frappé en hiver, alors que Nõerdõ s’immobilise et s’enferme chez elle. Si le printemps à mené à la découverte de macabres restes, la propagation de l’épidémie a été freinée par l’isolement de la populations en petites cellules fortifiées.

    C’est après cet événement qui a coûté la vie à la plupart de ses enfants encore envie, surtout ceux en dehors de la baronnie, que la mère de Tünde a abdiqué en sa faveur, pour aller vivre paisiblement son idylle avec Tamara. Enfin, auraient déclarés toutes les nobles de la province à l’unisson.

    Tünde siège donc à Nagy Szivvel, son ourse couchée à ses pieds, tandis qu’elle nourrit le peuple de la main droite et tient les comptes du Voile Noir de la gauche. Elle est entourée de tueurs, de voleurs et d’escrocs qu’elle reçoit en audience. Pire encore, pour la trouver vous devez traverser une des régions les plus inhospitalière d’Eurate, miroir de celle du Bois Noir par rapport au Gargante. Pourtant, entourée de ses conseillers, elle tient dans le creux de sa main tout à la fois une des baronnies les plus riches de la Croix des Espines et l’ensemble des épines, justement, qui sont cisent dans les pieds de l’ensemble de ses alter-egos nobles. Elle n’a pas d’ambition de pouvoir. Pas d’ambition de conquête, mais une haine farouche pour tout ce qui pourrait menacer celles et ceux qui sont désormais ses gens.

    Méfiez vous de la baronne de Nõerdõ, que certains ne connaissent que sous le nom de Dame des Voleurs, sans savoir où la chercher.

    La version longue est dans le(s) post suivant(s)



    Compétences



  • Administration - 3

  • Animaux - 3

  • Survie - 2

  • Arcs - 2

  • Politique - 1


  • Derrière l'écran



    Êtes-vous majeure ? Oui
    Avez-vous lu le règlement ?Validé Courage
    Comment-êtes vous arrivée sur Les Serments d'Eurate ? C’est la faute d’Alma si j’y suis arrivée, c’est la vôtre à toustes si j’y suis restée !
    Une suggestion ?
    Ce personnage est-il un DC ? Si oui, de qui ? Oui, de la délicate et primesautière Alyssandre de Wyrmval




    Re: Tünde “Villám” Vihar ─ Sam 22 Déc - 19:59
    Tünde “Villám” Vihar
      Tünde “Villám” Vihar

      Tünde “Villám” Vihar


      “Tamas et nous seuls pouvons”



      29 ans
      Originaire de Nőerdő
      Vassalité : Posvány/Voile Sombre
      Statut social : Noble
      Son métier : Baronne



      Histoire



      Je suis née un jour d’orage. Il pleut souvent sur Nőerdő, mais parfois il pleut vraiment. L’orage est diluvien, impitoyable. Il est tapageur comme les plus sages de mes aïeux - qui ne le furent guère - et destructeurs comme un raid Khôz. Or, on nous prête du sang de ces engeances montées. Tamas m’en soit témoin, j’ai du sang Khôz, frais, sur les mains, chaque année. Mais pas au commencement.

      Au début, il n’y a qu’un automne moribond qui déjà laisse place aux pluies d’hiver et un orage précoce — comme ton père, dit Mère par-dessus mon épaule — qui noie la nuit dans un enfer d’eau et de lumière. Je suis la fille aînée de la baronne de Nőerdő, et en guise de jour je vois d’abord la nuit. Mère dit que j’ai ouvert les yeux au moment où est tombée la foudre et que le tonnerre a couvert mon premier cri, puis elle m’a nommée Tünde, qui signifie Fée. Vous en déduirez facilement que ma mère aime en faire des caisses et qu’elle a une vision poétique du monde qui m’échappe assez souvent.

      Mon premier souvenir est celui de Mère qui allaite mon petit frère, tandis que ma sœur babille sur les genoux de sa nourrice et que je suis dans les bras d’une troisième personne, une femme, qui rit fort avec Mère. Mon premier souvenir de mon père est celui de ses funérailles, qui furent célébrées après qu’il ait disparu dans les marais.

      J’ai été élevée par Mère, qui est petite, sèche et nerveuse, blonde, la peau pâle et les yeux gris et avec un caractère de tourbe. La tourbe a l’air molle et insignifiante de prime abord, jusqu’à ce qu’elle prenne feu ou libère une bulle de gaz des marais qui va vous asphyxier l’air de rien, vous faire tousser ou vous perdre dans les marais.

      J’ai aussi été élevée par Tamara, petite, taillée comme une souche avec des épaules larges et des appuis solides, les yeux bleus comme un ciel d’été entre les futaies encadrés par des cheveux noirs corbeau. Avec un caractère doux, égal et paisible. Tamara élève des cochons truffiers, elle est riche.

      Après mon père, Mère a épousé un autre homme. Il lui a donné trois enfants à son tour, trois filles. Je me souviens de lui, de son visage déçu à la naissance de la troisième. Il venait d’une petite famille de petite noblesse de Baros. Je me souviens d’une violente dispute entre lui et Mère dans les jours qui ont suivis. Alors avec ma sœur et mon frère, on a prit nos trois petites sœurs et la nourrice de la dernière et puis on est allés chez Tamara passer la journée au calme. Le soir Mère est venue nous chercher, elle a donné beaucoup d’argent à Tamara, comme quand elle lui achète des truffes pour un grand banquet. Souvent pour nos anniversaires. Sauf que ce n’est l’anniversaire de personne en ce moment.

      Nous n’avons pas mangé de truffes ce soir-là, ni le lendemain. Il a fallu attendre la semaine suivante, aux funérailles du deuxième mari de ma mère, qui s’était perdu dans les marais le surlendemain. Moi j’aime bien les truffes, mais je n’aimais pas trop le deuxième mari de ma mère. Je me souviens surtout du repas et que Tamara n’est pas rentrée dormir chez elle ce soir-là, ni très souvent le mois d’après. Elle venait nous voir plus souvent et Mère était plus calme, plus heureuse et plus épanouie. Souvent elle restait le soir tard et nous la retrouvions à table au matin, pour déjeuner avec nous au réveil.

      Quelques temps plus tard, Mère a épousé son troisième mari. Tamara a recommencé à passer plus de temps chez elle et à moins venir nous voir. Alors je suis allée, moi, la voir souvent. C’est vers cette période-là que la question de mon éducation s’est posée plus sérieusement à Mère. Tamara m’a offert un arc à cette période là et j’ai commencé à échapper à mes précepteurs et à la sécurité du domaine familial pour aller tirer en forêt avec mon propre arc à moi. Un bel arc posvanien, à ma taille, pas une branche courbée avec une ficelle pour qu’on puisse jouer à tirer sans se blesser dans la cour de la forteresse.

      Ce fut la raison de la seule dispute, à ma connaissance, entre Mère et Tamara, ainsi que la première fois que j’ai vu Tamara vraiment en colère. Je revenais d’une escapade, avec deux écureuils noués par la queue pour me tenir sur les épaules et une poule d’eau tenue par les pattes, sans avoir perdu aucune flèche. D’après Tamara les gardes m’ont laissé rentrer avec un mélange d’admiration et terreur sur le visage. Je me souviens lui avoir demandé si je leur faisais peur, et elle de me répondre que c’était que je sois sortie sans qu’ils le sachent qui leur faisait peur. C’est aussi vers cette période que j’ai commencé à discerner que Mère était quelqu’un d’effrayant pour le reste du monde. Tamara m’a croisée vers l’entrée de la Forteresse, j’ai appris plus tard qu’elle m’y attendait en fait. Elle m’a dit que nous allions ramener ensemble mes prises. J’étais contente, elle avait même promis de rester les manger avec nous le soir.

      Je n’ai pas non plus apprécié le troisième mari de Mère, mais à sa décharge il était plus fin que le précédent. Il s’est esquivé dès qu’il a aperçu Tamara entrer avec moi à ses côtés, avant même que l’expression de Mère ne change et qu’elle ne congédie tous les présents de la pièce. Un homme malin. Presque.

      Je suis restée assise dans mon coin, pendant que Mère hurlait sur Tamara qui s’était interposée entre elle et moi. J’ignore combien de temps tout cela a bien pu durer, ni même ce que Mère a pu dire, j’étais comme absente, dans une bulle. Puis Tamara a dit à Mère de taire, d’une voix à peine plus forte que son ton doux et bas coutumier. Malgré ses hurlements, ma génitrice l’a entendue et s’est tu immédiatement, comme une bougie soufflée par une bourrasque.

      Tamara a dit que cela avait assez duré et qu’elle refusait que des imbéciles prétentieux continuent à s’occuper de mon éducation et de celle de mon frère et de mes sœurs. Mère s’est assise, défaite. C’est la seule fois que je l’ai vue ainsi. Tamara a continué de parler, très longuement. Rarement par la suite j’ai eut l’occasion de l’entendre tenir d’aussi longs discours. Sans doute pas assez de fois pour nécessiter qu’on les compte sur les doigts des deux mains.

      Ce soir là nous avons mangé mes prises à table et Tamara était là, comme promis. Tout le monde m’a félicité pour mon adresse et ça a été une bonne soirée avec ma famille. Puis Mère est venue me parler dans ma chambre après la veillée et elle m’a annoncé qu’au matin je partirais avec Tamara pendant quelques temps. Elle a hésité puis s’est ouverte et m’a dit beaucoup de choses qu’elle a parfois nié avoir dites par la suite. Je pense qu’elle a vraiment été secouée cette fois-là. A l’aube je marchais derrière Tamara et nous laissions la forteresse derrière nous. Mon enfance a commencé à prendre fin à partir de ce moment là.

      Nous avons sillonné tout Nőerdő, Tamara et moi, pendant presque un an. Chaque maison fortifiée, chaque relais, chaque tour. Elle m’a tout montré. Les villages près du fleuve, les autres forteresses où Mère allait seule quand il fallait qu’elle s’y déplace. On a vu la frontière et les marais, au nord-ouest, mais aussi les vallons et la forêt profond au sud-est. Tamara est peut-être douce et calme, mais elle est intraitable. Elle m’a enseigné une infinité de choses et il fallait que je retienne ce qu’elle me disait pour lui restituer par la suite. Je pensais Mère cultivée et instruite mais j’ai vite réalisé que c’était peut de choses par rapport à ma mentor.

      Nous avons passé l’été sur la frontière où j’ai assisté, cachée dans un arbre, à un raid Khöz. Nous les avons laissés passer exprès, pour qu’ils s’enfoncent dans le marais et se dispersent dans les bourbiers. Puis les Kescke les ont exterminés. Un des cavaliers a essayé de s’enfuir. Tamara a posé sa main sur mon épaule, dans l’arbre, et elle m’a dit que si je voulais, je pouvais le tuer. J’ai trouvé que c’était une bonne idée, alors j’ai bandé mon arc et je l’a abattu, comme une poule d’eau. Nous avons capturé son cheval et il sera vendu. Tamara m’a dit que l’argent serait pour moi, vu que c’est mon butin. J’ai dis que je ne pensais pas en avoir besoin. Elle a sourit et m’a dit que tuer est un travail et qu’il mérite d’être rémunéré. Elle avait l’air satisfaite de mon tir.

      C’est plus tard que j’ai compris qu’elle était satisfaite que j’ai tué. J’avais huit ans et ça ne m’a pas fait grand chose.

      Mon passé s’est arrêté là.

      Nous sommes revenues à la forteresse. Je sais désormais que nos fortifications en pierre sont les Szív de Nőerdő, les Cœurs de la Femme-Forêt, la mère nourricière de notre peuple, qui nous a abrités après que nous ayons fui les terres au nord des marais, quand la Horde Khöz nous a retrouvés. La forteresse de mère c’est Nagy Szívvel, le Grand Cœur. Nos fortifications sont un réseau qui parcourt toute la province, chaque lieu fortifié communique directement avec au moins deux autres et les patrouilles circulent entre ces lieux régulièrement. Les Szív sont les points névralgiques de ce maillage qui fait la force et l’union de notre terre, alors même que chaque communauté vit isolée géographiquement, avec ses chèvres et ses histoires.

      Nagy Szívvel est la plus grande forteresse de Nőerdő, avec une enceinte en pierre et deux autres en bois. Elle est construite à la limite entre les marécages et la forêt, sur les premières langues de sol stable assez larges pour accueillir ses fondations. D’après Tamara, elle est bâtie sur un des rares affleurement rocheux de la baronnie, mais la pierre qui a servi à la construire vient de Mocsár, loin à l’ouest, à l’autre bout de Posvány.

      La cours que j’ai quittée moins d’un an plus tôt me semble déjà dater d’un autre âge. Ce sentiment ne fera que s’accroître à mesure des années et des absences pour patrouiller le domaine. Pourtant ce soir-là je suis heureuse de revoir ma fratrie et ma mère. Elle est enceinte, c’est presque son état normal à mes yeux, nous serons bientôt sept enfants.

      L’hiver est à la fois trop long et trop court. Il ne neige presque jamais chez nous, mais il pleut plus souvent en hiver qu’en été, soit presque chaque jour. J’entraîne ma sœur dans mes escapades, au grand damn de Mère, mais nous n’avons qu’un an d’écart et je trouve normal qu’elle ait les mêmes chances que moi. J’ai bien retenu les leçons de Tamara : seul, les Kescke n’ont aucune chance. Leur nombre et leur entraînement conjoint fait leur force. Je lui prête mon arc, au début, puisque personne ne lui en a offert. Très vite je me rends compte qu’elle sera meilleure que moi. Plutôt que la jalousie, c’est de la joie que j’en conçoit. Je ne me sens pas en danger, au contraire. Tamara vient parfois nous regarder faire, elle est de mon avis, Tekla sera meilleure archère que moi. Au printemps nous repartons ensemble, après avoir assuré à Tobiás qu’il pourrait venir avec nous l’année suivante s’il le souhaitait. Cela a semblé le rassurer sans le satisfaire. Il préfère que nous restions à la maison.

      Il ne viendra pas avec nous l’année suivante, il a entreprit de phagocyter la bibliothèque toute entière et il tient un bon rythme, je dois dire. Pendant l’hiver il nous fait rattraper notre retard, à Tez et moi. Il est mille fois plus intéressant de suivre les “classes” de mon petit frère épanouis que d’ennuyants précepteurs. Puis lui nous comprend et sait comment nous intéresser à ce que nous lisons.

      Je fête mes dix ans sur les routes, autour d’un feu de tourbe avec Tamara et Tez. Tamara m’offre un poignard, une belle lame, faite pour être maniée ou lancée. Nous passons l’été vers la frontière, à seconder les Kescke dans leur traque des Khöz en maraude. C’est grisant de voir les pièges se mettre en place, les stratagèmes étendre leurs bras tordus pour enlacer les cavaliers et les dévorer tout entiers. Nous jouons de l’arc côte à côte, Tekla et moi, sous la surveillance accrue de Tamara qui veille à ce que nous considérions tout le sérieux de ce que nous faisons.

      Le temps passe. Nous avons onze et douze ans. Tobias a fêté ses dix ans et Mère a obtenu qu’il puisse être admis à Nacre pour rejoindre le clergé, dans quelques années. Il est fou de joie. Tekla et mois nous continuons à parcourir la baronnie avec Tamara, pas toujours aussi longtemps dans l’année, souvent nous revenons à Nagy Szivvel plusieurs fois l’an, avant de repartir pour une autre région. Ma petite sœur ne fait aucun mystère sur son objectif personnel, elle veut intégrer les Kescke aussitôt que possible. Son entraînement à l’arc s’intensifie, mais aussi à d’autres arts qu’elle aura besoin de maîtriser. Il arrive que je partes seule avec Tamara, parce que Tekla est occupée à épuiser ses vétérans de professeurs.

      Treize, quatorze ans. Tekla ne vient presque plus avec nous. Elle entrera bientôt en apprentissage chez les Kescke et cela seul l’intéresse. Tobias part l’an prochain pour Nacre. Nous sommes neuf enfants, six filles et trois garçons. L’absence de père sauf pour les trois derniers fait que nous nous construisons beaucoup par rapport à Mère et à nos rares exemples adultes valables : Tamara, un vieux Kescke devenu maître d’armes de Mère et un précepteur un peu plus brillant que les autres.

      Tamara devient plus intransigeante, plus exigeante. Quand elle m’entraîne, nous ne sommes plus l’amie de Mère et la fille aînée de cette dernière. Elle est intraitable mais juste et récompense systématiquement mes efforts. Je suis loin d’être une archère exceptionnelle, ni même une combattante exceptionnelle, mais qu’importe. Conformément avec les exigences de Mère, Tamara m’enseigne aussi les subtilités politiques propres à la baronnie et à nos voisins de Baros, de Volg mais aussi de Posvany. Chaque arrêt dans une maison forte est l’occasion de me faire écouter les problèmes des gens et de réfléchir avec eux à une solution. Elle n’attend pas de moi que je raisonne en fille du peuple, mais en administratrice. “Tout cela sera sous ta responsabilité, si tu laisse ton domaine dépérir, du périras avec lui.”

      J’apprends les chiffres, les distances, le temps qu’il faut pour aller d’un point à l’autre, qui vit où et qu’est-ce qui ne vit pas où. Nöerdö a de moins en moins de secrets pour moi et je sais à qui m’adresser quand je fais face à une donnée inconnue. Tamara m’encourage à assurer et assumer mes responsabilités face aux décisions qui doivent être prises.

      Autant être honnête tout de suite, j’ai d’abord beaucoup échoué, le temps de comprendre comment les choses fonctionnent. Le secret est simple : elles ne fonctionnent pas. Le monde est un grand dysfonctionnement et la différence entre les vivants et les morts est la différence entre celles et ceux qui arrivent à tirer partie des dysfonctionnements et celles et ceux qui échouent.

      Tobias est partit pour Nacre. Il ne reviendra jamais vivre parmi nous, d’après le vieux clerc Refus. Il dit qu’il grandira dans la lumière des trois et que, lorsqu’il repartira de l’île de Nacre, il sera un homme nouveau, au service du Trimurti. Il allait continuer sur la gloire du trimurti et de son clergé quand Mère lui a adressé le regard le plus froid que je l’ai vue adresser à quiconque. Par chance, et par chance uniquement, elle n’a perdu aucun de ses neufs enfants jusque là. Ni maladie, ni famine, ni rien. Elle a posé ses mains sur son ventre déjà rebondit à nouveau et à foudroyé le vieux clerc qui a préféré reculer et se retirer.

      Oui, Mère est de nouveau enceinte.

      Je profites de mes présences ponctuelles à Nagy Szivvel pour passer du temps avec les plus jeunes de mes frères et sœurs. Ma propre fratrie est éclatée, désormais, je me sens bien seule pour la première fois de ma vie.

      Garance me souffle à l’oreille que je dois m’arrêter un temps d’écrire pour prendre le temps de manger et de me reposer. Je sens aussi que j’ai les idées moins claires. Je reviendrai donc à ces lignes, plus tard.




      Re: Tünde “Villám” Vihar ─ Sam 22 Déc - 20:00
      Tünde “Villám” Vihar
        Tünde “Villám” Vihar

        Tünde “Villám” Vihar


        “Tamas et nous seuls pouvons”



        29 ans
        Originaire de Nőerdő
        Vassalité : Posvány/Voile Sombre
        Statut social : Noble
        Son métier : Baronne



        Histoire



        A ce moment là j’ai environ seize ans. Tobias est partit voilà deux ans. Tekla ne revient parmi nous qu’un mois ou deux pendant l’hiver et passe le reste du temps en patrouille. Nos retrouvailles sont toujours le prétexte à une journée d’escapade entre sœurs, dans les alentours de Nagy Szivvel. Mère a laissé tomber l’idée de nous réprimander depuis le départ de Tobias. Elle s’est contentée d’un seul long regard entendu et d’un mot “Revenez.”. Je doute que nous puissions en tirer plus, mais venant d’elle c’est un signe d’affection et d’inquiétude prononcé. De confiance aussi.

        Le dixième membre de la fratrie est né. C’est un garçon et il ressemble énormément à Mère, à Tekla et à moi, alors que les trois premiers enfants du troisième mariage de Mère ont tous pris les traits de leur père, cheveux bruns et yeux sombres. Ce petit kisfiú est blond, avec la peau pâle et les yeux clairs. La limite de la finesse du troisième mari de Mère est atteinte un jour de fin d’automne, peu après le retour de Tekla. Je reconnais le changement de ton de Mère avant même qu’elle ne lève la voix. J’échange un regard avec ma sœur qui acquiesce. Nous faisons signe aux autres de se lever et de nous suivre. J’ai Taksony dans les bras, le petit dernier, en les menant chez Tamara.

        Nous nous installons au calme pour l’après-midi pluvieuse qui s’annonce. Tamara prend le petit dans ses bras et il s’endort presque immédiatement contre elle. Tous les souvenirs sont là : la fratrie réunie, l’odeur de pain qui cuit dans le four, les infusions et les biscuits sur la table, les serviteurs de Tamara qui vont et viennent pour nourrir tout le monde. Quelque différences aussi, puisque les plus jeunes ne sont plus sous la garde de nourrices mais plutôt de leurs frères et sœurs plus âgés. Nous sommes une fratrie nombreuse et forte désormais. Quelque chose dans l’air me rappelle une scène déjà vécue, il y a une dizaine d’années maintenant. Je regarde Tamara, qui acquiesce. Je ne sais pas exactement à quoi. Peut-être qu’elle sait ce que ça me rappelle.

        Tard dans l’après-midi, Mère vient nous chercher. Elle a beaucoup d’argent, comme pour acheter des truffes pour un de nos anniversaires. Pourtant ce n’est pas la date pour ça. Tamara fait signe aux autres de partir, mais elle me dit de rester. Mère hausse un sourcil. Le regard que lui rend Tamara est sans équivoque. Je frissonne mais reste assise.


        — Le prix a changé.
        — Ce n’est pas un problème. Dis-moi combien, je te ramènerai tout ça avant la tombée du jour.
        — Pas augmenté. Changé.

        Le silence pèse lourd dans la pièce.

        — Je veux Tünde. Tais-toi. Je veux qu’elle devienne mon apprentie et vienne avec moi en dehors de Nöerdö après ça. Elle doit voyager et se préparer à ce qu’elle héritera de nous.
        — Mais…
        — Je t’ai demandé de te taire.
        Je n’avais jamais pensé possible que quelqu’un parle ainsi à Mère et survive. Ce qui me fait penser qu’aucun de ses maris ne s’est disputé avec elle et n’a survécu assez longtemps pour en parler. A ce moment là, cela me frappe comme une révélation.

        — Ce n’est pas négociable. Si tu veux que ce soit fait, c’est le prix à payer.
        — Prends l’or, répond Mère avec un soupir, pour les truffes.

        Au matin qui suit, je suis juchée dans un arbre, couverte de boue et de lichen, cachée derrière les feuillages dense. Je reste là plusieurs heures, assez longtemps pour voir passer une patrouille qui amène le courrier depuis la Maison Forte toute proche. J’attends patiemment. Je sais pourquoi je suis là. Je grignote un pain aux pignons quand j’ai faim. J’économise mes réserves pour ne pas avoir de besoins pressants à satisfaire avant la fin de l’affût. Puis enfin, il est là.

        A l’orée des marécages, il y a un chemin de planches qui commence et qui traverse les premiers bourbiers jusqu’à la Maison Forte la plus proche de la forteresse. C’est une marche longue de plusieurs heures, mais sûre. Les trous d’eau de part et d’autre du chemin sont des puits de sables mouvants que les prédateurs naturels de la région évitent. Le troisième mari de Mère s’avance sur le large et solide chemin de planche. Il a l’air énervé et fatigué. Il ne fait pas attention. Il serre et desserre le poing autour d’un courrier froissé. La patrouille a fait son travail sans en avoir conscience. J’inspire, je m’assure que la corde accrochée à la branche située à la verticale du passage soit bien arrimée. Puis je me lance.

        Le mouvement de balancier est silencieux, fluide. J’ai les jambes ramenées sous moi et j’arrive dans le dos de ma cible, sur sa droite. Peu avant l’impact je déplie mes jambes en avant et le percute au niveau de la hanche droite et il grogne de douleur, tandis qu’il bascule vers la gauche, décollé du sol par l’impact. Il atterrit dans l’eau boueuse, épaisse et trompeusement claire tant qu’on ne la remue pas. Mon mouvement de balancier se poursuit et je reprends pied sur un tronc, que j’escalade sans poser le pied sur le chemin humide et boueux.

        Je chemine dans les branches et vais décrocher la corde de sa branche, puis je repars par les frondaisons pour retourner jusqu’à la terre ferme, au Sud-Est, vers Nagy Szivvel. Je ne remets pied à terre qu’une fois rendue à l’opposé de la cité par rapport au lieu de l’assassinat. La corde reste cachée dans les arbres quelque part ailleurs et je rentre à la forteresse au milieu de la nuit, non sans avoir croisé la patrouille que j’ai vue passer le matin même, qui me salue et file vers la suite de son parcours.

        Tamara a laissé à mon intention des faisans que j’ai récupérées en cachant la corde. Pour tout le monde je rentre tard de la chasse, dans la forêt. A l’opposé du marais où le troisième mari de Mère s’est malencontreusement perdu.

        Trois jours plus tard, à la fin de longues et inutiles recherches, les funérailles du troisième mari de Mère, perdu dans les marais, sont célébrées avec des truffes et de l’alcool fort. Tamara reste chez nous ce soir-là, pour consoler Mère de sa perte. Elle est encore là au matin quand nous nous levons. Elle me dit que nous partons dès que le printemps sera là, dans trois mois, pour un plus long et lointain voyage que de coutume. Conformément à ses conseils, je m’attache à profiter de mon hiver en famille.

        Cette année-là, chose rare, une des nombreuses tempêtes hivernales apporte de la neige. Cette dernière ne tient pas plus d’une demi-journée, mais c’est un joli spectacle à voir que celui de la forêt blanchie et du marais gelé. Mère est enceinte, sans doute du tout dernier enfant de son troisième mari. Elle me dit, un jour que nous sommes sur les remparts et marchons ensemble, qu’il n’y aura pas de quatrième époux. Elle a l’air lasse, fatiguée. Je songe qu’il me faudra, un jour, assurer ma propre descendance. Cette idée m’ennui déjà.

        Pendant l’hiver je revois aussi les autres jeunes de la baronnie qui vivent à Nagy Szivvel. La noblesse de Nöerdö est d’abord féminine, puisque par un étrange jeu de la nature les enfants aînés sont souvent des filles. Quelque chose dans l’eau, me disait Tamara quand j’étais jeune. Je sais maintenant un peu mieux ce qu’il y a dans l’eau et j’imagine ce qu’il pourrait y avoir de plus. Nöerdö signifie la Femme-Forêt, après tout. Alors j’imagine qu’il y a bien quelque chose dans l’eau et dans la terre. Après tout, c’est un signe funeste que de voir son premier né être un garçon.

        J’ai déjà rencontré, ponctuellement, les autres enfants nobles de la baronnie, mais cette année c’est différent. D’abord, Mère ne m’ordonne plus rien sans avoir l’accord silencieux de Tamara. Ensuite, cette dernière me fait faire le tour sur les premières semaines de l’hiver de l’ensemble des maisons nobles présentes à la capitale. Je suis donc présentée officiellement à tous les riches aristocrates qui, comme Tamara, possèdent des terres à truffes ou à bois. La Cours d’Hiver de Mère se tient comme chaque année, mais c’est sans doute la première fois que j’y accorde autant d’importance.

        J’ai à la fois l’obligation par Tamara d’assister aux réunions, conseils et cérémonies, d’écouter et d’apprendre de ce qui est dit et de ce qui ne l’est pas, mais aussi plus de liberté dans mes interactions avec les autres jeunes nobles. Je fais vite le tri entre les flagorneurs et les intéressants. Je suis activement courtisée par certains jeunes hommes. D’après Tamara est parce que j’ai un physique féminin prononcé et parce qu’ils, les familles nobles, considèrent que marier leur fils à l’héritière de la baronnie serait un bon moyen de gagner en pouvoir sur les autres familles de Nöerdö.

        Je m’entoure assez vite d’une paire de filles qui ont plus ou moins mon âge et je soumets impitoyablement tous les prétendants en herbe à des questionnaires sans merci sur les terres dont ils se vantent d’hériter un jour. Je suis particulièrement déçue de voir le peu de connaissances qu’ils ont sur la réalité du domaine dont ils viennent. Les plus informés sont souvent très condescendants. Je comprends un peu mieux pourquoi les femmes sont mises en avant, les hommes sont-ils tous aussi décevants ? Tamara dit que c’est une question d’éducation, mais qu’elle comprend ma préférence.

        Blasée, je commence à faire subir semblable interrogatoire aux jeunes femmes qui se disputent ma compagnie. Je réalise bien vite que l’ignorance rime avec l’arrogance est qu’elle est plus souvent due à la noblesse qu’au genre. Je dresse un portrait personnel des familles nobles d’après ce que leurs enfants apprennent. Il faut que je parle à Mère de l’éducation de ma fratrie, nous ne pouvons pas nous permettre d’afficher autant de morgue vide de sens que ces pédants et pédantes. Tamara éclate de rire quand j’en parle effectivement à ma génitrice, qui agrée avec un sourire. Je ne m’y attendais pas, mais elle a l’air d’accord avec moi.

        Au bout d’un long mois de joutes creuses, je peux enfin opérer un tri réel dans mon entourage, sous l’œil vigilant à la fois de Tamara et de Mère. Tamara est noble, je ne l’ai pas précisé avant, mais célibataire et sans enfants. Sa richesse lui permet d’éviter d’avoir à en pâtir, les gens se taisent souvent bien vite devant le pouvoir et l’or. Tamara a l’un et elle est proche de Mère, qui a les deux. La famille Vihar, ma famille, possède les plus grands et prospères domaines truffiers de la baronnie. Nos serfs, je les ai vus, élèvent loin au sud-est des cochons truffiers et parfois des chiens pour les déterrer. Nous possédons aussi de grandes forêts dont nous tirons une quantité raisonnée de bois. La vente du bois n’est ni plus ni moins qu’un moyen pour rentabiliser l’entretien de nos futaies.

        Mon tri est plutôt drastique. Ne restent à mes côtés que Gergely et Lenke, qui sont déjà promis l’un à l’autre par leurs familles respectives et sont par conséquents plus honnêtes que la plupart des autres réunis, mais aussi Csóka, fille aînée d’une famille chevrière et par conséquent moins ostensiblement riche que les autres.

        Csóka a répondu sans fautes à mes questions sur le domaine de sa famille et je me souviens de l’y avoir croisée à plusieurs reprises au fil des ans. Elle sait l’importance que j’accorde aux petites gens et partage mon estime pour la réalité de terrain et l’importance de la connaissance des terres sur lesquelles ont doit régner un jour. Sa famille possède un Sziv au Sud-ouest, à cheval sur la frontière du marais et de la forêt, comme le Nagy Szivvel l’est également. Bien que moins riche, sa lignée est propriétaire des plus grands élevages caprins à travers la baronnie et, par conséquent, elle nourrit une part importante de la population de Nöerdö. Voilà quelque chose que je trouve beaucoup plus important que de pouvoir se vanter de porter de la soie de Valacar, payée par le travail des serfs au service de sa famille.

        Il vous faut bien comprendre que les us et rigidités coutumières de la noblesse dans d’autres régions sont un peu différents en Posvany. Le Comté est globalement très renfermé sur lui-même et très peu visité. Nous ne sommes sur la route de personne et personne ne vient nous voir par curiosité. Pendant la Cours d’Hiver, la plupart des familles nobles se disputent le droit d’accéder aux appartements réservés aux familles à l’honneur cette année là, dans la Nagy Szivvel même. Les autres ont des demeures dans les meilleurs quartiers de la ville, mais occuper sa propre maison l’hiver à la capitale est signe d’être moins apprécié que d’autres.

        Je suis contente quand Mère désigne, parmi les familles invitées à résider pour le plus froid de l’hiver au cœur du pouvoir de Nöerdö, les familles de Gergely, Lenke et Csóka, entre autres.

        J’ai l’impression de tourner autour du pot pour rien. J’ai couché avec Csóka cet hiver-là et pas qu’une fois. J’ai prétexté de longues discussions nocturnes et lui ai fait installer un couchage dans mes propres appartements, pour les apparences. Tamara m’a patiemment expliqué comment le demander à Mère et que personne ne serait dupe mais que personne ne dirait rien. Je n’ai réalisé que plus tard que les raisons évoquées pour justifier que Csóka reste la nuit dans mes appartements sont peu ou prou celles invoquées par Mère pour garder Tamara dans les siens ces dernières années, soit en l’absence de ses époux successifs soit entre deux mariages.

        Le Père Refus a tenté de me parler de l’importance de la reproduction et de la perpétuation de la lignée. J’ai songé à l’envoyer paître puis, à sa grande surprise, j’ai pris le temps de discuter avec lui plus longuement de tout cela. Il est une véritable mine d’informations sur les attentes sociales du monde à mon égard. Or j’ai bien compris que j’ai intérêt à savoir où je mets les pieds. Tamara m’a dit qu’elle était fière de mon initiative sur le sujet et nous avons parlé plus longuement encore de tout ce que Refus m’a dit, pour le décortiquer ensemble.

        Csóka est petite, comme moi, plutôt sèche et nerveuse comme mère, avec les yeux verts clairs. J’ai beaucoup forcit pour ma part. Je ressemble plus à Tamara que ce que j’aurais cru, mais nue à côté de Csóka cela ne fait aucun doute. Ma mentor m’a inculqué plus que savoir comment tuer, compter et penser. J’ai les épaules larges et les jambes épaisses, pourtant je reste souple et agile. Csóka aime se coucher sur moi, quand nous finissons par dormir.

        Cet hiver-là est froid, mais nous ne nous en rendons pas vraiment compte avant que le matin ne vienne nous tirer des couvertures.

        Je ne suis pas sûre de ressentir grand chose pour Csóka. D’après Tamara, ce n’est pas grave si je me sens bien en sa compagnie. C’est le cas. A vrai dire je ne ressens pas grand chose pour grand monde, de toutes les manières.

        Le printemps vient vite, trop vite. Il me trouve heureuse de repartir sur les routes. Csóka rentre chez elle, Lenke et son futur époux aussi. Tamara m’explique en riant, tandis que nous prenons le chemin du Gargante au nord, qu’elle a discuté avec la famille de Csóka qui semble partagée entre la déception de n’avoir pas trouvé partit à marier pour sa fille cet hiver et la joie de la voir faire partie du cercle proche de l’héritière du trône de la baronnie. Je dis à Tamara qu’elle-même ne s’est jamais mariée et a toujours vécu dans l’entourage de Mère. Elle me répond qu’elle trouve que c’est mieux que d’avoir à supporter un mari incapable de retrouver son chemin dans les marais. Je trouve aussi. Je soupire longuement à l’idée de devoir me reproduire un jour. Cette simple idée me fatigue par avance.

        Nous descendons le Gargante avec la fonte des neiges jusqu’à son embouchure, dans la mer. De là nous trouvons un autre navire qui nous mène en Sairdagne. Je suis contente de ne pas être sujette au mal de mer. Un autre passager l’est, cela semble particulièrement gênant et plutôt ridicule.

        A Sairdagne, Tamara m’achète un arc. Les arcs posvanéens sont réputés efficaces, mais même nous, reconnaissons que Sairdagne maîtrise la facture d’arc mieux que quiconque en Eurate. Nous passons plusieurs semaines sur place, auprès d’un des plus renommés des facteurs d’arc de l’île. Elle a profité du temps du trajet pour me faire me muscler les bras et les épaules, ainsi que le dos, plus que de coutume. Si certains ont été étonnés de voir des nobles agir ainsi, personne ne l’a relevé. Le temps passé sur place, à attendre que la commande très spécifique de Tamara soit prête, elle me fait m’exercer avec des arcs que nous prête le facteur, toujours plus puissants, toujours plus durs à bander et à maîtriser. Elle insiste pour que je sois capable d’en manier un qui soit le plus puissant possible. L’artisan chargé de notre commande vient régulièrement voir mes progrès, prendre des mesures et vérifier quel style d’archerie je pratique pour adapter au mieux l’arc à l’usage qui en sera fait.

        Finalement, un jour, les essais sur l’arc en lui-même commencent. Il est encore brut mais répond déjà bien à l’usage que j’en fais. Au fil des jours, il est affiné pour que ma main puisse le tenir sans que je m’en rende compte. C’est un vrai arc composite, avec des cornes de chèvre de Nöerdö que nous avons menées avec nous et des composants issus d’autres régions de l’Empire. En comparaison des modèles en bois que Tamara m’a fait essayés auparavant, il paraît souple et fragile, mais il est bien moins encombrant qu’un arc long.

        Il faut encore plus d’une semaine pour terminer le travail sur l’arme, avant que nous ne partions de Sairdagne. Les mois qui suivent, tout le long du printemps jusqu’à l’automne en passant par l’été, nous parcourons Eurate. L’Empire est immense. Posvany est une marque de pouce sur la carte du monde et Nöerdö est une tache d’encre mal orthographiée. Mettre la réalité du monde en perspective avec l’isolement de ma région natale me fait mal au début.

        Durdinis, Posvany et le Duché de Volg sont-ils les seuls lieux où on ai conscience de la menace du nord ? Pourquoi les autres duchés vivent-ils sans cette conscience aiguë que les Hordes reviendront avec la fonte des neiges pour ne repartir que lorsque les feuilles tomberont des arbres ? Pourquoi y-a-t-il autant de pirates ? Il serait plus efficace d’unir ses forces contre les ennemis commun. Tout cela m’échappe. Que l’Empire puisse être aussi grand est une chose. Qu’il soit aussi divisé en est une autre.

        Il n’y a pas de bandits, à Nöerdö. Toutes les communautés dépendent les unes des autres. Les récoltes sont maigres au nord et le sud travaille dur pour approvisionner le commerce de la baronnie, qui nourrit tout le monde. Le sud a besoin du nord, qui le protège et le défend pendant qu’il assure la richesse de la baronnie, qui nourrit tout le monde. La fortune de Mère est un maigre surplus dégagé du commerce énorme que nous entretenons avec nos voisins. J’ai lu les livres de compte et vu les chiffres, mais aussi les quantités sur le terrain. J’ai vu les caisses de conserves envoyées de la forêt aux marais, la tourbe qui va dans l’autre sens, le bois qui, en petite quantité, sort de nos futaies.

        Puis j’ai surtout vu l’or gris, comme elles sont appelées. Les truffes. Des paniers pleins de champignons sphériques qui sentent fort et sont parfois gros comme le poing d’un homme. Elles sont vendues à prix d’or, d’où leur nom, partout dans Eurate. Plus on s’éloigne de Nöerdö, plus il est dur d’en trouver et plus elles coûtent cher. Cet or sert à alimenter la baronnie en nourriture que nous ne pouvons pas produire, surtout les marais qui sont particulièrement mal lotis.

        Pas de bandits, donc, sauf s’ils viennent de l’extérieur. Mais alors ils meurent vite. Une communauté qui n’est pas soudée aux autres, en Posvany, est une communauté morte. C’est sans appel.

        Le plus douloureux de ce tour d’Eurate a sans doute été de me confronter à la pauvreté crasse des autres baronnies du comté, après être passées par la richesse de Melila.

        L’hiver est là et nous sommes rentrées à la forteresse. Gergely et Lenke sont déjà là. Csóka arrive deux jours après nous.

        Les premières semaines de circonvolutions politiques tournent rapidement à l’évidence. Les familles de mes amis seront invitées de nouveau à passer l’hiver avec nous, avec quelques autres. Mère prend le temps de longuement parler avec moi de notre voyage. Elle semble apprécier les conclusions que je tire de cette année au loin.

        Tekla et moi tirons à l’arc aussi souvent que possible. Elle a œuvré toute l’année parmi les Kescke et elle a sa première cicatrice. Nous parlons aussi beaucoup. Elle se fait une place sans mal parmi mon entourage “officiel”. Je passe l’hiver à renforcer le noyau dur de mes relations avec ce petit monde que je me construit. Il me faudra pouvoir compter sur eux une fois installée à la proue de la baronnie, face aux tempêtes du monde à l’extérieur de nos terres.

        Tekla m’aide à les éprouver, Lenke, Csóka et Gergely, mais aussi d’autres qui nous semblent prometteurs. Nous nous disputons devant eux. Elle parle avec eux dans mon dos. Nous mettons de savants jeux d’esprit en place pour voir qui tord, qui casse, qui plie et, à la fin, qui se redresse. Autant Gergely et Lenke sont moins étouffants que les autres, autant Csóka a des atouts certains pour elle, autant j’ai besoin de les savoir ignifugés avant de les plonger avec moi dans les flammes du pouvoir.

        Gergely plie. Il a un sourire facile et va dans le sens de celle qui parle le plus fort, sans s’engager. Il s’efface dès qu’il peut et préfère tenir les comptes de points. C’est un esprit aiguisé dans un corps sec et malingre au visage moucheté des cicatrices de la petite vérole.

        Lenke ne plie pas. Elle se tait, refuse de prendre parti, expose clairement qu’il est hors de question qu’elle se mêle à ces choses là et n’hésite pas à frapper du poing sur la table pour nous réfréner dans nos joutes, aussi simulées soient-elles. Peu lui importe que nous soyions les filles de la baronne, elle nous reprend comme si nous étions les dernières des trublionnes.

        Csóka a été la plus éprouvée des trois. Tekla est allée jusqu’à tenter de la séduire dans mon dos et lui proposer de coucher avec elle. Nous avions convenu que si elle acceptait, Tekla pouvait en profiter avant de me faire remonter la chose. Csóka, dans un premier temps, a donné l’impression d’accepter. Une après-midi, Tekla l’a emmenée dans l’intimité des plus hauts étages de Nagy Szivvel. Elle m’a raconté comment Csóka a joué la timide et lui a demandé de se tourner pour qu’elles se déshabille, avant de se regarder. Tekla s’est exécutée, presque amusée. Puis une fois nue elle a senti le contact glacé d’une lame sur sa gorge et la voix, tout aussi glaciale, de Csóka qui lui promettait les pires tourments si elle tenait de s’en prendre à moi d’une quelconque manière.

        Convaincues par les trois, nous avons cessé le jeu ce jour-là et leur avons posément exposé l’ensemble de la machination et son but, sans fard. Ce soir-là j’ai perçu de l’admiration dans le regard bourbeux de Gergely. Lenke a éclaté de rire, soulagée de pouvoir relâcher la tension nerveuse accumulée par l’artifice. Csóka m’a giflée fort. Deux fois. Sans rien dire. Puis elle a jeté un regard à la fois incendiaire et désolé à Tekla, qui lui a sourit pour lui signifier que ce n’était rien. Ensuite Csóka m’a embrassée, ouvertement. Ouvertement devant mon cercle restreint, certes, mais ouvertement tout de même.

        La nuit suivante est d’une violence rare. Csóka me frappe et me menace à plusieurs reprises, alors même que nous parlons, enlacées sous les fourrures. Sa colère est réelle, j’ai appris à en reconnaître les signes au contact de Mère. Je la laisse exprimer tout ce qu’elle a besoin de dire, puis je lui explique longuement que, comme ce que mes contemporains appellent leurs sentiments, m’est complètement étranger, je dois me baser sur des faits pour décider de si j’apprécie ou non les individus.

        Au matin, elle me bloque sous elle et plonge son regard dans le mien. Elle me demande si elle m’a bien comprise la veille. Si ce que je lui ai dit implique bien que je la garde à mes côtés non pas pour un sentiment qui pourrait disparaître, mais parce que, factuellement, je la veux à mes côtés. Je réponds en lui précisant que je la veux, factuellement, à mes côtés et si possible nue dans mon lit. Elle me mord, m’embrasse et la suite ne vous regarde pas.

        Une fois le premier mois de l’hiver passé, intense comme il le fut, le reste de la saison s’écoule paisiblement. Tamara vient me voir un peu moins d’une lune avant qu’il ne se termine et m’explique nous partons au moins deux ans, au printemps. Que je profite, dit-elle, de la tendresse du foyer tant que je le peux. D’après elle, où nous allons, rien ne sera ni tendre ni un foyer. Je découvrirai plus tard qu’elle a menti, ce jour-là, mais que c’est une partie du rituel qu’elle a alors entamé.

        Le printemps me trouve encore partagée entre l’impatience de reprendre la route et l’ennui de devoir embrasser Csóka avant de ne plus la revoir pour plusieurs années, cette fois. Tekla, Gergely, Lenke et elle m’assurent qu’ils tiendront mes positions l’hiver suivant si nécessaire. Nous avons mit ces mois à profit pour développer une amitié réelle et une complicité qui dépasse les relations froides que les nobles peuvent avoir ailleurs. Tekla m’assure, alors qu’elle m’aide à préparer mes affaires pour partir avec Tamara, qu’elle usera de toute son influence sur Mère pour éviter que Csóka ne soit fiancée en mon absence. Je lui en sait gré, aujourd’hui encore.

        Je laisse là la plume pour ce soir. Je dois rassembler la mémoire de ce qui est venu ensuite.





        Re: Tünde “Villám” Vihar ─ Sam 22 Déc - 20:00
        Tünde “Villám” Vihar
          Tünde “Villám” Vihar

          Tünde “Villám” Vihar


          “Tamas et nous seuls pouvons”



          29 ans
          Originaire de Nőerdő
          Vassalité : Posvány/Voile Sombre
          Statut social : Noble
          Son métier : Baronne



          Histoire



          Nous allons à Evalon. Tamara m’explique que nous allons rencontrer un homme du nom de Garett et qu’il va vouloir me tester sur un certain nombre de points. Cela va prendre du temps, dit-elle, d’où la durée de notre absence. Garett, elle rajoute, devrait être un individu riche en enseignement sur de nombreux points. Indirectement, sans doute, mais tout de même.

          Nous logeons pendant presque quatre ans dans une auberge d’Evalon où on ne nous pose pas de questions. Garett est un type dont la fleur de l’âge s’est fanée mais qui le nie activement. Il boit mais tient mal l’alcool. Il insulte mais mâche ses mots. Il se bat bien, je ne peux lui enlever ça, comme un ivrogne même lorsqu’il est sobre. Il compte avec difficulté, lit mal. D’après Tamara, il dirige le Voile Sombre. Pour moi, il le dirige à sa perte.

          L’ensemble du travail est effectué par des subalternes mal organisés entre eux. Les recettes du vol et de l’escroquerie ne sont pas claires. Personne ne contrôle les comptes à un niveau global. Le seul domaine qui semble “propre” est celui de l’assassinat, celui aquel Tamara m’introduit. Les assassins du Voile sont sous couverture, en autonomie, en attente d’un signal pour agir. Ils sont tout le monde et personne. Le tavernier taiseux, le maréchal-ferrant qui rit trop fort et la couturière du bout de la rue sont autant d’assassins qui veillent sur les intérêts du Voile à leur niveau.

          L’organisation utilise tout ce qui repose dans l’angle mort de la société, mais de nombreuses branches sont à l’abandon. Parfois nous allons voir telle ou telle section, dans un comté éloigné ou un duché mitoyen. Le constat est partout le même. La chose s’effondre sur elle-même.

          Un jour, un peu avant la fin de la première année, je demande à Tamara pourquoi Garett est le chef du Voile Sombre. Parce que le précédent est mort, elle m’explique, et qu’il a convaincu les autres de le nommer lui. Je lui demande comment. Elle me dit qu’il était sobre, jeune et bien entouré à l’époque.

          Alors, lentement, j’établis une stratégie pour le mettre en défaut. Je mets en exergue sa mauvaise gestion et ses mauvaises décisions. Je propose des alternatives viables. Chaque fois que je peux le mettre en défaut je le fais. Quand il tente de faire valoir une autorité absolue et incontestable, je démonte ses arguments et fait valoir une administration raisonnée et prospère. Quand il tente de durcir mes tests pour se venger, Tamara et d’autres anciens se lèvent pour protester et il doit reculer.

          Mois après mois, je dispose mes pions. Il me met à l’épreuve en me confiant l’administration d’une branche pour un an. Je réorganise radicalement le fonctionnement de cette dernière dès que j’ai la main dessus. Le changement est brutal et certains tentent de protester, mais rapidement la plus grande partie comprennent l’intérêt à fonctionner de manière structurée et huilée. Les romantiques sont dépités, mais le romantisme n’a pas sa place dans le Voile. Le romantisme est une problématique de riche. Nombre des membres de la guilde sont pauvres et exercent leur activité pour nourrir une famille, ou plusieurs.

          A la fin des six premiers mois, les résultats de la branche sont inférieurs en chiffres bruts à ceux de l’année précédente, mais c’est la conséquence du changement d’organisation. A la fin de l’année, je ramène un bilan positif, supérieur à celui de l’année d’avant. Il est clair, documenté et lisible. Garett est mécontent, car la part qui remonte aux pontes de la guilde est moindre que celle de l’année précédente. Je lui rétorque qu’elle est supérieure à celle remontée des autres branches, proportionnellement aux chiffres réalisés. Il ne trouve rien à dire. Se lève et sort de la salle. La réunion se termine sans lui et sans heurts. Les représentants des autres branches demandent à voir ma méthode et s’ils peuvent s’en inspirer.

          Mes pièces avancent.

          La semaine qui suit, de nombreux individus me préviennent que Garett les a contactés pour me supprimer. Il cherche à mettre ma tête à prix. Je le gêne. Je hausse les épaules et les réunit, leur dit d’accepter, de demander la moitié de l’argent promis avant le début du contrat comme le permet l’usage et recontacter Garett une semaine plus tard, en lui demandant de venir attester de la mort, pour le mettre face au jugement de ses pairs. Je précise qu’ils pourront garder l’argent pour leurs familles.

          Les pairs de la guilde son réuni en secret et Garett arrive, triomphant, guidé par une demi-douzaine de tueurs, pour siéger sur le banc de l’accusé à son propre tribunal. Il a enfreint les lois de la guilde en mettant arbitrairement une tête à prix. Les pairs en question sont en grande partie des représentants de branches qui ont eut l’occasion de commencer à éprouver mes méthodes de gestion et qui voient d’un mauvais œil ma disparition.

          Le procès dure plusieurs mois. Rien n’est laissé au hasard dans les actes passés de Garett, qui est convaincu en session finale de plus d’une douzaine de chefs d’accusations. C’est à ce moment-là une épave, sobre, en manque d’alcool et d’opiacées. Quand il est officiellement démi de ses fonctions, Tamara dit quelque chose qui me reste encore en mémoire à ce jour.


          Tamara a écrit:
          Le Voile démet son dirigeant pour la première fois de son histoire, autrement qu’en le tuant. Tu as peut-être marqué le tournant d’un âge, Villám.


          Villám, le nom que je porte en tant qu’assassin au sein du Voile. Cela signifie foudre. Tamara l’a choisit pour moi. Elle dit que c’est en rapport avec ma naissance. Peu importe que ma mère en fasse trop ou pas. Les autres ne sont pas obligés de le savoir, elle dit.

          A l’issu du procès, les discussions pour la succession de Garett commencent. Quelqu’un propose ma candidature. Certains arguent que je suis trop jeune, et je suis d’accord. Les argumentations s’enlisent, les débats s’éternisent. Mais les affaires tournent, alors nous avons le temps. A ce moment là j’ai un peu moins de vingt ans.

          Finalement, après que je discute longuement avec chaque représentant, seule à seul ou pendant les réunions, il est proposé que je prenne la direction de la guilde mais que les pairs délèguent des conseillers qui veilleront à me guider au mieux, et si besoin est, par rapport aux réalités du terrain, au moins pour une durée de cinq ans. Je fais, au grand damn de toutes et tous, une contre-proposition pour que les conseillers, même s’ils doivent changer au bout d’un moment, soient présents à mes côtés tout au long de mon exercice et de l’exercice des dirigeants suivants, pour s’assurer que je ne perde jamais contact avec le terrain en question. Finalement c’est accepté et voté ainsi. Je rentre à Nagy Szivvel cet automne pour fêter ma deuxième décennie. Avec moi il y a Tamara et trois individus supplémentaires.

          Tamara est officiellement ma garde du corps. Elle est versée dans les casses, le racket, le vol à main armée, le banditisme de grand chemin et la violence ciblée. Une femme adorable qui connaît une douzaine de manières différentes de casser un poignet, et au moins autant de défoncer une porte sans matériel dédié. Je l’ai déjà vue lancer un banc de taverne sur un adversaire à elle au cours d’une rixe. Belle précision dans le geste.

          Sylvia m’accompagne en tant que conseillère commerciale au titre des investissements à long terme. Autrement dit c’est une arnaqueuse chevronnée et une cambrioleuse compétente. Sa spécialité réside dans l’identification d’objets de valeur et leur acquisition, puis leur écoulement. Elle considère l’or en grande quantité comme un objet de valeur comme un autre, plus pratique à acquérir puisqu’il peut être divisé en plusieurs portions sans perdre de sa valeur pour autant. Elle porte une longue épée dans le dos et prétend avoir été spadassin avant tout. Elle parle moins que Tamara mais c’est une grande bavarde par rapport au troisième.

          Rob. C’est un comptable, il paraît. Il prétend ne savoir ni lire ni écrire, si ce ne sont des chiffres. Il porte des bésicles crasseuses et un grand manteau de cuir éliminé. Il possède une sorte de don inexpliqué pour se faire oublier et je sursaute régulièrement quand il prend la parole, même aujourd’hui encore, une fois toutes les chutes de neige à Melila. Il représente les assassins, si j’en crois la logique des attributions des deux autres. Il n’y pas grand chose de plus à dire sur lui, même dix ans plus tard.

          Tous les trois ont la quarantaine tassée au moment où ils me rejoignent et ils ont déjà travaillé ensemble par le passé, de leurs propres dire.

          Mon retour ne passe pas inaperçu, ma mère accueille pour l’occasion l’ensemble de noblesse de la baronnie. Mon retour est fêté “dignement”. Tout cela me passe terriblement loin au-dessus de la tête. Csóka, Tekla, Gergely et Lenke sont là. Je leur explique posément que je leur raconterai plus tard ce que je peux leur dire de ces quatre années et je leur présente Tamara, Sylvia et Rob. Ces derniers ne sont pas nobles et conservent donc une forme de distance avec notre cercle restreint. Tous les trois donnent bien le change de leurs fonctions simulées, ce sont des professionnels et j’apprécie d’être ainsi entourée.

          La partie moins agréable de mon retour prend la forme d’une conversation avec Mère.

          J’ai horreur des “conversations” avec Mère. Pour qu’elle mette autant de formes à avoir un moment en face à face avec moi, c’est qu’il s’agit forcément d’un sujet désagréable pour nous deux. Cette fois-ci il est question du fait que j’ai vingt ans et que je ne suis toujours ni mariée, ni mère. A seize ans, il était envisageable que je disparaisse un an ou deux de la circulation pour une raison valable quelconque. A vingt, j’ai un “devoir” à accomplir et je suis en retard.

          Certes.

          Je n’ai que dix-sept ans d’écart avec ma mère.

          Certes.

          Mais la simple idée de me reproduire avec un homme, notamment de l’acte qui doit précéder la reproduction, me donne la nausée. Si j’imagine un instant me contenter de désigner Tekla pour me succéder, et sa progéniture à défaut, puisqu’elle se marie au printemps - j’ai appris plus tard dans l’hiver qu’elle a différé la cérémonie pour attendre que je sois de retour - je réalise bien vite que cela ne sera pas suffisant. Mère me parle, la conversation est à sens unique. Je lui répond uniquement par mon regard le plus lourd, le plus dénué d’émotions. Elle finit par se taire et s’asseoir. Elle me regarde, l’air inquiet de ma réaction. Elle réalise très bien où j’ai passé ces quatre dernières années. Elle a peur de moi. C’est stupide.

          Je lui répond, calmement, que j’irai au printemps chercher un époux, après avoir profité de l’hiver pour renouer avec mon cercle intime - je vois dans son regard qu’elle perçoit très bien ce que j’entends par là - et qu’au printemps qui suivra, à la même période que Tekla cette année, je me marierai.

          Après un instant de surprise de sa part, puis un regard soupçonneux et appuyé, elle me répond qu’elle n’est pas dupe du fait que je trouverai sans doute un moyen de tourner cette affaire à mon avantage, d’une manière ou d’une autre. Elle me dit aussi que le Trimurti ne me lâchera pas tant que je serai en mesure de procréer, que chercher à contourner l’obligation est inutile. J’acquiesce et lui répète ce que je lui ai dit précédemment, sous la forme d’une promesse cette fois : au printemps suivant celui du mariage de Tekal, donc le printemps de l’année prochaine, je me marierai.

          Elle soupire, à moitié satisfaite, transpirante de méfiance, puis acquiesce et change de sujet.

          C’est la première fois que j’entends ma mère me parler directement et sérieusement des sorcières de Nöerdö. Elles sont une petite communauté amazone qui vit sur quelques maisons fortifiées juste sous la frontière Khöz. Elles ne sont pas Trimurtistes et il y a un “arrangement” officieux entre elles et les baronnes de Nöerdö : nul clerc ne vient s’intéresser à ce qu’elles font et en échange, elles gardent la frontière en permanence. De la paix contre de la paix. Mère me dit qu’avant que ne vienne le temps où elle me laissera la place à la tête de la baronnie il me faudra les rencontrer, avec elle, pour renouveler l’entente. Leur allégeance assure à toute la zone située au sud de la leur, le long du fleuve, une paix souveraine et primordiale pour le commerce.

          Pour s’assurer qu’elles ne “débordent” pas de leur territoire, un monastère Trimurtiste dédié à Tamas est installé au sud de leur enclave. La proximité de deux communautés aussi opposées mais qui coexistent en paix m’étonne, mais je n’ai pas cherché à en savoir plus à ce moment là.

          Puisque nous sommes revenues sur un terrain de discussion plus agréable, quoique flou, pour elle comme pour moi, l’atmosphère de la pièce se détend petit à petit et nous finissons par discuter à bâtons rompus de ce qui s’est passé dans la baronnie ces dernières années.

          Ainsi, Gergely et Lenke se sont mariés deux ans auparavant - ce que je savais déjà - et reprennent déjà de belle manière les affaires de leurs parents - ce que j’avais entraperçu. L’époux en devenir de Tekla est un deuxième fils de noble de Bodva qui viendra vivre en Nöerdö. Elle l’a rencontré et courtisé pendant les campagnes d’été de ces dernières années et il vient avec des chiens de Bodva, dont le sang pourra être mêlé aux lignées truffières de la région pour limiter la consanguinité et chercher de nouveaux traits. Csóka a décliné toutes les offres de mariage que ses parents ont pu tenter de lui imposer, notamment grâce au soutien de Tekla et à son statut de proche de moi.

          Mère me dit qu’elle comprend que je veuille avoir à mes côtés quelqu’un de confiance comme elle-même a Tamara, mais me met en garde contre le fait de faire passer mes besoins avant les siens. J’écoute d’une oreille distraite son laïus inquiet, après avoir vécu quatre ans non loin de Tamara, et passé plus d’années encore à arpenter le pays avec elle, j’ai réussi à percevoir des choses qui me font douter de la nature exacte de la relation entre Mère et elle. Je ne dis rien pourtant, j’attends mon heure sur la question.

          Puis je suis entretenue de tout le reste. Quatre années sont une période excessivement longue, je le réalise mieux maintenant. C’est intéressant de voir le changement avec ce hiatu pour distance qui permet de mettre chaque information plus facilement perspective. Nöerdö est différente et semblable à la fois. Comme toujours.

          Après avoir festoyé une bonne partie de la journée et discuté avec Mère jusqu’à plus de la minuit, je retourne enfin à mes appartements. Tatiana, Sylvia et Rob ont chacun une chambre dans ces environs-là, surtout Tatiana pour qu’elle puisse me suivre dès que je sors de cette zone qui, après examen de sa part, a été déclaré comme “un désastre de sécurité tout juste acceptable”. J’imagine qu’il y aura du changement à ce niveau-là dans les jours et semaines à venir, puisque je lui ai donné mandat d’entreprendre ce qui serait nécessaire en la matière.

          Sur le seuil de ma chambre, Csóka m’attend. Nous avons été peu démonstratives depuis mon retour et, comme je m’en doutais, elle me révèle que Mère lui a intimé de tenir une distance avec moi jusqu’à ce qu’elle ait pu me parler. Son inquiétude est palpable. Elle a passé quatre ans à m’attendre, après tout. Je n’envie pas sa position pendant ce temps-là, sur le fil de la défiance aux traditions pour une femme qui n’est pas revenue pendant plusieurs longs hivers.

          Je consacre toute une semaine à renouer avec elle en particulier et avec mon cercle restreint en général. Je présente mes trois nouveaux conseillers plus formellement et je les invite à échanger sur leurs compétences mutuelles. Tekla et Tatiana s’entendent vite très bien, surtout quand chacune des deux réalise que l’autre est une version complémentaire d’elle-même. Le fait que la principale préoccupation de ma garde du corps soit de mettre à profit les spécificités de la région pour assurer ma sécurité ne font que renforcer cela.
          Lenke et Csóka en viennent rapidement à discuter affaires et commerce ensemble. Leurs échanges dépassent rapidement mes maigres compétences en la matière. Je suis une administratrice, pas une commerçante. La connaissance étendue que possède Sylvia des marchés à l’échelle de l’empire sont une aubaine pour les deux jeunes femmes qui ont un patrimoine commercial à valoriser, chacune à leur manière. Pouvoir s’inspirer de méthodes extérieures se révèlera un atout de poids par la suite.

          Gergely reste longtemps sans parler, comme Rob. Le premier jauge chacun des nouveaux venus, ainsi que moi qui regarde tout ce petit monde s’agiter et parler de vive-voix, tandis que Rob fixe Gergely, presque invisible tel qu’il est, placé dans un angle mort de la conversation. Finalement leurs regards se croisent et je suis convaincue qu’ils se sont dit beaucoup de choses sans avoir besoin de mots.

          Mes nombreuses petites sœurs ont grandit, de même que mes rares petits frères. Pour chacun des mariages se profilent dans les années à venir, des alliances à nouer pour renforcer le tissu d’influence de la famille sur la baronnie et ses alentours. Je passe une partie du premier mois à revoir avec chacune et chacun d’entre eux ce qu’ils et elles sont devenus. Nombre de mes sœurs ont développé un caractère tempétueux semblable à celui de Mère. Les autres ont une franchise coupante et toutes partagent une brutalité certaine, inculquée par l’exemple de Tekla qui revient chaque hiver avec de nouvelles cicatrices.

          Les garçons ont pour la plupart développé une habitude à la discrétion, commune à nombre d’hommes de la baronnie où la place des femmes peut rapidement être étouffante. Leur discrétion n’enlève rien au fait qu’ils soient terriblement efficaces dans ce qu’ils font, obligés de briller pour se faire remarquer d’une Mère qui leur accorde sinon bien peu d’attention. En conséquent je leur en accorde particulièrement et les motive à se faire une place par eux-même à la cours.

          Mère m’a fait présent d’une fratrie nombreuse et en bonne santé. J’escompte bien à en garder un certain nombre à mes côtés pour mieux affronter ce qui vient, de quoi qu’il s’agisse.

          On vient me chercher pour une urgence. Je reprendrai donc ce récit ensuite.




          Re: Tünde “Villám” Vihar ─ Sam 22 Déc - 20:01
          Tünde “Villám” Vihar
            Tünde “Villám” Vihar

            Tünde “Villám” Vihar


            “Tamas et nous seuls pouvons”



            29 ans
            Originaire de Nőerdő
            Vassalité : Posvány/Voile Sombre
            Statut social : Noble
            Son métier : Baronne



            Histoire



            L’hiver avance doucement. Csóka se noie dans mes étreintes, désespérée à l’idée que je doive repartir au printemps pour chercher un homme qui prendra sa place dans ma couche. Je ne lui ai rien révélé de mon plan, parce qu’elle ne l’approuverait pas. En réalité, je n’en ai parlé à personne. C’est risqué, sans doute stupide, mais pour la première fois de ma vie j’ai du mal à penser rationnellement. Le père Refus et Mère me relancent régulièrement sur l’importance de la perpétuation de la lignée et, si je sais que le mariage homosexuel est admis, je dois quand même en passer par une mascarade vomitive impliquant un homme, un mariage et une nuit au moins sous des fourrures qui ne demandent qu’à voir chaque nuit le cul de Csóka et non pas le fondement velu d’une noble paire de valseuses surmontées d’une vilaine caboche, le tout pompeusement nommé “mari”. La question n’est même pas du besoin de se reproduire, ou pas. Oui, j’aimerai bien élever des enfants et transmettre un savoir-faire et une vision de l’existence. Je suis prête à adopter tous les orphelins de la baronnie si cela peut me permettre d’éviter d’avoir à mettre un homme dans mon lit.

            La simple idée qu’un mâle me touche me donne des nausées et des crampes à l’estomac. Qu’on puisse songer à me forcer à me reproduire avec un être que je serai incapable d’aimer me révulse au plus haut point. Je passe de longues heures la nuit à fixer le noir, Csóka contre moi, à sérieusement songer à disparaître d’une manière ou d’une autre pour m’éviter cette horreur sans nom. Je n’ai rien contre les hommes, tant qu’il n’est pas question d’une relation intime.

            Un matin du milieu de l’hiver je décide de passer la journée seule. J’ai besoin de réfléchir. Je pars à pieds dans la forêt déserte et, pour une fois cette année, enneigée. Tatiana m’accompagne en silence, je n’ai pas essayé de l’en décourager. Nous nous arrêtons à l’heure du déjeuner en haut d’un vallon dont le fond est tracé par une rivière, un des multiples cours d’eau de la baronnie qui finira dans le Gargante, loin, très loin de là. Nous mangeons sans rien dire, car il n’y a rien à dire. Je me lève finalement et j’avance vers le bord.

            Je n’ai pas de plan. Rien que des idées bien sombres qui impliquent que je finisse mutilée, voire morte, pour échapper à l’étouffante échéance qui se profile. En contrebas, l’eau cours dans son lit. Il y a une pente bien raide entre elle et nous, presque un à-pic. Tandis que je soupire, déprimée, et me retourne après avoir triomphé une fois encore de mes idées noires, je sens le sol glisser sous mes bottes.

            Avant que Tatiana n’ait pu se lever et m’atteindre, malgré sans vivacité, sa grande taille et ses bras tendus, je disparais de son champ de vision. Un long, douloureux et pénible roulé-boulé m’amène jusqu’en bas de la pente, à moitié dans l’eau. Je me redresse péniblement, tandis qu’un filet de sang coule de mon arcade abîmée. Tatiana s’approche du bord avec prudence, elle a l’air soulagée que je suis déjà presque debout. Elle me crie quelque chose mais je n’entends pas.

            Et pour cause, le rugissement courroucé d’un ours de Posvany retentit dans le vallon. En face de moi il y a une caverne de laquelle émerge un plantigrade énorme au poil noir. La plaque de neige qui a glissé et provoqué ma chute a entraîné quelques débris, dont moi donc, dans sa course. Le bruit a réveillé le dangereux prédateur en face de moi et, la peste soit des Fortunes, mon arc est resté en haut.

            Un sifflement détourne l’attention de l’ours. Tatiana vient de lui tirer une pierre derrière l’oreille avec l’aide de sa fronde. Elle profite de sa désorientation pour m’envoyer mon arc, justement, et mon carquois de flèches. J’ai eut la bonne idée d’adopter les traditions des Kescke qui les attachent à leur contenant pour éviter d’en perdre dans les marais. J’attrape l’arc, fort bien envoyé ma fois, et clopine jusqu’aux flèches qui sont accrochées à une branche par la sangle du carquois. L’ours ne restera pas confus longtemps. Déjà, son grognement retentit de nouveau dans le vallon tandis que Tatiana s’efforce de le provoquer. En vain. Il se tourne vers moi et me charge alors que j’ai à peine pu délier mes flèches. J’en saisis trois et m’élance sur le côté pour éviter son premier assaut. Des éclats de bois giclent de l’arbre qui reçoit le monstrueux coup de patte qui m’était destiné. Je roule au sol et me redresse, malgré les douleurs qui lancent mes membres fourbus par la chute. J’encoche une flèche avant de finir de me redresse, bande l’arc et tire.La bête fait un écart et mon trait ne s’enfonce que dans son flanc à la fourrure épaisse et au cuir solide. Je recule et tente de m’éloigner pour le maintenir à distance. Il me rattrape vite et je suis contrainte à rouler de nouveau pour changer brutalement de direction.

            Alors que je bande a nouveau mon arme, je reçois le revers de sa patte qui fait voler mon arme de mes mains et me projette en arrière sur plus d’un mètre. J’entends le hurlement de Tatiana qui dévale la pente. Je suis sonnée par le choc de ma tête contre un morceau de bois sous la neige piétinée. Le coup suivant me touche de plein fouet et les griffes lacèrent mon ventre. Je roule, entraînée par le mouvement de la patte qui vient de m’éventrer ou peu s’en faut.

            Je m’attends à subir le coup de grâce à tout instant et, malgré moi, je m’y résigne. Rien ne vient, pourtant, sinon un choc sourd suivi d’un grognement contrarié. Je roule sur le flanc péniblement et ce que je vois ne me semblera pleinement surréaliste qu’après ma convalescence, une fois la conscience acquise de la réalité de ce souvenir. Tatiana a saisit le tronc d’un jeune arbre mort et, de toute sa terrifiante masse de muscle, s’en sert pour cogner sur l’ours qui recule sous les assauts terrifiants du bois gelé. Le monstre finit par tenter, malgré tout, de reprendre l’avantage une fois la stupéfaction passée. Il se redresse de toute sa hauteur et gronde si fort que mes os m’en font mal. Pourtant Tatiana tient bon et se sert de la force déployée par la bête lorsqu’elle retombe vers elle pour la faire s’empaler sur le tronc qu’elle brandit. Le craquement sinistre de la cage thoracique qui cède n’est précédé que d’un instant par celui, lugubre, de la colonne vertébrale déchirée par le pieu de fortune qui déforme la fourrure dans le dos de l’animal.

            Le soulagement m’envahit, autant parce que la bête est morte que parce que je me sens partir. L’obscurité vient et je l’accueille comme une amie longtemps désirée.

            Le réveil est pénible et douloureux. Je suis dans mes appartements, sur mon lit. Tamara lit, assise dans un fauteuil. Mon ventre est bandé et mes sens confus. Elle a l’air qu’elle affiche quand il n’y a qu’elle et moi dans la même pièce, celui où elle ne fait pas semblant de ressentir des émotions diverses. Je prend le temps de remuer mes mâchoires et de faire l’inventaire de ce qui bouge ou pas quand j’y fait appel. J’ai la bouche pâteuse, une odeur forte emplit l’air autour de moi et mes membres me lancent de partout. Je dois donc aller relativement bien.

            Je finis par tourner la tête vers Tamara de nouveau, qui me sourit et me regarde.

            — Combien de temps, je lui demande, ais-je été inconsciente ?

            — Moins d’un demi-jour. Nous sommes le lendemain de ton accident et le soleil se lève à peine. Tatiana a monté la garde toute la nuit devant ta porte après t’avoir ramenée sur son dos. Elle a remarquablement bien pansé ta plaie avant de te transporter. Tu seras sans doute satisfaite de savoir que ta génitrice et Csóka ont veillé à ton chevet ensemble une bonne partie de la soirée et que la peur de te perdre semble les avoir remarquablement aidées à se découvrir des points communs. Je vais chercher le chirurgien, qui voulait savoir quand tu serais réveillée, ainsi que Csóka. Je reviendrai ce soir. Tekla est intenable, je l’emmène avec moi.

            — J’imagine qu’il est inutile de te demander où.

            — Tu as toujours eut une imagination très réaliste, Tünde.

            Je tressaille à la mention de mon prénom. Cette dernière phrase est particulièrement lourde de sens, je peux m’en rendre compte même à travers les brumes de la fatigue et de la douleur.

            Le chirurgien arrive peu après, accompagné du Père Refus, de Mère et de Csóka. J’entrevois Tatiana par la porte ouverte croise son regard. Je lui souris. Elle semble particulièrement soulagée et en même temps surprise de voir cette démonstration émotionnelle de ma part.

            Refus a l’air contrit, ce qui m’étonne de sa part. J’imagine qu’il doit y avoir une chose que je ne sais pas qui conditionne sa réaction. Nous avons beau avoir des différends, il reste un homme bon et, Mère me l’a assuré, tolérant. Après tout il n’a rien dit à propos des sorcières du marais, alors qu’il aurait pu le reporter à Nacre depuis longtemps. Le chirurgien a l’air gêné, il doit donc y avoir une nouvelle quelconque à m’annoncer sur mon état de santé. Une nouvelle contraignante. Alors qu’il prend place aux pieds de mon lit, Refus se place un peu à sa droite, légèrement en retrait.

            Mère vient à ma gauche et s’assied sur le bord du lit, elle me pose une main sur l’épaule. Elle et Csóka, qui vient à droite et me prend la main avec force, semblent soulagées. Je suis curieuse, donc, quand le médecin prend enfin la parole.

            — Dame Vihar, c’est, et bien, difficile à annoncer et…

            — Parlez, je lui dit. Parlez sans crainte et sans détour, épargnez-vous la pénibilité des circonvolutions inutiles. Je vous écoute.

            — Soit, il déglutit, la patte de l’ours a touché votre bas-ventre. Vos tripes sont intactes puisqu’à leur niveau la blessure est tout juste superficielle. Les plus longues, par contre, ont lacéré plus profondément votre chair à l’endroit de, et bien, le lieu qui aurait pu porter votre descendance. J’ai été obligé de retirer toute la partie supérieure pour vous épargner de conséquents problèmes par la suite. Heureusement pour vous, quelque part, les griffes acérées de la bête ont entaillé si proprement votre ventre que j’ai pu travailler rapidement et directement. Je crains par contre que vous ne puissiez avoir d’enfants par vous-même Dame. J’en suis désolé, il n’y avait rien que je puisse faire d’autre.

            Dire que je suis soulagée est un faible mot. Un poids énorme s’envole de mes épaules alors que les lèvres du chirurgien égrènent les mots qui officialisent ma libération du devoir reproducteur redouté et haï. Je réalise avec le recul que, si cela n’avait pas été le cas, je me serais sans doute donnée la mort avant de me résoudre à épouser un homme. Il est probable que je me serais laissée mourir pendant ma convalescence, en réalité. Revoir la vie avec toutes ses couleurs est une bonne chose.

            — Tatiana !

            L’intéressée rentre, tandis qu’elle entends ma voix qui l’appelle. J’aperçois Rob et Sylvia assis dans le couloir sur un banc, ils semblent veiller avec elle. Ma garde du corps vient se placer au pied du lit, à côté du chirurgien.

            — Vous m’avez sauvé la vie, tous les deux. J’ai une fratrie nombreuse par la grâce de ma Mère et je serai un jour baronne de ces terres. Aussi longtemps que la mémoire de ma personne subsistera, vous serez chez vous partout où le sang des miens a sa place.

            Mère serre mon épaule et quand je la regarde, je vois l’approbation dans son regard. Csóka me fixe avec ce qui semble une joie immense. Le père Refus acquiesce dans le dos des concerné, m’adressant un signe de tête d’encouragement. Tatiana et le chirurgien ne semblent pas très bien réaliser ce que je leur dit, j’en rajoute donc un peu.

            — Oui j’ai été blessée et me voici dans l’incapacité de procréer. Mais je ne suis que blessée et stérile, là où j’aurais pu être morte et dévorée par un ours. Vous n’avez à être désolés de rien, pas alors que vous vous êtes illustrés, l’un comme l’autre, par votre professionnalisme. Quel est ton nom, chirurgien ?

            — Tiber, Dame.

            — Tu as une famille, Tiber.

            — Une femme et trois enfants, Dame. Quatre au printemps peut-être.

            — Bien. Mère, serait-il possible de trouver à Tiber et à sa famille des appartements dans la forteresse en elle-même ? J’imagine que je vais avoir besoin d’un suivi régulier pendant au moins tout l’hiver. Il serait bon que cet homme puisse profiter de sa famille malgré qu’il doive demeurer ici.

            — Je suis sûre que l’intendant saura en trouver, acquiesce Mère.

            Je vois un reflet brillant dans les yeux de Tiber. Je viens de me faire un allié. C’est une bonne chose, étant donné qu’il a tenu mes tripes à la main et que je suis toujours en vie après cela. C’est le genre d’homme qui fait un atout de choix.

            Le soir, Tamara et Tekla reviennent. Avec elles, il y a plusieurs Kescke qui portent une cage fixée à des barres de bois solides. Dans la cage, un ourson qui a l’air terrifié. Je suis toujorus à moitié allongée, mais une quantité conséquente de coussins sous le quart supérieur de mon corps me permettent de mieux voir ce qui m’entoure. Csóka est là, elle ne m’a pas quittée depuis l’épisode avec le chirurgien. Le père Refus m’a dit qu’il repasserait parler avec moi plus tard et Mère est partie remuer la moitié de Nagy Szivvel pour trouver à loger au plus vite Tiber et les siens.

            Tamara tire une chaise et s’assied sans plus de cérémonie, près de la cage. Tekla fait de même et les Kescke ressortent attendre dans le couloir.

            — C’était une ourse, Tünde.

            Encore ce ton qui m’a faite frémir plus tôt dans la journée.

            — Voici son ourson. Sans sa mère il mourra. Elle a été tuée pour que tu vive. Ceci sera peut-être une de mes dernières leçons, tu as un choix à faire. Tu dois assumer les conséquences de tes actes.

            Je fixe Tamara, puis l’ourson. Il n’a rien à voir avec le monstre qui m’a presque tuée la veille. Il grogne, apeuré. Il doit avoir faim, il doit être déboussolé. Un bien triste sort en vérité. J’ai déjà montré ma gratitude à ceux qui ont sauvé ma vie. Maintenant je dois décider quoi faire de l’enfant de celle qui a manqué de me la prendre.

            — J’aimerais que Gergely, Lenke et le maître-chien du château soient là.

            Je ne m’adresse à personne en particulier, mais j’entends des pas s’éloigner dans le couloir. On m’a entendue. Le silence de l’attente n’est rompu que par les grognements de l’ourson désorienté, jusqu’à l’arrivée des appelés. Gergely et Lenke prennent place sur des chaises à leur tour. Le maître-chien se tient droit dans mon champ de vision, silencieux. Tous ont toisé l’ourson avec surprise à leur entrée dans la salle.

            — Que puis-je pour vous, Dame ?

            — Sotr, c’est cela ?

            — Oui, Dame.

            — Pensez-vous possible de domestiquer un ourson comme celui-ci ?

            L’interpellé fronce les sourcils, intrigué, puis s’approche de la cage et observe l’ourson avec attention. Il avance une main pour voir sa réaction. La bestiole semble effrayée mais pas agressive. Sotr n’insiste pas et fait le tour de la cage, plusieurs fois. Puis revient se tenir droit à son ancienne place.

            — C’est possible, Dame. L’animal semble plus effrayé qu’autre chose, en gagnant sa confiance ce serait une possibilité d’en faire autre chose qu’une paire de bottes. Aucune certitude cependant. Surtout si c’est un mâle, il faudra alors le castrer comme nous le faisons aux chiens les plus agressifs. Il deviendrait alors apathique. Si c’est une jeune femelle, elle pourrait développer un comportement différent. Je n’ai aucune certitude, après tout les montreurs d’ours sont rares et c’est pour une bonne raison.

            — Merci. Gergely, quelle impression donnerait un ours à la cours ?

            — Tout dépend de comment tu le présente. Il y a fort à parier que ce soit une image qui te soit fortement associée par la suite. Enchaîné, cela donnera l’impression que tu contrôle, par la force si besoin, ce qui pourrait s’opposer à toi. Si tu réussi à le domestiquer réellement, en admettant que ce soit possible, avoir un ours en guise de chien serait un symbole fort, celui que tu peux inspirer assez la confiance même à une bête sauvage pour la faire se tenir à tes côtés.

            — Lenke, un avis ?

            — Les marchands parleront de toi comme d’une saltimbanque si tu fais danser sous leur nez un ours enchaîné. Si tu réussi le tour de force d’en faire une bête domestiquée mais “libre” de ses mouvements, ils te prendront pour une sauvage, sans doute, mais respecteront ce symbole de force à tes côtés.

            — Oui, approuve Gergely, les gens de l’extérieur verront ça comme une preuve de plus que les posvanéens sont des barbares fous et bien pratiques pour retenir les Khöz. Sauf que tu auras le poids économique de Nöerdö avec toi. Cela obligera les gens à te prendre au sérieux.

            — Csóka ?

            — Tu seras baronne, tu vas avoir à gérer et protéger tous tes sujets comme un pâtre gère et protège ses chèvres : en espérant que la plus vieille du troupeau n’échappe pas à ta surveillance, sans quoi toutes les autres suivront. Ce serait une belle image que de pouvoir dire qu’à Nöerdö les chèvres vont sans entrave puisque les ours sont domestiqués et qu’elles ne risquent plus rien dans la forêt.

            Gergely sourit et acquiesce. J’entends Tekla dire qu’il y a là matière à histoire. Je la regarde et lui donne la parole.

            — Tu demande à une Kescke ce qu’elle pense de garder un ours à la maison, elle demande en riant, je pense que si ça marche je serai contente de pouvoir m’endormir en me disant que, finalement, chez nous, même les bêtes sauvages coopèrent avec les bonnes gens pour survivre à tout ce que le nord peut vomir de cavaliers et passer l’hiver.

            J’acquiesce et je regarde le maître-chien, qui s’efforce de rester impassible. Puis je fixe Tamara, qui me regarde et qui attend, comme elle le fait si bien quand elle m’a posé une question épineuse et patiente le temps que je conçoive une réponse.

            — Nourrissez l’ourson. Je lui trouverai un nom. Il va falloir réfléchir à un moyen de le garder près de moi sans qu’il ne soit pour autant un danger surtout au début. Je veux qu’il s’habitue à ma présence et à mon odeur. Tamara a tué sa mère pour me sauver, ce ne sera pas le premier parent à mourir pour préserver tout ou partie de cette baronnie mais, pour cet enfant là au moins nous pouvons faire quelque chose.

            Mère a vaguement cherché à protester en apprenant la nouvelle, puis a finalement renoncé quand elle a vu le regard que je lui adressais. La mort d’autrui ne m’affecte pas, mais avoir considéré si sérieusement la mienne que j’ai eu le temps d’entrevoir son nom a renforcé ma détermination.

            Une fois l’ourson un peu plus en confiance, il a été possible de l’examiner. D’après le maître-chien c’est une femelle. Je l’ai donc appelée Elevenen, ce qui signifie “Vivante”. La vie, finalement, est ce qui nous lie elle et moi. Sa survie est une conséquence de la mienne, puisque si j’étais morte sur ce lit, je doute que Tamara aurait prit la peine d’aller le chercher.

            Le reste de l’hiver est calme. Je passe beaucoup de temps avec Csóka, en silence. Nos présences mutuelles nous suffisent. Elevenen mange beaucoup, dort beaucoup et grogne le reste du temps. Dès que je suis capable de marcher, je retrouve le confort de diverses choses : aller déféquer et uriner sans aide en tête. Je commence également à habituer l’oursonne à mon odeur. Je lui laisse de vieilles nippes dans la cage-enclos qu’elle ne quitte pour l’instant pas. Quand je la retrouve dormir dedans certains matins, je me dis que créer un lien avec elle doit être possible.

            Le temps de cicatriser proprement, nous restons sages avec Csóka. Cela me fait étrange mais nous développons un autre aspect de notre relation, plus apaisé. L’urgence de profiter de nous deux avant qu’un homme ne vienne prendre sa place dans mon lit a disparu. Je n’ai plus aucune obligation légitime en ce sens, puisque la question de la reproduction est révolue. Un inquiétude, pourtant, subsiste. Palpable.

            Le père Refus revient me parler comme il a dit qu’il le ferait. Il se fait annoncer un matin et nous discutons toute la matinée ensemble. Il m’entretient longuement de ses méditations sur la question encore épineuse d’une union éventuelle entre Csóka et moi. Je n’ai rien mentionné de tel, mais il est loin d’être dupe. Il m’explique que le cas de Tamara qui est restée la femme de confiance de Mère sans jamais se marier est déjà une exception en soit. D’après lui, il est préférable que mon amie procrée tant qu’elle le peut encore. Il tente de me parler de cours naturel de l’existence et de normalité.

            Je lui répond en lui expliquant de manière détaillée les idées sombres qui ont traversé mon esprit ces dernières semaines, avec l’inéluctabilité annoncée d’un mariage avec un homme. Je lui parle sans réserve de tout le mal que cette étouffante injonction à fréquenter un mâle peut produire quand cela va à l’encontre de tout ce qu’on ressent. Il grimace, semble gêné. Je continue sans ralentir et sans lui épargner les détails les plus noirs de mes tergiversations nocturnes ou même de ma résignation devant l’ourse. Il a le bon goût de prendre un air coupable. Il prend conscience de l’influence et de l’impact de ses mots sur mes choix récents. Il déglutit quand je reprends.

            — Vous voyez cette oursonne, mon père ? Parce que la neige a glissé sous mes pieds, sa mère est morte sous les coups de Tatiana. Pour la même raison, je suis stérile désormais. Il y a quelque chose de Tamas dans nos existences marquées par la destruction soit de nos géniteurs, soit de notre possibilité de l’être. Pourtant je prends soin d’elle désormais, grâce à l’intervention même de celle que vous désignez comme une exception à ne pas faire tradition. C’est Tamara qui est allé le chercher pour me le ramener et me faire assumer les conséquences de mes actes. Non contente d’avoir été coincée entre l’envie d’être mère et le rejet bien involontaire de la reproduction avec un homme, je suis maintenant coincée entre l’amour que je partage avec celle qui se tient fidèlement à mes côtés depuis le jour de notre rencontre, en qui je sais pouvoir avoir une confiance sans faille puisqu’elle m’a attendue quatre année durant sans avoir de nouvelles de ma part, et la perspective de la voir forcée à me quitter pour aller, qui sait, nourrir les mêmes idées sombres que moi tandis qu’on la livre pieds et poings liés à une relation charnelle qui la rendra peut-être malade de douleur intérieure.

            Il détourne le regard.

            — Ne trouvez-vous pas que notre relation a déjà été suffisamment éprouvée ? Ou bien faudra-t-il que l’une de nous deux perde l’autre comme cette oursonne a perdu sa mère et comme Mère a perdu ses époux pour que vous admettiez enfin que nous méritons de vivre en paix ? Vous parlez à l’aînée d’une fratrie dont la totalité des pères a trouvé la mort. Toutes et tous nous sommes déjà moitiés orphelins et orphelines. Dois-je aussi faire le deuil d’une compagne qui est pourtant mon meilleur appuis en ce monde, après encore moins d’années réellement passées en sa compagnie que ce que je n’ai pu en passer au contact de mon père ? Que vous ont dit vos méditations, mon père ? Suis-je marquée si fortement par le troisième que mon destin soit celui de voir le monde atteindre la fin de son cycle tandis que je reste assise là, impuissante, à le voir se déliter ?

            — Vous, eux, vous exagérez peut-être un peu la, euh, l’importance de votre…

            — Mon père, que vaudrait-il mieux d’après vous ? Que Nöerdö soit dirigée par une baronne célibataire, aigrie et renfermée, accompagnée par une bête sauvage, qui verra partout les signes que tout approche de sa fin et ne fera rien pour le bien-être dans la durée de ses gens, tandis qu’une noble triste à en mourir donnera quelques enfants à un époux quelconque, enfants qui ne connaîtront peut-être jamais de bonheur véritable, coincés entre une mère triste et contrite et un père rejeté ? Ou bien que Nöerdö soit dirigée par une baronne rayonnante et son épouse vive et intelligente, tandis qu’à l’image de cette oursonne elles prendront sous leur aile les orphelins inévitables des affrontements avec les Khöz et nous en feront une force pour notre peuple, un fer de lance, une nouvelle génération qui bénéficiera d’une meilleure instruction pour mieux armer notre peuple contre notre ennemi de toujours ? La mort est au bout du chemin, mais l’un deux ne vous semble-t-il pas plus lumineux que l’autre ? Je sais que vous n’avez rien dit pour celles qui vivent près de la frontière au bord de l’affluent du Gargante. Vous avez consenti à ce compromis qui préserve les gens qui, eux, rejoignent cette pensée que vous propagez. Il ne tient qu’à vous de faire, une fois encore, le choix qui dans la durée sera le meilleur. Laissez-moi épouser Csóka. Laissez-moi être cette dirigeante qui pourrait pousser en avant notre terre et la faire prospérer. Vous avez rencontré mes conseillers, les nobles comme les roturiers. J’ai voyagé, j’ai appris, j’ai observé. Je reviens avec des idées et des moyens qui peuvent améliorer l’existence de tous et toutes dans Nöerdö. Qu’est-ce que quatre ou six enfants que Csóka n’aura pas avec un homme qu’elle n’aimerait pas, au regard des douzaines que nous pourrions sauver en assurant la sécurité de nos serfs et de la nourriture pour toutes et tous, en quantité et en qualité, par les fruits du commerce et des alliances ?

            C’est à ce moment que le père Refus fond en larme. C’est la seule fois que je le verrai ainsi. Il pleure sans retenue pendant plusieurs minutes, tandis que je reste silencieuse. Quand finalement il s’arrête, il renifle et se mouche bruyamment dans un mouchoir, puis redresse la tête et me fixe de ses yeux rougis.

            — Vous êtes plus redoutable encore que votre mère, il dit avec un demi-sourire. Vous m’avez convaincu. Vos intentions sont nobles et quelque chose me dit que la voie que vous proposez est la plus judicieuse.

            Il soupire, puis se passe les mains sur le visage.

            — Si cela vous sied, je bénirai vos fiançailles avant la fin de l’hiver, pour que l’an passe et que vous puissiez vous unir au printemps l’année suivante, comme elle le fera cette année.

            Je lui sourit et acquiesce.

            — Si cela convient à Csóka, il en sera ainsi.

            Le père Refus finit par repartir à ses affaires, mais cette longue matinée a renforcé les liens entre lui et moi. Une forme de confiance voit désormais le jour et c’est une bonne chose.

            Ce soir-là, Csóka et moi mangeons dans le calme de mes appartements comme souvent en ce moment. Elle met quelques minutes à aborder le sujet de Refus. Elle sait qu’il est venu me voir et appréhende ce que cela annonce. Elle s’ouvre à moi de ses peurs, de ses doutes. Je devine le même sentiment que celui qui m’habitait croître chez elle. Alors je réponds à ses questions par une question. Je lui demande si elle serait d’accord pour que nous nous fiançions. J’ai rarement vu quelqu’un recracher aussi joliment son vin par les narines en toussant.

            Une fois le vin épongé et sa toux passée, elle me regarde avec de grands yeux ou la surprise le dispute au ravissement. Je la laisse digérer l’information. Elle boit, sans s’étouffer cette fois, puis se lève et vient s’asseoir sur mes genoux. Là, elle passe ses bras autour de mon cou, posés sur mes épaules. Sans s’appuyer sur ma blessure, elle joue avec mes cheveux puis prend mon visage entre ses mains que je sens fermes et fortes. Elle vient alors murmurer à mon oreille une phrase que je n’oublierai jamais et qui résume assez bien toute la violence que peut contenir un être humain sous la force de l’émotion. C’est en tous cas une des meilleures références que j’en ai, encore à ce jour.

            — Si c’est une plaisanterie, je te tue et je me donne la mort dans l’instant.

            Puis elle se redresse et me fixe, sans me lâcher.

            — Le père Refus n’accepterait pas de célébrer nos fiançailles. Si ?

            Je pose mes mains sur les siennes et ferme les yeux un instant avant de les rouvrir et de lui répondre.

            — Je suis intimement convaincue que Mère couche avec Tamara régulièrement et qu’elle l’a gardé de son mieux à ses côtés toute sa vie. Je ne veux pas d’un mensonge pareil si je peux l’éviter. Plus rien ne m’oblige, moi, à épouser un homme vu que je ne pourrai pas donner d’enfants. Alors je veux t’épouser, toi. J’ai convaincu le père Refus que la baronnie se porterait mieux avec une baronne heureuse et comblée aux côtés de son épouse, plutôt qu’avec une baronne aigrie et renfermée et une noble triste et déprimée d’avoir été obligée d’épouser un homme qu’elle n’aimerait sans doute jamais. J’ai développé les choses jusqu’à le faire craquer. Il a fondu en larmes et il est d’accord pour célébrer nos fiançailles avant la fin de l’hiver.

            Je visse mes yeux dans les siens, avec toute l’intensité dont je suis capable.

            — Cela, à la condition que tu sois d’accord. Je veux t’épouser et je le peux, Csóka. Le veux-tu ?

            Un silence. Un éclat adamant dans ses yeux. L’émotion qui tord les lèvres. Un souffle.

            — Je le veux Tünde.

            Le détail de la nuit qui suit ne vous concerne en rien. Notamment parce que nous y avons surtout parlé d’énormément de choses, toutes libérées par le poids envolé de l’horizon funeste d’une séparation qui n’aurait pas lieu. Ce qui fut dit cette nuit-là résonne encore en moi comme l’écho du chant de création de Sattva résonne dans le monde.

            A partir de là les choses se calment pour moi. Nous fêtons nos fiançailles aux derniers jours de l’hiver, dans l’intimité. Les parents de Csóka affichent toujours ce partage entre une déception de ne pas se voir nantis d’une descendance supplémentaire et cette joie de voir leur fille au plus près du pouvoir et de l’influence de la baronnie.

            A l’avènement du printemps, une grande fête est donnée pour le mariage de Tekla. Pendant plusieurs jours, c’est la liesse dans toute la forteresse et les festivités réunissent des individus issus de toute la baronnie. Mère, un peu avant la fin des festivités, annonce alors publiquement notre mariage, avec Csóka. A un instant de flottement surpris, succèdent des célébrations d’autant plus intenses que la nouvelle est bonne.

            Elevenen grandit et s’adapte à la vie en compagnie des humains. Elle a de la nourriture régulièrement et depuis que Tiber m’autorise à sortir à nouveau librement, je l’emmène souvent se dégourdir en extérieur. Elle est affectueuse et m’associe, comme je le voulais, à une figure de confiance. Cette année-là je voyage peu.

            Des délégués du Voile viennent régulièrement pour me demander audience, sous couvert d’activités commerciales en mon nom. La réorganisation structurelle des autres branches que celle que j’ai déjà supervisée se met lentement en branle et implique beaucoup de logistique à revoir. C’est une période intense et passionnante pour moi.

            Mère m’implique désormais activement dans les affaires de la baronnie. Je rencontre avec elle les diplomates et les représentants, j’écoute à ses côté les doléances et les réclamations. J’assiste aux conseils qu’elle tient pour décider de la politique à mener pour nos terres et elle demande mon avis assez souvent. Là aussi, je déploie mon arsenal administratif de gestion. Avant la fin du printemps j’ai passé en revue de nombreux registres et ouvrages de compte, relevé des erreurs, proposé des moyens de mener autrement certaines procédures.

            Tamara s’assure que je me rétablisse physiquement après plusieurs mois d’activité réduite. Elle s’occupe aussi de ses propres affaires, laissées à la gestion de la baronnie pendant notre absence. Elle vient me demander régulièrement mon avis et j’apprécie que nous discutions plus souvent d’égale à égale que de maîtresse à élève, désormais.

            Csóka est repartie sur le domaine de sa famille mais nous nous voyons régulièrement. Je fais plusieurs fois par mois le voyage jusqu’à chez elle ou elle jusqu’à chez moi. Nous passons beaucoup de temps à planifier la cérémonie à venir et je rencontre plus formellement et officiellement ses parents qu’en simple coup de vent à la cours d’hiver.

            Pendant l’été nous partons pour le nord, Csóka et moi. Elevenen est là avec nous bien sûr, elle me suit désormais dans la plupart de mes déplacements. Tamara nous sert officiellement de chaperon, ce qui signifie qu’elle fait comme si elle ne remarquait pas que je me lève au milieu de la nuit pour aller rejoindre ma compagne dans sa chambre et que je ne reviens qu’au matin. Tatiana se contente de sourire sans commenter. Elle s’entend bien avec l’oursonne et prend grand soin de lui montrer beaucoup d’affection. Elle prétend que c’est professionnel mais je devine une volonté de compenser l’absence de la mère qu’elle a tué elle-même, à sa manière.

            Tekla et son mari sont sur le front aux côtés des Kescke. Ses chiens sont d’une grande aide pour établir des embuscades à la frontière. Mère a attribué à Tekla des terres dans le nord, une place fortifiée centrale pour le maillage de défense de la baronnie. Ils sont installés là et elle semble se faire à son nouvel environnement. Tous les Kescke disent qu’elle succèdera à leur commandante actuelle et cela semble leur convenir.

            Ma sœur accepte d’être mon premier témoin à mon mariage. Quand elle demande “premier ?” je lui souris et je me tourne vers Tamara à qui je dis que j’espère qu’elle pourra être le second. Je suis satisfaite de lire de la surprise sur son visage pour la première fois depuis longtemps. Csóka rit et je souris. Elle a déjà coincé Gergely et Lenke un peu plus tôt dans l’année pour leur demander d’être les siens. Tamara cligne des yeux, plusieurs fois. C’est le signe d’une grande émotion chez elle. Elle est complètement déstabilisée. Finalement elle regarde ailleurs quelques instants, puis m’adresse un de ses rarissimes sourires et fait oui de la tête pour signifier son accord.

            Le soir, Csóka me dit qu’elle trouve que Tamara me ressemble beaucoup dans sa gestion des émotions des autres. J’acquiesce. Il y a quelque chose là-dessous que je ne m’explique pas encore. Je m’en ouvre et lui expose l’étendue de mes doutes. Nous concluons qu’il nous manque des pièces de puzzle.

            L’automne passe comme un nuage devant le soleil : il ne s’attarde pas mais apporte un rafraîchissement bienvenu.

            L’hiver est d’une effervescence rare. Tekla est enceinte et radieuse, Mère ne touche plus terre à l’idée de marier une deuxième de ses filles aînées en deux ans et, plus que tout, une surprise de taille surgit peu de temps avant que le frimas ne ferme les routes : Tobias, Tamaste confirmé. Il a obtenu de pouvoir passer un hiver ici avant de partir pour son lieu d’affectation au printemps.

            Nous parlons beaucoup, lui Tekla et moi. Il y a beaucoup à dire. Le père Refus semble déborder de fierté de le voir revenir ainsi et Mère se pare de tant de joie que son sourire ne la quittera presque pas tout l’hiver durant.

            Nos conjoints, futurs conjoints et amis respectent l’intimité des conversations avec notre frère. Celles-ci se poursuivent parfois longtemps dans la nuit, jusqu’aux prémices de l’aube tardive. Il arrive que les serviteurs qui nous ont débarrassé le dîner nous servent au même endroit une collation légère le matin venu avant que nous allions dormir. Il y a beaucoup à raconter.

            Finalement, une de ces nuits, il aborde un sujet qui semble lui peser lourdement sur la conscience. Il nous raconte que son maître Tamaste, un vieux clerc ridé et sage, lui a demandé un jour de citer son ascendance. Tobias s’est exécuté, du côté de Mère d’abord, puis du côté de notre père. Là, le clerc a froncé les sourcils et lui a demandé s’il se moquait. Tobias a répond que non et a développé son propos avec des détails de notre enfance. Finalement, le clerc lui a dit être surpris, puisqu’il avait lui-même officié dans la baronnie du suzerain de la famille de notre père. Or il se souvient d’avoir parlé avec le chirurgien qui l’a soigné un jour et qui lui a dit avoir trouvé étrange que le jeune homme soit dénué ou presque de scrotum.

            — Dénué de quoi ?, je demande en haussant un sourcil intrigué.
            — De couilles, Tünde. De… attends, quoi ?!, s’exclame ensuite Tekla.

            Tobias confirme que nous avons bien compris. Le silence s’installe, lourd. Je me lève et je leur dit de m’attendre là, que je n’en ai que pour un moment. Je sors et je vais chercher Mère, en personne. Elle paraît surprise de me voir la réclamer à cette heure mais accepte de me suivre devant mon air grave. Tamara est avec elle, elles discutaient. Je demande à Tamara de venir aussi. Autant tout régler d’un coup.

            Tekla et Tobias ne montrent guère de surprise quand j’arrive avec elles deux. Mère marque un arrêt à l’entrée de la pièce, quand elle discerne ce qui l’attend. Tamara se contente d’aller leur tirer deux chaises et la fait s’asseoir en face de nous. Elle se positionne un peu en retrait sur le côté, attentive. Je demande à Tatiana de s’assurer que personne ne nous dérange, sous aucun prétexte et je fais coucher Elevenen en travers de la porte fermée, à l’intérieur. Elle n’est pas encore à sa taille adulte mais elle est déjà particulièrement imposante.

            Tobias et Tekla se regardent, puis me regardent. J'acquiesce et commence.

            — Mère, votre premier mari n’avait pas de couilles. Littéralement.

            Je n’ai aucune raison de prendre des pincettes pour mener cette conversation. J’estime au contraire qu’avoir eu plus tôt certaines réponses que nous pourrions avoir ce soir nous aurait permis des choix différents à certains moments.

            — Qui est notre père ?, continue Tekla.

            — Il est inutile de nier, enchaîne Tobias, je tiens l’information de source sûre.

            Mère perd son sourire pour la première et seule fois de l’hiver ce soir-là. Elle a l’air particulièrement mal à l’aise et semble chercher ses mots. Finalement Tamara soupire et répond à sa place.

            — C’est moi.

            J’avais des doutes, mais les voir confirmés est un choc tant la nouvelle est énorme et, à la fois, explique tant de choses.

            — Je suis née avec un sexe d’homme, mais j’ai eu la chance de pouvoir faire croire à tout le monde que j’étais complètement une femme, tout ce temps. Être imberbe m’a été d’une grande aide. L’habitude et des précautions élémentaires ont fait le reste. Je suis une femme, et je suis votre père. Tünde en est la preuve flagrante. Elle est taillée comme moi et avec la même absence d’émotions que moi. Tobias tu as mes yeux et Tekla nous avons exactement la même teinte de cheveux et la même forme de nez.

            Elle regarde Mère, qui est un petit tas rougissant d’émotions contradictoires et qui en perd ses mots pour la première fois de sa vie.

            — Votre mère et moi nous nous aimons depuis toujours. Simplement, je suis une femme et un cas un peu particulier, impossible alors de nous marier puisqu’elle a un devoir à remplir. D’autant plus lorsque sa fratrie se raréfie à cause de coups du sort successifs. Son premier époux, soit-disant votre père, s’est révélé stérile très vite. Lui refusait de l’admettre, malgré son absence de couilles, justement. Alors nous avons décidé de profiter de son déni et d’avoir des enfants, notre rêve depuis toujours, quitte à ce que je doive vous regarder grandir d’un peu plus loin que si j’avais pu être reconnue comme votre génitrice. Les autres sont les enfants des autres maris de votre mère, mais vous trois, vous êtes nos enfants à toutes les deux et vous êtes ma plus grande fierté sur cette terre.

            C’est à ce moment là que Mère craque et fond en larmes dans les bras de Tamara qui la serre contre elle. Nous nous levons tous les trois pour les enlacer entre nous. Le soulagement est palpable, nos doutes croissants trouvent enfin des réponses et, au moins en cercle restreint, la vérité peut être partagée.

            Le reste de l’hiver est une infinie succession de moments joyeux à la cours d’hiver. Les choses vont bien, les récoltes et le commerce ont été fructueux cette année, les greniers sont pleins. Il fait bon vivre à Nagy Szivvel.

            Nous sommes en 1241 et j’ai alors vingt-et-un ans. Cette hiver là il gèle à pierre fendre et seule la rareté des loups dans nos forêts peuplées d’ours hibernant nous épargne les dégâts causés ailleurs dans l’Empire.

            Mon mariage avec Csóka est un événement de liesse et de festivités partagées. Le premier et un des seuls de l’année. Les mauvaises récoltes partout dans l’Empire nous touchent indirectement. Le prix des céréales grimpe terriblement et il faut déployer tous nos moyens pour pouvoir alimenter nos gens en nourriture. Il n’y a pas assez de surplus pour reconstituer des réserves. Nous exportons le strict minimum et la population est encouragée à stocker ce qu’elle peut en prévision de l’hiver.

            L’hiver passe, mais le printemps est terrible. La famine frappe et il faut calmer les populations qui cherchent des raisons à leurs maux. J’assiste Mère en parcourant de nouveau nos terres pour aller à la rencontre des gens en colère. La faible densité d’habitation de Nöerdö nous sauve de désagréments autrement plus pénibles. La relation de confiance établie avec nos serfs aussi. Nagy Szivvel et les autres forteresses ont largement ouvert leurs greniers pour répartir au mieux la nourriture disponible. Il n’y a pas de bandits à Nöerdö, vous vous souvenez ? Voilà pourquoi, parce que la différence entre un noble et un roturier dans notre baronnie est la taille de sa maison, pas la quantité de nourriture dans son assiette. Ou le moins possible en tous cas. Vivre de la chasse et de la cueillette sauve une grande partie de notre population. Nos champignonnières reprennent rapidement un fonctionnement normal mais nos truffes s’écoulent mal cette année là. Il faut piocher dans les réserves en or de la baronnie pour acheter assez de nourriture pour tenir encore jusqu’au rétablissement des prix à la normale.

            Deux ans plus tard, Tekla est mère pour la deuxième fois. Pendant ce temps, les soucis viennent presque plus de l’intérieur de l’Empire que de la frontière Khöz. Le Voile Sombre est en ébullition. Ces furieux soit-disant successeurs des Joyeux Compagnons marchent sur nos plates-bandes partout en Eurate. Certains tentent même de s’installer dans nos forêts. Nos Kescke n’en font qu’une bouchée aussitôt leur présence signalée par nos tours d’alarme. Ils sont traités comme des Khöz piétons. Donc moins rapides et quand même moins à l’aise que nous sur notre territoire. L’autre problème vient des désaccords sur la taxation des routes. Nous passons majoritairement par le fleuve pour commercer, mais le gros de notre grain vient de Melila. Faute de pouvoir régler les choses, nous restons loin des conflits armés dans la mesure du possible. Les assassins du Voile sont particulièrement actifs cette année-là.

            Mis à part la canicule de 1246, les années suivantes sont plus calmes, jusqu’en 1248. La guerre de Feynes et l’invasion de Durdinis touchent durement les extrémités de l’Empire. Contrairement aux raids pirates sur les côtés est et sud, nous sommes cette fois plus durement impactés. Puis l’hiver vient et amène la peste.

            Être une région de marécages, naturellement inhospitalière et isolée, a des avantages en cas d’épidémie, surtout pendant l’hiver quand la population est dispersée et sort peu ou pas de ses positions fortifiées. Cette année-là pourtant, nombre de membres de ma fratrie, mariés hors Posvany ou parfois juste dans des baronnies voisines, on périt. Il ne reste qu’une poignée d’entre nous. Tobias est vivant, où qu’il voyage en ce moment. Nous avons perdu un certain nombre de villages cependant et cela se fait durement sentir.

            Cette année-là, Mère abdique officiellement en ma faveur. Nous célébrons le printemps, la fin de l’épidémie et mon accession à la direction de la baronnie dans le même temps. Tamara et elle vivent désormais paisiblement ensemble et personne ne trouve à y redire.

            En cette année 1249, alors que les Brumes s’avancent partout dans l’Empire et sont la source de bien des étranges phénomènes, je siège à Nagy Szivvel, Elevenen à mes pieds et Csóka à mes côtés. Tekla tient le Sziv le plus septentrional et s’assure que les Khöz restent soit hors de chez nous, soit morts. Gergely et Lenke tiennent le Sziv méridional et supervisent le commerce de la truffe qui nous enrichit. Lenke surtout. Gergely passe beaucoup de temps à ma cours, où il est un redoutable conseiller diplomatique.

            Il paraît que j’ai l’air d’une barbare, vêtue de fourrures comme je le suis, assise sur un trône de rondins sculptés et avec un ours à mes pieds et un arc sur les genoux. Ma cours sent sans doute plus la chèvre que la noblesse et, je le concède sans rougir, la noblesse de Nöerdö est une noblesse de bois, de moisissures et de boue. Mais ce bois nous abrite. Ces moisissures nous rendent riches et font du lait de nos chèvres un fromage qui nourrit notre peuple. Quand la boue, elle nous protège de nos ennemis ancestraux.

            Depuis ma forteresse de pierre moussue et de troncs ébranchés, je dirige une baronnie prospère et la guilde qui réunit l’ensemble des désagréments illégaux, grands et petits, que l’Empire peine à écarter. Je nourris Nöerdö de ma main droite, tandis que le Voile Sombre répond à ma main gauche.

            Je suis Tünde Villam Vihar, et ceci est mon histoire.





            Re: Tünde “Villám” Vihar ─ Mer 16 Jan - 22:16
            Chroniqueur Impérial
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              Réputation  - 17.01.2019



            • LA CAPITALE EVALON



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            • DUCHÉ DE LA CROIX DES ESPINES : PERSONNALITÉ CONNUE


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              COMTÉ DE TERRESANG
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              COMTÉ DE MONT DRAGON
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