Tünde “Villám” Vihar
“Tamas et nous seuls pouvons”
29 ans
Originaire de Nőerdő
Vassalité : Posvány/Voile Sombre
Statut social : Noble
Son métier : Baronne
Histoire
Je suis née un jour d’orage. Il pleut souvent sur Nőerdő, mais parfois il pleut vraiment. L’orage est diluvien, impitoyable. Il est tapageur comme les plus sages de mes aïeux - qui ne le furent guère - et destructeurs comme un raid Khôz. Or, on nous prête du sang de ces engeances montées. Tamas m’en soit témoin, j’ai du sang Khôz, frais, sur les mains, chaque année. Mais pas au commencement.
Au début, il n’y a qu’un automne moribond qui déjà laisse place aux pluies d’hiver et un orage précoce — comme ton père, dit Mère par-dessus mon épaule — qui noie la nuit dans un enfer d’eau et de lumière. Je suis la fille aînée de la baronne de Nőerdő, et en guise de jour je vois d’abord la nuit. Mère dit que j’ai ouvert les yeux au moment où est tombée la foudre et que le tonnerre a couvert mon premier cri, puis elle m’a nommée Tünde, qui signifie Fée. Vous en déduirez facilement que ma mère aime en faire des caisses et qu’elle a une vision poétique du monde qui m’échappe assez souvent.
Mon premier souvenir est celui de Mère qui allaite mon petit frère, tandis que ma sœur babille sur les genoux de sa nourrice et que je suis dans les bras d’une troisième personne, une femme, qui rit fort avec Mère. Mon premier souvenir de mon père est celui de ses funérailles, qui furent célébrées après qu’il ait disparu dans les marais.
J’ai été élevée par Mère, qui est petite, sèche et nerveuse, blonde, la peau pâle et les yeux gris et avec un caractère de tourbe. La tourbe a l’air molle et insignifiante de prime abord, jusqu’à ce qu’elle prenne feu ou libère une bulle de gaz des marais qui va vous asphyxier l’air de rien, vous faire tousser ou vous perdre dans les marais.
J’ai aussi été élevée par Tamara, petite, taillée comme une souche avec des épaules larges et des appuis solides, les yeux bleus comme un ciel d’été entre les futaies encadrés par des cheveux noirs corbeau. Avec un caractère doux, égal et paisible. Tamara élève des cochons truffiers, elle est riche.
Après mon père, Mère a épousé un autre homme. Il lui a donné trois enfants à son tour, trois filles. Je me souviens de lui, de son visage déçu à la naissance de la troisième. Il venait d’une petite famille de petite noblesse de Baros. Je me souviens d’une violente dispute entre lui et Mère dans les jours qui ont suivis. Alors avec ma sœur et mon frère, on a prit nos trois petites sœurs et la nourrice de la dernière et puis on est allés chez Tamara passer la journée au calme. Le soir Mère est venue nous chercher, elle a donné beaucoup d’argent à Tamara, comme quand elle lui achète des truffes pour un grand banquet. Souvent pour nos anniversaires. Sauf que ce n’est l’anniversaire de personne en ce moment.
Nous n’avons pas mangé de truffes ce soir-là, ni le lendemain. Il a fallu attendre la semaine suivante, aux funérailles du deuxième mari de ma mère, qui s’était perdu dans les marais le surlendemain. Moi j’aime bien les truffes, mais je n’aimais pas trop le deuxième mari de ma mère. Je me souviens surtout du repas et que Tamara n’est pas rentrée dormir chez elle ce soir-là, ni très souvent le mois d’après. Elle venait nous voir plus souvent et Mère était plus calme, plus heureuse et plus épanouie. Souvent elle restait le soir tard et nous la retrouvions à table au matin, pour déjeuner avec nous au réveil.
Quelques temps plus tard, Mère a épousé son troisième mari. Tamara a recommencé à passer plus de temps chez elle et à moins venir nous voir. Alors je suis allée, moi, la voir souvent. C’est vers cette période-là que la question de mon éducation s’est posée plus sérieusement à Mère. Tamara m’a offert un arc à cette période là et j’ai commencé à échapper à mes précepteurs et à la sécurité du domaine familial pour aller tirer en forêt avec mon propre arc à moi. Un bel arc posvanien, à ma taille, pas une branche courbée avec une ficelle pour qu’on puisse jouer à tirer sans se blesser dans la cour de la forteresse.
Ce fut la raison de la seule dispute, à ma connaissance, entre Mère et Tamara, ainsi que la première fois que j’ai vu Tamara vraiment en colère. Je revenais d’une escapade, avec deux écureuils noués par la queue pour me tenir sur les épaules et une poule d’eau tenue par les pattes, sans avoir perdu aucune flèche. D’après Tamara les gardes m’ont laissé rentrer avec un mélange d’admiration et terreur sur le visage. Je me souviens lui avoir demandé si je leur faisais peur, et elle de me répondre que c’était que je sois sortie sans qu’ils le sachent qui leur faisait peur. C’est aussi vers cette période que j’ai commencé à discerner que Mère était quelqu’un d’effrayant pour le reste du monde. Tamara m’a croisée vers l’entrée de la Forteresse, j’ai appris plus tard qu’elle m’y attendait en fait. Elle m’a dit que nous allions ramener ensemble mes prises. J’étais contente, elle avait même promis de rester les manger avec nous le soir.
Je n’ai pas non plus apprécié le troisième mari de Mère, mais à sa décharge il était plus fin que le précédent. Il s’est esquivé dès qu’il a aperçu Tamara entrer avec moi à ses côtés, avant même que l’expression de Mère ne change et qu’elle ne congédie tous les présents de la pièce. Un homme malin. Presque.
Je suis restée assise dans mon coin, pendant que Mère hurlait sur Tamara qui s’était interposée entre elle et moi. J’ignore combien de temps tout cela a bien pu durer, ni même ce que Mère a pu dire, j’étais comme absente, dans une bulle. Puis Tamara a dit à Mère de taire, d’une voix à peine plus forte que son ton doux et bas coutumier. Malgré ses hurlements, ma génitrice l’a entendue et s’est tu immédiatement, comme une bougie soufflée par une bourrasque.
Tamara a dit que cela avait assez duré et qu’elle refusait que des imbéciles prétentieux continuent à s’occuper de mon éducation et de celle de mon frère et de mes sœurs. Mère s’est assise, défaite. C’est la seule fois que je l’ai vue ainsi. Tamara a continué de parler, très longuement. Rarement par la suite j’ai eut l’occasion de l’entendre tenir d’aussi longs discours. Sans doute pas assez de fois pour nécessiter qu’on les compte sur les doigts des deux mains.
Ce soir là nous avons mangé mes prises à table et Tamara était là, comme promis. Tout le monde m’a félicité pour mon adresse et ça a été une bonne soirée avec ma famille. Puis Mère est venue me parler dans ma chambre après la veillée et elle m’a annoncé qu’au matin je partirais avec Tamara pendant quelques temps. Elle a hésité puis s’est ouverte et m’a dit beaucoup de choses qu’elle a parfois nié avoir dites par la suite. Je pense qu’elle a vraiment été secouée cette fois-là. A l’aube je marchais derrière Tamara et nous laissions la forteresse derrière nous. Mon enfance a commencé à prendre fin à partir de ce moment là.
Nous avons sillonné tout Nőerdő, Tamara et moi, pendant presque un an. Chaque maison fortifiée, chaque relais, chaque tour. Elle m’a tout montré. Les villages près du fleuve, les autres forteresses où Mère allait seule quand il fallait qu’elle s’y déplace. On a vu la frontière et les marais, au nord-ouest, mais aussi les vallons et la forêt profond au sud-est. Tamara est peut-être douce et calme, mais elle est intraitable. Elle m’a enseigné une infinité de choses et il fallait que je retienne ce qu’elle me disait pour lui restituer par la suite. Je pensais Mère cultivée et instruite mais j’ai vite réalisé que c’était peut de choses par rapport à ma mentor.
Nous avons passé l’été sur la frontière où j’ai assisté, cachée dans un arbre, à un raid Khöz. Nous les avons laissés passer exprès, pour qu’ils s’enfoncent dans le marais et se dispersent dans les bourbiers. Puis les Kescke les ont exterminés. Un des cavaliers a essayé de s’enfuir. Tamara a posé sa main sur mon épaule, dans l’arbre, et elle m’a dit que si je voulais, je pouvais le tuer. J’ai trouvé que c’était une bonne idée, alors j’ai bandé mon arc et je l’a abattu, comme une poule d’eau. Nous avons capturé son cheval et il sera vendu. Tamara m’a dit que l’argent serait pour moi, vu que c’est mon butin. J’ai dis que je ne pensais pas en avoir besoin. Elle a sourit et m’a dit que tuer est un travail et qu’il mérite d’être rémunéré. Elle avait l’air satisfaite de mon tir.
C’est plus tard que j’ai compris qu’elle était satisfaite que j’ai tué. J’avais huit ans et ça ne m’a pas fait grand chose.
Mon passé s’est arrêté là.
Nous sommes revenues à la forteresse. Je sais désormais que nos fortifications en pierre sont les Szív de Nőerdő, les Cœurs de la Femme-Forêt, la mère nourricière de notre peuple, qui nous a abrités après que nous ayons fui les terres au nord des marais, quand la Horde Khöz nous a retrouvés. La forteresse de mère c’est Nagy Szívvel, le Grand Cœur. Nos fortifications sont un réseau qui parcourt toute la province, chaque lieu fortifié communique directement avec au moins deux autres et les patrouilles circulent entre ces lieux régulièrement. Les Szív sont les points névralgiques de ce maillage qui fait la force et l’union de notre terre, alors même que chaque communauté vit isolée géographiquement, avec ses chèvres et ses histoires.
Nagy Szívvel est la plus grande forteresse de Nőerdő, avec une enceinte en pierre et deux autres en bois. Elle est construite à la limite entre les marécages et la forêt, sur les premières langues de sol stable assez larges pour accueillir ses fondations. D’après Tamara, elle est bâtie sur un des rares affleurement rocheux de la baronnie, mais la pierre qui a servi à la construire vient de Mocsár, loin à l’ouest, à l’autre bout de Posvány.
La cours que j’ai quittée moins d’un an plus tôt me semble déjà dater d’un autre âge. Ce sentiment ne fera que s’accroître à mesure des années et des absences pour patrouiller le domaine. Pourtant ce soir-là je suis heureuse de revoir ma fratrie et ma mère. Elle est enceinte, c’est presque son état normal à mes yeux, nous serons bientôt sept enfants.
L’hiver est à la fois trop long et trop court. Il ne neige presque jamais chez nous, mais il pleut plus souvent en hiver qu’en été, soit presque chaque jour. J’entraîne ma sœur dans mes escapades, au grand damn de Mère, mais nous n’avons qu’un an d’écart et je trouve normal qu’elle ait les mêmes chances que moi. J’ai bien retenu les leçons de Tamara : seul, les Kescke n’ont aucune chance. Leur nombre et leur entraînement conjoint fait leur force. Je lui prête mon arc, au début, puisque personne ne lui en a offert. Très vite je me rends compte qu’elle sera meilleure que moi. Plutôt que la jalousie, c’est de la joie que j’en conçoit. Je ne me sens pas en danger, au contraire. Tamara vient parfois nous regarder faire, elle est de mon avis, Tekla sera meilleure archère que moi. Au printemps nous repartons ensemble, après avoir assuré à Tobiás qu’il pourrait venir avec nous l’année suivante s’il le souhaitait. Cela a semblé le rassurer sans le satisfaire. Il préfère que nous restions à la maison.
Il ne viendra pas avec nous l’année suivante, il a entreprit de phagocyter la bibliothèque toute entière et il tient un bon rythme, je dois dire. Pendant l’hiver il nous fait rattraper notre retard, à Tez et moi. Il est mille fois plus intéressant de suivre les “classes” de mon petit frère épanouis que d’ennuyants précepteurs. Puis lui nous comprend et sait comment nous intéresser à ce que nous lisons.
Je fête mes dix ans sur les routes, autour d’un feu de tourbe avec Tamara et Tez. Tamara m’offre un poignard, une belle lame, faite pour être maniée ou lancée. Nous passons l’été vers la frontière, à seconder les Kescke dans leur traque des Khöz en maraude. C’est grisant de voir les pièges se mettre en place, les stratagèmes étendre leurs bras tordus pour enlacer les cavaliers et les dévorer tout entiers. Nous jouons de l’arc côte à côte, Tekla et moi, sous la surveillance accrue de Tamara qui veille à ce que nous considérions tout le sérieux de ce que nous faisons.
Le temps passe. Nous avons onze et douze ans. Tobias a fêté ses dix ans et Mère a obtenu qu’il puisse être admis à Nacre pour rejoindre le clergé, dans quelques années. Il est fou de joie. Tekla et mois nous continuons à parcourir la baronnie avec Tamara, pas toujours aussi longtemps dans l’année, souvent nous revenons à Nagy Szivvel plusieurs fois l’an, avant de repartir pour une autre région. Ma petite sœur ne fait aucun mystère sur son objectif personnel, elle veut intégrer les Kescke aussitôt que possible. Son entraînement à l’arc s’intensifie, mais aussi à d’autres arts qu’elle aura besoin de maîtriser. Il arrive que je partes seule avec Tamara, parce que Tekla est occupée à épuiser ses vétérans de professeurs.
Treize, quatorze ans. Tekla ne vient presque plus avec nous. Elle entrera bientôt en apprentissage chez les Kescke et cela seul l’intéresse. Tobias part l’an prochain pour Nacre. Nous sommes neuf enfants, six filles et trois garçons. L’absence de père sauf pour les trois derniers fait que nous nous construisons beaucoup par rapport à Mère et à nos rares exemples adultes valables : Tamara, un vieux Kescke devenu maître d’armes de Mère et un précepteur un peu plus brillant que les autres.
Tamara devient plus intransigeante, plus exigeante. Quand elle m’entraîne, nous ne sommes plus l’amie de Mère et la fille aînée de cette dernière. Elle est intraitable mais juste et récompense systématiquement mes efforts. Je suis loin d’être une archère exceptionnelle, ni même une combattante exceptionnelle, mais qu’importe. Conformément avec les exigences de Mère, Tamara m’enseigne aussi les subtilités politiques propres à la baronnie et à nos voisins de Baros, de Volg mais aussi de Posvany. Chaque arrêt dans une maison forte est l’occasion de me faire écouter les problèmes des gens et de réfléchir avec eux à une solution. Elle n’attend pas de moi que je raisonne en fille du peuple, mais en administratrice. “Tout cela sera sous ta responsabilité, si tu laisse ton domaine dépérir, du périras avec lui.”
J’apprends les chiffres, les distances, le temps qu’il faut pour aller d’un point à l’autre, qui vit où et qu’est-ce qui ne vit pas où. Nöerdö a de moins en moins de secrets pour moi et je sais à qui m’adresser quand je fais face à une donnée inconnue. Tamara m’encourage à assurer et assumer mes responsabilités face aux décisions qui doivent être prises.
Autant être honnête tout de suite, j’ai d’abord beaucoup échoué, le temps de comprendre comment les choses fonctionnent. Le secret est simple : elles ne fonctionnent pas. Le monde est un grand dysfonctionnement et la différence entre les vivants et les morts est la différence entre celles et ceux qui arrivent à tirer partie des dysfonctionnements et celles et ceux qui échouent.
Tobias est partit pour Nacre. Il ne reviendra jamais vivre parmi nous, d’après le vieux clerc Refus. Il dit qu’il grandira dans la lumière des trois et que, lorsqu’il repartira de l’île de Nacre, il sera un homme nouveau, au service du Trimurti. Il allait continuer sur la gloire du trimurti et de son clergé quand Mère lui a adressé le regard le plus froid que je l’ai vue adresser à quiconque. Par chance, et par chance uniquement, elle n’a perdu aucun de ses neufs enfants jusque là. Ni maladie, ni famine, ni rien. Elle a posé ses mains sur son ventre déjà rebondit à nouveau et à foudroyé le vieux clerc qui a préféré reculer et se retirer.
Oui, Mère est de nouveau enceinte.
Je profites de mes présences ponctuelles à Nagy Szivvel pour passer du temps avec les plus jeunes de mes frères et sœurs. Ma propre fratrie est éclatée, désormais, je me sens bien seule pour la première fois de ma vie.
Garance me souffle à l’oreille que je dois m’arrêter un temps d’écrire pour prendre le temps de manger et de me reposer. Je sens aussi que j’ai les idées moins claires. Je reviendrai donc à ces lignes, plus tard.