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Magdalena de Tejada, duchesse de Mellila
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Magdalena de Tejada, duchesse de Mellila ─ Sam 12 Jan - 14:38
Magdalena de Tejada
    Magdalena de Tejada
    Duchesse

    Magdalena Solar de Tejada


    “J'ai pour moi les montagnes, les étoiles et la mer”



    Âge :38 ans
    Originaire de Corduba
    Allégeance : Mellila
    Statut social : Seigneur
    Son métier : Duchesse de Mellila


    Caractère


    Décrire Magdalena de corps, comme d'esprit, c'est filer la métaphore : c'est un arbre, enraciné aussi profond dans la terre qu'il s'élève haut dans le ciel. C'est un axe, un repère, qui ploie et s'élance, qui ondoie dans les brises et les tempêtes, mais qui ne brise pas. Malgré tout, malgré les ans, rien n'entame sa force, la volonté lente et implacable qui guide la croissance, qui la fait embrasser le monde entier dans l'ombre de ses branches et le creux de ses circonvolutions souterraines. Elle veille, toujours debout, toujours stable, les racines et les branchages épousant la forme des rocs et des nuages pour mieux s'y mêler.

    Elle étonne par son calme, souvent, et c'est la première chose que l'on perçoit chez elle : une sérénité profonde, que rien ne semble pouvoir entamer. Elle se tait, parle peu, observe beaucoup et et s'il lui faut souvent du temps avant de se décider ou d'aboutir à une conclusion, elle ne dit ou ne fait jamais rien à la légère. On pourrait lui reprocher une certaine frilosité, trop de prudence, mais lorsqu'elle est poussée dans ses derniers retranchements, Magdalena se révèle aussi d'une efficacité implacable.

    C'est un être tranquille, patient, réfléchi. Elle observe beaucoup, apprend tout ce qu'elle peut, car la connaissance est pour elle l'outil essentiel de tout bon seigneur. Savoir, c'est pouvoir : c'est ce qui lui permet d'entrevoir les mécanismes qui régissent le monde et lui dictent sa conduite. Elle veut connaître les courants qui animent l'univers pour mieux savoir comment s'y placer, quelle attitude adopter : de la justesse, de l'équilibre, partout et en toutes choses, au milieu d'un monde tout en contrastes qui se complaît dans l'excès. Pour elle, tout n'est que mouvement, mouvance, fluidité des choses : tout va, passe et se meut, rien ne dure. Alors, il faut savoir prêter l'oreille à tout cela, avoir connaissance de cette géographie incertaine que dessinent les remous. Être, au bon endroit, au bon moment, la bonne personne, et l'expérience lui a montré souventes fois que les choses les plus cruciales tiennent parfois à cela.

    De fait, Magdalena est intelligente, et très éduquée aux arts, aux lettres, au gouvernement, quoique la guerre et les faits d'armes l'ennuient. Elle ne s'y est intéressée que par force et laisse à son époux le soin de se consacrer à ces choses. Elle aime la musique, s'intéresse aux sciences quoiqu'elle n'y soit pas très douée, aime prêter l'oreille aux discours des savants. Elle s'intéresse à une infinité de sujets et possède une insatiable curiosité pour la nouveauté, les découvertes, la façon dont fonctionne le monde, les gens, les choses, jusqu'aux astres, aux étoiles, à la croissance des plantes, au vol des oiseaux.

    Il y a un fond de bonté, là, derrière la sévérité et l'exigence qu'elle impose autour d'elle : elle se veut juste, non cruelle, et gouverner par l'exemple plus que par la force. Pourtant, comme beaucoup de gens d'un naturel paisible, il mieux vaut ne pas éveiller sa colère. Elle est d'une patience infinie, mais il n'y pas de retour possible en arrière une fois que ses limites sont franchies, pas de pardon, pas d'oubli. Il lui vient parfois des rancœurs qui dureront pour toujours, mais plutôt que d'exercer sa colère avec feu et fracas, elle se contente de la froideur, nette et précise, d'un couperet. Fort heureusement, est difficile de l'atteindre personnellement, parce que bien peu de gens la connaissent assez pour cela : elle est de ceux dont la personnalité s'est depuis longtemps effacée derrière les nécessités du pouvoir. Elle est fière, pourtant, comme tout bon mellilien, et les limites sont bien tracées entre l'impertinence qu'elle peut tolérer pour y répondre aisément, et l'offense pure et simple qui se voit immédiatement châtiée.


    Physique


    Une ombre. Tout commence toujours par une ombre. Dans la lumière morcelée par les moucharabieh et les tentures, Magdalena se dessine à demi. Lente, obscure, elle se glisse dans le silence, revêtue de ses atours où loge toute la palette des ors, des ocres, safran, terre de sienne, du noir en touches savantes. Alors, voici qu’elle s’avance, comme une antique déesse couronnée de ses tresses de crin noir, sous le voile qui ruisselle en replis indistinct. La chevelure s'y mêle, sombre, des traits d'encre sous l'étoffe, blanchis peu à peu comme par un givre précoce. La vêture est simple : le corps s'abîme dans les drapés amples qui l'enveloppent, mais l’œil exercé sait reconnaître le raffinement dans la sobriété où elle s'efface.

    Vois la lumière, quand elle se meut. Un éclat révèle un visage anguleux et pointu qui s'élance dans un profil d'oiseau de proie, le teint bruni par la brûlure d'un ancien soleil qui lui est passé dans le sang. Et puis elle s'élève, se déploie, de toute sa haute taille, solide et puissante. Magdalena fait parfois penser à ces saules monumentaux qui semblent étendre leurs ramures jusqu'au ciel, qui soutiennent la voûte du monde en s'enracinant profondément dans la terre. Soudain, elle prend tout l'espace : la fierté orageuse, la dignité princière se passe des ors et des joyaux pour s'exprimer dans la droiture, la gestuelle, dans le silence qu'elle impose par sa seule présence.

    On entrevoit encore chez elle l'altière beauté de sa jeunesse, celle qui allait comme une lame nue et brûlait comme un orage. Pourtant, l’agrément de l’apparence s'était toujours mêlée à une inquiétante étrangeté, une altérité silencieuse logée dans l'éclat de ses yeux brun-verts. Et puis, les années ont passé : la distinction impériale des idoles de pierre s'est flétrie peu à peu, comme une érosion lente et patiente, une floraison glorieuse lentement mise à mourir sur le fourneau du pouvoir. Elle se dessèche, plus qu'elle ne vieillit, et les années sont venues lui ravir l'éclat de ses vingt ans. La ruine menace, insidieuse, mais rien ne peut encore lui ravir la sérénité céleste de ses traits de madone : elle s'infléchit d'une lassitude latente qui ramène un peu de douceur, un rien d'humanité, le soupçon d'une mélancolie songeuse.


    Histoire


    Regarde, regarde ce pays de sel, de sable, d'ivoire et de lumière. Regarde, cette terre qui se tient aux frontières, aux franges, dans les marges d'un monde incertain. Regarde, c'est là que je suis née.

    Je pourrais te parler de ma terre, l'ami, je pourrais t'en parler des jours entiers. Ces routes de poussière qui sillonnent les collines et les vallées, ces âpretés arides, ces aiguilles de pierre à l'ombre desquelles les bergers et les fées viennent à se reposer, je les ai dans mon sang, je les ai dans ma chair. C'est d'eux que je suis toute faite. J'ai le cheveu noir comme la robe des chevaux qu'on élève dans les fermes du sud, et qui vont paître tout le jour sous les oliviers. J'ai le teint de la couleur de l'ocre des falaises, et les yeux bruns comme les noix qu'on y cueille. Mon sourire a la sévérité des paysages, leur tendresse aussi, occultée, jamais ouverte, sauf en ces temps plus doux où tout s'infléchit vers plus de verdeur et d'allégresse. Comme mes gens, j'ai le caractère ombrageux et l'âme fière, le goût du savoir, et de la nouveauté : j'ai l'orgueil des anciens temps, des vieilles lignées, de tout ce qui gît en ces territoires arides où la main de l'homme a suffi à transformer le désert en verger.

    On dit que les seigneurs sont façonnés à l'image de ceux qu'ils dirigent, et de la terre qui est la leur. Rien ne fut plus vrai que cela, quand il s'agit de ma lignée. Une partie des miens est venue du nord, l'autre a traversé la mer, et les deux se sont rencontrés comme à mi-chemin, au milieu des rocailles et des garrigues. J'ai dans les veines comme un parfum d'ailleurs, le sable de Tassilie, les verdures néréennes, et c'est le chant de la mer qui a bercé mes premiers jours, comme la promesse répétée des autres horizons auxquels j'appartenais de plein droit. Nous avons toujours regardé ailleurs, plus loin, plus loin que tous les autres. Nous autres Melliliens avons toujours été à l'étroit dans nos domaines, et il nous a toujours fallu espérer autre chose, ailleurs, et ramener de partout les plus belles choses que nous y trouvions : des oiseaux, des étoffes, des princes et des poètes, des savoirs, des langueurs, toutes les merveilles du monde que nous avons gardées et fait croître dans nos jardins.

    Mes ancêtres ont façonné la terre pour en faire un paradis : il n'y avait que du sable et du roc, et la vie s'y mourait de soif et de chaleur. Rien que le sifflement des aigles sur les hauteurs désertes ne régnait là, alors. Et puis ceux qui s'en virent par la mer apportèrent leurs façons, leurs verdures et leurs arts, et d'une main experte ont fait fleurir la rose et l'oranger au milieu des ronces et des vipères.

    Je suis née à Teruel, entre ses hauts murs qui dominent la mer. Tu sais le nom de mes pères, de la lignée des comtes de Corduba : nous avons régné ici depuis qu'il y a des habitants pour donner un nom à cette terre, et mon histoire, comme toutes celles des nobles gens, est celle de mon pays.

    Je fus la première née de ma mère, ou du moins, la première à survivre. Il y a eu des enfants, avant moi, je crois ; s'ils ont eu un nom, il n'y avait qu'elle pour s'en souvenir. Après moi, il y eut Cosimo, qui vint quelques années plus tard. Nous devions êtres inséparables, car nous sommes les seuls à avoir grandi, et il y eut d'autres flammes, pour emporter d'autres encore, ceux de ma parentèle et de mon sang. D'eux, je ne te dirais rien, faute d'en avoir grand souvenir, ou si j'en ai, il me cause trop de peine, et celle-là je veux la garder pour moi.

    Mon père Guillem était le baron de Teruel, et je crois, mon ami, que cela a son importance. Aux yeux de tout autre, quelle différence ? Mais il y en a, crois-moi. On ne peut naître et grandir dans une cité telle que celle-là, ouverte sur le monde, avec l'océan pour horizon, sans en hériter un certain état d'esprit, une âme particulière. J'ai passé mes premières années dans le palais que les tassiliens avaient édifié pour leur gouverneur, des siècles auparavant, au milieu de la vieille ville qui embaume ses odeurs d'épice et de brique sèche. Pour nourrice, j'ai eu une noxienne, et pour esclaves, des gens qui venaient de partout : les premiers mots auxquels mes oreilles se sont ouvertes étaient colorés des accents d'Azelan, de Tassilie et d'ailleurs, et j'ai été bercée par des harmonies qui viennent de cieux bien différents des nôtres.

    Je n'ai guère connu mes parents, je crois, mais cela ne m'a jamais empêchée d'avoir une enfance paisible : j'avais mon frère Cosimo, et pour nous toute une foule de tuteurs, d'oncles, de cousins, de tantes, de proches et de précepteurs qui suffisaient bien à la tâche. Je leur ai donné de la peine, au début. Mon cadet et moi avons hérité du tempérament de nos aïeux, et pour être tout à fait honnête, quoique cela fit bien rire notre père, nous fûmes pour le moins remuants. J'étais la plus sage des deux, toutefois, parce qu'étant l'aînée, j'avais droit à moins d'indulgence de la part des adultes, quand il s'agissait de frasques ou de caprices.

    Très tôt, on m'a appris qu'une lourde charge pesait sur mes épaules, et c'est une idée qui m'est si bien rentrée dans le crâne que je n'ai jamais pu l'en déloger, même à l'âge tendre où je n'étais qu'une petite fille. Cela explique bien des choses, paraît-il. De fait, dès l'âge de raison, je fus bien studieuse auprès de mes maîtres qui m'apprirent les arts libéraux, la lecture et l'écriture. A dix ans, je savais mes lettres en euratien, et assez de tassilien pour converser avec les émissaires qui, en ce temps-là, franchissaient encore la mer pour séjourner à notre cour.

    A cette époque, mon père était souvent au loin : il siégeait aux côtés de mon cousin, le comte Jofre, qui régnait sur Corduba, et c'était ma mère qui gouvernait la baronnie. Celle qui veillait sur moi était Myrine, notre tutrice, et c'est vers elle plutôt que vers ma génitrice qu'allait toute mon affection. Oh, c'était une femme formidable, une grande dame, et je lui dois tant que je ne saurais pas où commencer. Bien entendu, avec la connaissance du monde que me donnait mon éducation, avec tout ce que mes yeux et mes oreilles recevaient, même à travers du prisme de l'innocence, je commençais à poser des questions. Pourquoi tant de soldats, pourquoi tant d'urgence, parfois ? Pourquoi voyait-on au loin des feux sur la mer, pourquoi mon père était-il au loin ? Pourquoi mettait-on déjà dans les mains de mon frère des épées et des lames, quand j’abîmais les mienne au fuseau ? Et à chaque fois, elle me répondit : non avec la tendresse idiote que l'on donne aux petits enfants que l'on croit trop bêtes pour comprendre, mais avec ses mots à elle, pour me dire que le monde tournait d'une étrange façon, et que les frères d'hier devenaient parfois des ennemis. Et de ceux-là, des adversaires, j'en trouverai sur ma route plus sûrement que des amis. L'empire d'Eurate était un îlot de paix dans un monde agité, environné d'ennemis aux dents longues qui ne voulaient rien de mieux que fondre sur nous : la mer n'amène pas que des bonnes choses, car plus d'une fois ce furent les voiles des thoréens qui remplacèrent celles des boutres tassiliens, dans les lointains noyés d'azur.

    Une des questions qui me taraudait le plus à cette époque concernait nos lointains parents, les fils du duc de Mellila. Pietro et Manuel avaient notre âge, à Cosimo et moi : ils étaient nés la même année, et nous avions souventes fois séjourné dans les mêmes cours, au gré des fêtes et des séjours qui nous amenaient à Alcalà, ou qui les faisaient venir à Huesca quand ils venaient visiter notre grand mère Sylvia qui était leur parente. Je les aimais bien, ces garçons : à mes yeux, ils ne différaient guère de ceux qui peuplaient notre quotidien, et nous nous chamaillons en imitant les adultes, comme une répétition inconsciente des jeux de pouvoir qui allaient plus tard nous opposer. Pourtant, avec les années, j'avais bien senti que quelque chose changeait insidieusement : la courtoisie de façade s'effaçait derrière une hostilité latente que je ne parvenais pas à comprendre.

    La réponse vint avec une évidence très crue : ennemis, nous l'étions déjà par notre sang. J'en fus fort triste, parce que Pietro et moi avions déjà au fond du cœur de ces inclinaisons d'enfants qui fleurissent à l'âge où les premiers émois s'éveillent : une partie de moi savait déjà comment finissent les amours contrariées, parce que j'avais lu et écouté bien assez de ces contes et de ces chansons que l'on fit sur ceux qui s'aimaient contre la volonté de leurs parents. Pourtant, j'y trouvais comme un frisson d'interdit, une transgression délicieuse, quand je songeais à lui.

    Tout cela était vain, bien entendu. Nos lignées s'affrontaient depuis déjà fort longtemps, et les miens rognaient, peu à peu, le pouvoir des Astiel qui régnaient sur Mellila depuis bien assez longtemps pour donner à d'autres des velléités de coup d'état. Ma parentèle plaçait ses pions, un à un, et j'étais au milieu de cela, pour l'heure, rien d'autre qu'un outil de plus. Je ne sais pas très bien si j'en étais déjà consciente ; j'entrais timidement dans l'adolescence, qui fut comme tout le reste de ma vie jusque-là. Studieuse, sage, encadrée, corsetée, étouffante, presque. Mes seuls moments de liberté, je les grappillais ça et là, en allant chevaucher avec Cosimo quand nous séjournions dans nos domaines loin de Teruel, en volant quelques leçons à des maîtres de l'université, en cherchant la compagnie des demoiselles de mon âge pour me distraire. Je nourrissais une vie intérieure qui me suffisait bien, parce que je voyais bien assez du monde en visitant ma parentèle, en sillonnant avec la cour les chemins de Corduba, et en allant une fois l'an assister aux célébrations que donnait le duc à Alcalà.

    Le reste, je l'avais par les livres, par la science, par les récits que j'écoutais avec avidité. On me laissait faire, et ce fut heureux. Je pus m'abreuver aux sources du savoir, de tous les savoirs, avec une soif qui tempérait les élans de mon caractère impétueux. C'était une échappatoire, mais elle ne fut point suffisante : nos pères et nos familles se livraient entre eux les guerres voilées qui sont l'apanage des grands de ce monde, mais, comme dans les chansons, comme dans les histoires qui finissent mal, j'aimais Pietro.

    Que te dire ? C'était ainsi, j'avais douze ou treize ans, je crois, et ce sont des choses qui arrivent à cet âge, il est sans doute aussi difficile de retenir la marée montante que d'empêcher les jeunes gens d'aimer.

    Bien sûr, mon père et ma mère entrèrent dans une colère noire, quand l'affaire fut éventée : Myrine avait toute la loyauté du monde et tout l'amour possible pour moi, mais elle ne pouvait non plus se permettre de trahir ses maîtres en gardant le secret qui était le mien. Elle le leur dit, et j'en fus si profondément blessée que je lui tournai le dos : à leur décharge à tous, c'était sans doute le pire moment pour qu'une Tejada s'entiche d'un Astiel. Cela ne pouvait servir à leur politique, et pour une simple et bonne raison de fierté, aucun des miens ne pouvait le tolérer alors même que l'on tissait dans l'ombre les rêts étroits qui resserraient la prise de ma famille sur le pouvoir qui leur échappait depuis si longtemps.

    L'année suivante, je fus fiancée, et mon promis s'en vint vivre à la cour. Bien évidemment, il arriva ce qui se produit immanquablement lorsqu'on met face à face deux jouvenceaux qui ne se sont jamais vus, en leur disant qu'ils passeront désormais le reste de leur vie côte à côte : la détestation fut immédiate. Sebastian était le fils d'un baron de Namarre, venu d'Aragon, que je connaissais fort mal. A mes yeux, un sauvage : une brute épaisse, immense, un bagarreur assoiffé, suffisamment plus âgé que moi pour avoir déjà l'air d'un homme quand je peinais encore à m'extraire d'une enfance qui tardait à s'en aller.

    Oh, je devinais bien qu'il y avait des raisons derrière tout cela : l'alliance avec l'Aragon était un précieux sésame que se disputaient les deux partis, et mes parents avaient joué un coup fort utile en me promettant à cet écuyer. Vu de mon côté, pourtant, j'avais beau savoir cela, quand on me rassurait en me disant qu'un homme de cette trempe ferait de beaux enfants pour ma lignée, j'en était chagrine au possible et Sebastian me le rendait bien. Il fallait nous voir, si mal assortis... Lui n'avait connu que la verdeur des plaines de sa baronnie natale, la douceur du climat du nord, loin des aridités de Corduba. Il savait à peine lire, écrivait fort mal, et parlait un euratien tout chargé de tournures étranges que je trouvais fort laides, comparées à la langue chantante et fluide que nous parlions à Teruel où le souvenir de la Tassilie s'était attardé bien plus longtemps qu'ailleurs. Lui, je crois, ne nous aima pas d'avantage : trop d'étrangetés, trop de choses nouvelles et d'usages saugrenus. Il pestait, je m'en souviens bien, contre le fait qu'il nous trouvait bien trop acquis aux manières étrangères, et qu'il n'avait pas traversé le duché pour se retrouvé marié à une donzelle qui parlait comme un tassilien.

    Mais enfin. Notre détestation franche et réciproque dura le temps qu'elle dura, d'autant plus exacerbée de ma part qu'elle se heurtait aux tendres penchants que j'avais toujours pour Pietro, auprès duquel mon cœur soupirait en vain. Quelques années plus tard, tout s'accéléra et nous n'eûmes plus vraiment le temps de nous complaire dans notre adversité, toutefois : vint la guerre, la première véritable guerre dont j'eus souvenance. Tout à coup, sur un échiquier dont je peinais à comprendre encore les manœuvres, les pions se déplaçaient à toute vitesse, et d'autres encore venaient se joindre à leurs danses meurtrières : mon père, parti combattre aux côtés du duc dans le golfe d'Aurore, nous revint mortellement blessé. Il prit la décision de me marier au plus vite et c'est dans une ambiance bien lugubre que j'épousai Sebastian. Je me souviens encore de la litière que l'on avait portée dans le temple lorsque nous avons reçu la bénédiction de l'évêque venu d'Alcalà, et de mon père qui y reposait, déjà mourant, et qui souriait pourtant.

    Il me fallut grandir, alors. Tout d'un coup, quitter les derniers oripeaux de l'enfance, tout à coup devenir adulte. Je ne me laissai point le choix. Il fallait faire, il fallait agir, il fallait être : c'est ce que je fis. J'ai joint ma vie à celle de mon époux, quelques jours avant que mon père ne trépasse.

    Après cela, tout alla encore plus vite : l'année suivante, la guerre prit fin, et l'impensable se produisit. Mon cousin, le comte Jofre, se fit porter en triomphe à Alcalà où il fut nommé régent pour Felipe et ses fils, prisonniers à Feynes. Qu'il était loin, mon Pietro, et qu'elle était loin, ma jeunesse... J'avais vingt ans, alors. Peu après, mon cousin me fit mander, ainsi que mon époux, à sa cour. Je me souviens très bien de ce moment : Jofre avait toujours été une figure tutélaire qui avait régné sur ma famille comme un astre, lointain et brillant. J'avais pour lui tout le respect et toute l'admiration que l'on peut avoir pour un parent de qui dépend toute la réussite d'une lignée, et je sais qu'il avait pour moi une affection plus grande que celle qui allait à tout le reste de notre parentèle. Nous nous entendions fort bien, et nous avions par le passé échangé de nombreuses lettres où il venait s'enquérir de mes progrès dans quelque domaine. Il avait toujours veillé à mon éducation, de surcroît, où il avait prit une part bien plus grande peut-être que ne le firent mes propres parents, car j'avais longtemps séjourné auprès de lui, par le passé.

    Il me fit alors part de son projet de me laisser régner sur Corduba, en son nom. Sa fille Ekaterina était encore trop jeune pour cela, et il me dit avoir toute confiance en moi pour ce faire, étant de surcroît sa plus proche parente. J'acceptai, bien entendu, parce que Jofre n'était pas quelqu'un à qui l'on pouvait aisément opposer un refus, et parce que soudain, j'avais l'impression de mettre enfin les pieds sur le chemin que l'on avait préparé toute ma vie durant. La charge était colossale : on ne gouverne pas une baronnie comme l'on gouverne un comté, mais il m'assura du soutien de son conseil, et de ses barons. Bien entendu, je compris qu'il avait préparé cela bien avant de m'en faire la demande, et que tout était déjà prévu, je n'avais plus qu'à jouer le rôle qu'il m'assignait dans la partie d'échecs qu'il jouait à l'échelle du duché.

    Après cela, la joute se poursuivit. Jofre devient duc, quoiqu'il en assura les charges depuis déjà quelques temps, et il fit transférer la capitale d'Alcalà jusqu'à Huesca. Oh, je me souviens de la liesse, alors, et du désordre inouï que cette décision provoqua : peux-tu l'imaginer ? Alcalà avait toujours été, depuis la fondation même du duché de Mellila, sa capitale. Depuis neuf cent ans, elle était restée la maîtresse ville de tout ce territoire, et seul les Astiel, les héritiers du premier des ducs, avaient ceint la couronne. Jofre était le premier à rompre la tradition, à faire un accroc dans la longue tapisserie des siècles qui s'étaient écoulés sans que rien ne change. Je n'ose imaginer ce qu'il lui fallut de patience, d'habilité et de soin pour cela, de coïncidences heureuses, d'occasions saisies au vol pour s'ériger de la sorte au sommet.

    Huesca était une cité aussi ancienne qu'Alcalà, quoiqu'elle n'eut jamais l'ampleur et la richesse de sa vénérable consœur, et il y eut bien des choses à bâtir, alors. Ce fut une efflorescence comme jamais on n'en connut de par tout le duché, et j'étais au cœur de la tempête, heureuse et étourdissante, qui avait balayé tout le duché. Je compris vite pourquoi mon cousin m'avait laissé son comté en gouvernement : il avait bien assez à faire de son côté, et je n'eus alors plus une minute à moi. Ce fut une épreuve terrible, parce que je sentis bien à quel point on ne peut jamais être prêt pour cela. Aucune épée n'est meilleure que celle qui s'affûte au combat, et je menais alors ma première guerre, ma guerre à moi.

    En ces temps, vint la trêve, avec Sebastian. Nous avions enfin réussi à nous côtoyer sans trop de dommages, dans les temps qui suivirent notre mariage, et d'avoir à assumer les charges du gouvernement nous rapprocha bien plus que nous ne l'avions estimé. Il avait bien à faire, lui aussi, des combats à mener, des armures à revêtir, quand moi j'avais les miennes : pour autant, il nous vint alors la vérité que découvrent bien des époux de notre sorte. Point d'amour, dans ces unions qui ne sont le fruit que de tractations politiques et d'enjeux de pouvoir, mais une entente suffisante pour avancer ensemble, pour le bien d'une lignée.

    En vérité, l'entente s'était déjà matérialisée de façon très concrète : l'année où Jofre ravit le trône de Mellila, j'accouchai de mon premier enfant, à qui je donnai le nom de ma mère, Luz.

    Ma santé déclina quelque peu, en ces temps. Je travaillais trop et ne prenais point assez de repos, une habitude nocive qui m'est venue très tôt et qui ne m'a jamais vraiment quittée : c'est cela peut-être qui me coûta mon deuxième enfant. Je fis une fausse couche, la première, et ce fut un drame que je vécus d'autant plus douloureusement que durant les mois précédents, Sebastian fut souvent absent. J'avais cru alors pouvoir construire quelque chose, un peu plus que ce qui se noue entre deux époux de noble lignée. Un rien d'intimité, un rien de proximité, une affection mutuelle qui allait en grandissant depuis la naissance de notre fille. Je savais cependant qu'il avait gardé quelques maîtresses, et qu'alors, il s'était entiché d'une dame auprès de laquelle il s'attardait alors. Je crois que ce fut une de ces fois-là, une fois de trop : je baignais dans mon propre sang tandis qu'on m'enlevait du ventre ce qui restait d'un bébé à peine formé, et j'en rêve encore, parfois, tu sais ? Je revois ce petit être chétif, ces membres violacés, boursouflés, cette petite pousse trop frêle que j'avais tué dans l’œuf en essayant de bien faire. Et Sebastian n'était pas là.

    Il comprit qu'il était allé trop loin, quand il revint, quelques jours après. J'étais encore très faible, et affligée d'un chagrin qui me laissait sans forces ; il redoutait ma colère, avec raison, mais c'est justement parce que je ne lui dis rien qu'il comprit. Il me connaissait assez pour cela. Je ne lui opposait que le silence, dépourvu de rage et de cris, ce qui était bien pire que si je l'avais agoni d'injures pour avoir manqué à ses devoirs d'époux.

    Tu n'imagine pas ce qu'il lui fallut d'efforts pour que j'arrive à passer cela. J'ai réussi à lui pardonner, à la toute fin, parce que je voyais bien son repentir, et qu'il était sincère : au chagrin d'avoir perdu un enfant s'ajoutait celui de me voir si affaiblie, et cela aussi sut adoucir mon ire. Étrangement, ce que j'avais cru être une trahison, une fêlure irréparable entre nous fut ce qui nous poussa à nous rapprocher encore. Nous avons réussi à nous comprendre, après ceci, et de cette minuscule tragédie naquit entre nous une amitié des plus solides.

    Et puis, il advint que dans les années où nos vies se virent à ce point bouleversée, je fis aussi le deuil du dernier lambeau de jeunesse qu'il me restait : avec le retour de Felipe, échappé des geôles feyneshines, vint la nouvelle de la mort de Pietro et de Manuel dont il accusa Jofre. Oh, que te dire ? Comment décrire ce que l'on ressent en apprenant le trépas d'un amour d'enfance, qui m'était resté au cœur, un rêve, une illusion fugace, pendant si longtemps ? Il était loin, ce temps-là. Je ne pris le temps de m'y attarder sur le moment, j'avais tant à faire... Et pourtant, pourtant j'y ai repensé, après cela, à tout ce que cette chose pouvait signifier. Le pouvoir ne pardonne pas.

    Après tout, nous étions ennemis.

    Et puis, et puis le temps passa. Tu te souviens, je crois, de ce qui arriva par la suite : des temps bien sombres, tu sais. Les mauvais temps font de mauvais gens, dit-on. La fin du règne de Jofre ne fut qu'une longue suite de malheurs. Les paysans se sont soulevés, partout, affamés par l'hiver, et c'est contre nos propres gens que Sebastian est parti porter le fer et l'épée pour ramener l'ordre. Ils ont chassé les tassiliens des villes, ils en ont pendu certains, et je ne sais combien d'histoires sordides ont alimenté les rumeurs, alors : on a parlé d'enfants lapidés, de cadavres dans les puits, du sang qui avait coulé, de ceux qui avaient tout perdu. Ils étaient encore nombreux, à vivre à Teruel et dans les grandes villes du comté, j'en avais à ma cour, et j'en ai pleuré plus d'un que je n'ai pas pu protéger. Le pire était encore à venir, pour nous : Jofre était malade depuis déjà quelques temps, nous l'avions bien vu, mais rien ne laissait encore présager ce qui allait arriver. En l'espace de quelques mois, le mal qui était latent, qu'il arrivait encore à juguler, le rongea jusqu'à l'os. Je le vis dériver, loin, loin de tout, loin de toute raison ; affaibli de corps, affaibli d'esprit, tremblant, perdu, sans reconnaître ni les siens, ni son propre visage, à en oublier son propre nom.

    Je tairai ce qu'il m'a été dit, je tairai ce que j'en ai vu. J'en ai bien trop de douleur, parce que la tragédie de Jofre est toute entière dans sa déchéance. Des hauteurs où il s'éleva, jusqu'aux profondeurs infâmes où il a sombré : il vit encore, tu sais, si vivre est mot adéquat. Il existe. Il survit. Je vais le voir, parfois, quand j'en ai la force, et je lui raconte un peu de ce qui se passe dans le grand monde, sans savoir s'il m'entend. J'aime à croire que quelque chose de lui survit encore dans cette épave qui gît à présent.

    Quoiqu'il en fut, Felipe ne pouvait demeurer inactif bien longtemps, à présent que son adversaire était incapable de gouverner : comme mon cousin en son temps, il s'appuya sur le chaos causé par les révoltes et l'agitation qui grondait de toutes parts, et se fit sauveur, homme providentiel, le dépositaire de la lignée légitime de Mellila. L'affaire fut compliquée, parce que ma cousine Ekaterina avait autant de droits que lui sur le duché, pusiqu'elle était l'héritière de celui qui avait été nommé duc par ses pairs et soutenu par ses vassaux. On conclut par un mariage, ce qui, je crois, fut une solution plutôt surprenante, mais appréciable en ce qu'elle fut prise pour ramener un semblant d'union dans un duché au bord de la guerre civile. Je plaignais Ekaterina, toutefois, si jeunette, encore fraîche et vive, mariée à un presque vieillard. Felipe avait pour notre sang une détestation cordiale qui ne pouvait que se comprendre, après avoir été dépossédé de ses biens, et avoir été gardé emprisonné pendant douze ans.

    Je me méfiais de lui comme de la peste, et à raison ; encore que, puisqu'il est question de cela, nous ne l'avons certainement pas vue venir.

    Mais enfin, nous n'en sommes pas encore là. Il me fallut faire bonne figure, et assurer mes appuis. Felipe était une menace pour moi, maintenant que j'étais celle qui occupait la place qui avait été celle de Jofre autrefois : j'étais la figure de proue des Tejada et de Corduba, et donc son ennemie. Je trouvai un appui solide en la personne de Sebastian, qui me seconda le plus efficacement du monde en se chargeant de tout ce que je n'avais pas la force, ou le temps d'accomplir. Il m'apportait aussi le soutien de sa parentèle, dont j'eus parfois cruellement besoin, autant que de son conseil et de sa présence.

    Parfois, je me demandais ce qu'il serait advenu de Pietro, s'il était revenu de Feynes. Les choses auraient été certainement bien différentes, et sans aucun doute possible, bien plus compliquées pour ma famille. Quoiqu'il en fut, nous avons cru trouver un semblant de paix et de stabilité. J'en fus surprise : Felipe tint ses promesses et ramena l'ordre, par la force, plus souvent que par la subtilité, mais enfin, les résultats étaient là. Sa fille Irène cherchait à ramener la paix, elle aussi, et œuvra en ce sens. Je garde d'elle un souvenir étrange, parce que je ne la portais certes pas dans mon cœur pour ce qu'elle était, mais elle avait vite su gagner le respect en se plaçant comme un gage d'apaisement, de réconciliation et d'union. Je la plaignais un peu, aussi : cette petite demoiselle d'à peine vingt ans avait été tirée de sa réclusion forcée pour être projetée héritière d'un duché en déliquescence. Elle fit de son mieux, faute du reste, et cela lui coûta la vie.

    J'ai souvenance que c'est elle qui plaida auprès de son père pour raffermir nos liens, déjà bien difficiles, avec les sultans de Noxa. Nous ne pouvions nous passer de nos appuis outre-mer, non plus que du commerce qui était la principale source de revenus des grandes fortunes du duché : j'appuyai l'entreprise, bien évidemment, et confiai à l'infante quelques diplomates que je savais très bien formés, en même temps que des émissaires qui sauraient seconder efficacement son ambassade. En vain, comme tu le sais. Nous avons perdu bien plus qu'une future duchesse, quand nous apprîmes la nouvelle de l'attaque, et que quelques survivants de la flotte parvinrent à Alcalà, où Felipe trônait de nouveau. C'était la fin de quelque chose. Des voix s'élevèrent aussitôt pour dire que c'était la volonté du Trimurti, et rappelèrent combien nous avions déjà été châtiés par le passé, pour nos accointances trop étroites avec la Tassilie. C'était un avertissement, disait-on, une punition. Ces voix étaient fortes, et nombreuses : Felipe, rompu de chagrin, leur prêta l'oreille.

    Je ne fus pas étonnée qu'il fasse proclamer en premier lieu son édit à Teruel : le lieu était tout symbolique. Non seulement il imposait son autorité sur nos terres, au-delà de toute autre, mais en faisant savoir sa décision irrévocable de chasser les tassiliens de Mellila et de tourner le dos à l'autre rive de la mer, il rompait définitivement avec des siècles d'échanges et de relations qui avaient étroitement unis nos pays. Et il le faisait dans le lieu même où le sultan de Mellila avait trôné, des siècles auparavant, dans cette capitale qu'ils avaient fondé en franchissant la mer.

    Cela aussi sonna le glas de beaucoup de choses. On se rendit compte de ce que l'on perdait, sans doute, quand il fallut se rendre à l'évidence : on ne put compter tous ceux qui furent chassés de chez eux, alors, et beaucoup préférèrent l'exil à la conversion et l'allégeance à une terre qui les rejetait. L'entente avait pris fin, il n'y eut plus que méfiance, et les vieux foyers de la haine qui se ravivaient. On perdit beaucoup, oui, à Corduba peut-être plus qu'ailleurs, parce que les tassiliens avaient toujours été très nombreux sur nos terres. Les marchands, les poètes, les savants, les artisans, et j'en perds le compte, encore. De ce naufrage, j'ai tenté d'en sauver quelques-uns. Certains se sont convertis, certains sont devenus euratiens, sans grand espoir toutefois : ils savaient qu'ils resteraient ici des étrangers, longtemps encore. Mais c'était pour leurs enfants, me dirent certains, parce qu'ils avaient tant d'attaches, ici, parce qu'ils avaient tant à perdre, et rien qui les attendait encore en Tassilie. Il y en eut, me dit-on, étaient partis en prenant avec eux la clef de leur maison. Ils étaient revenus, disaient-ils, les tassiliens avaient quitté Mellila tant de fois, ils avaient toujours fini par y revenir.

    J'aimerais leur donner raison.

    La révolte gronda de nouveau, après cela. La colère de Felipe, et la brutalité avec laquelle il imposa son édit ne fut pas du goût de tout le monde et même si c'était la volonté du Trimurti, il est un autre dieu que l'on adore en Mellila, et celui-là a la couleur de l'or. On n'eut guère le temps de se récrier cependant, et le duc, qui ne laissait jamais une occasion lui échapper, profita de la mort de l'empereur et de la guerre qui se déclencha à Durdinis pour rallier tout son ost dans un élan furieux. Oh, je dois bien lui reconnaître cela : je n'ai jamais connu d'homme capable à ce point de convaincre son auditoire. Il avait une conviction si forte, si puissante, que chacun de ses mots, prononcés de sa bouche ou portés par ses hérauts, ravivait dans le cœur de chacun une flamme dont on ignorait même l'existence. C'était un prince d'une envergure que l'on n'avait pas connue depuis bien longtemps, et avec tout l'amour que j'ai pour Jofre, je dois bien reconnaître la supériorité de Felipe d'Astiel sur ce point-là. Si l'on reconnaît la valeur d'un homme à celle de ses ennemis, eh bien les Tejada sont les plus valeureux dans tout Mellila.

    Ce fut fort beau, tu sais, ce grand élan qui saisit le duché pour porter l'épée et le fer dans les frontières du nord et défendre la terre qui était menacée. Ce fut fort beau, et ce fut vain. Felipe rentra sans autre gloire que celle de s'être battu jusqu'au bout, et mourut peu après. Je ne t'apprends rien en te disant que Ekaterina fut montrée du doigt : le duc était certes vieillissant, mais encore bien portant. Il déclina subitement, et peut-être fut-il le premier à mourir de la peste qui devait s'en venir, qui sait ? Mais enfin. Elle venait d'accoucher de son fils, cet héritier tant espéré, mais ni l'un ni l'autre ne survécut bien longtemps et tous les deux furent fauchés dans l'hiver, par le mal qui s'est abattu sur nous. Je ne sais que te dire : Ekaterina n'avait pas de réel intérêt à assassiner son époux, qui allait mourir avant elle, de toute façon. Nous n'aurons jamais la réponse à cela, quoiqu'il en soit, et si ma cousine a quelque chose sur la conscience, elle en a répondu devant le Trimurti qui l'a si promptement rappelé à lui.

    Alors, voici. Cet hiver a été un hiver sans duc, sans duchesse, sans héritier, et bientôt, sans impératrice. Les morts, nous les avons comptés par centaines, et j'ai encore dans le nez la puanteur des bûchers qui se sont élevés pendant des mois, et qui ont emporté tant et tant de nos gens, jusque dans mon palais. Oh, mon Sebastian et mes enfants sont saufs, et je prie chaque jours Tamas d'avoir épargné la chair de ma chair. Cosimo a perdu l'un de ses enfants, toutefois, et cela nous a tous grandement affligés, même si nous avons été chanceux, d'une certaine façon.

    Après cela, que restait-il ?

    Oui, c'était bien la question : qui restait-il. Felipe n'avait plus d'héritier, et sa parentèle s'était vue décimée. Il ne lui restait plus que de lointains parents, dont le plus proche était encore un enfant : en vérité, il n'est resté que moi. C'est étrange, non ? J'ai reçu la couronne de Mellila par défaut, pour ainsi dire, parce que le sort s'est joué de nous, et que tous ce qui a été prévu a échoué. Felipe avait reconquis son trône, avait repris ses droits sur son domaine, Ekaterina conservait les siens : les Tejada et les Astiel, au terme d'un siècle d'inimitié, s'étaient trouvés proches d'être enfin réunis dans un même sang qui aurait peut-être mis fin à cette rivalité. En fin de compte, rien de tout cela n'est arrivé.

    Alors, me voici : les barons et les comtes se sont réunis à Alcalà, après les fêtes d'Evalon. Ils ont pris conseil, et au milieu d'eux, j'ai parlé. Qui reste-il, ai-je dit, qui reste-il de ceux qui peuvent prétendre à succéder à Felipe ? Il ne reste que moi. Tout a convergé, toute les manigances, les morts, les chutes, les intrigues, les coups du sort, et la volonté du Trimurti, s'il le fallait : tout a convergé vers cet instant là. Personne n'aurait pu le prévoir.  

    Non, personne n'aurait pu le prévoir. Nous ne pouvions demeurer privés de tête plus longtemps, il fallait bien occuper la place, et la nature autant que la politique ont horreur du vide. Je sais que l'on m'envie, et une partie de moi voudrait leur dire de prendre ma place, s'ils croient faire mieux que moi : j'ai tant à accomplir ! Mais il est quelque chose que j'ai appris, par la force, en certaines occasions, c'est que les moments de troubles sont les plus féconds parfois. On peut faire naître de merveilleuses choses du chaos, et le désordre est parfois un moment de trouble qui redistribue les cartes d'une façon nouvelle. Les choses seront peut-être pires, après moi, mais s'il est en mon pouvoir de faire en sorte qu'elles soient meilleures, je donnerai jusqu'à la moelle de mes os pour cela.

    Peut-être étais-je destinée à cela, à la toute fin. Le hasard, ce n'est que la façon dont s'expriment les forces à l'oeuvre dans le monde, et ce sont elles, bien plus que la volonté des hommes, qui m'ont menée jusqu'ici.

    Compétences



  • Politique - Niveau 4

  • Administration (intendance) - Niveau 4

  • Administration (finances) - Niveau 2

  • Persuasion - Niveau 2

  • Érudition (histoire) - Niveau 2

  • Érudition (droit) - Niveau 2

  • Etiquette - Niveau 2



  • Derrière l'écran



    Êtes-vous majeur ?
    oui
    Avez-vous lu le règlement ?
    VALIDE
    Comment-êtes vous arrivé sur Les Serments d'Eurate ?
    En licorne
    Une suggestion ?
    Des frites
    Ce personnage est-il un DC ? Si oui, de qui ?
    Almarine de Servalan, Guillaume de Mornoie, Florimond le Grisant, Idir Alvarez




    Re: Magdalena de Tejada, duchesse de Mellila ─ Dim 3 Mar - 15:36
    Chroniqueur Impérial
      Chroniqueur Impérial

      Réputation  - 03.03.2019



    • LA CAPITALE EVALON



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    • DUCHÉ DE LA CROIX DES ESPINES : PERSONNALITÉ CONNUE


    • COMTÉ DE LA CROIX DES ESPINES
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      COMTÉ D'EMERALD
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      COMTÉ DE POSVÁNY
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    • DUCHÉ DE MELLILA : PERSONNALITÉ CONNUE


    • COMTÉ DE MELLILA
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      COMTÉ D'ARAGON
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      COMTÉ DE CORDUBA
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      COMTÉ DE MONT DRAGON
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    • ÎLE DE NACRE


    • Le clergé :..... ■ - ■ - ■ - ■ - - ■ - ■ - ■ - ■... 0000/1999 pts


    • HORS FRONTIÈRES


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