Sans regarder le Duc de Néra, Ferenc l'écouta attentivement. Courage défendrait donc son protégé, pour le Posvanéen il ne faisait aucun doute. Toutefois, le boiteux prenait note des dires du Duc. Ainsi, Tyssia n'avait pas tout mentionné. Peut-être ne souhaitait-elle pas risquer le fait que Ferenc daigne bien l'aider aussi, ou peut-être souhaitait-elle mettre toutes les chances de son côté. Mais à quelles fins? Après tout, elle avait délaissé sa place de Duchesse, qu'elle aurait pu tout à fait revendiquer. Au lieu de cela, elle avait préféré se chercher des excuses. Ou alors, peut-être, avait-elle encore plus peur de Posvany que ce qu'elle avait laissé sous entendre. A cette pensée, le boiteux salua mentalement son défunt frère. Pourquoi fallait-il que se dernier lui occasionne quelques soucis, même après son trépas?
Quand le Duc eu fini de sortir son venin orgueilleux, c'est avec un calme tout posvanéen que Ferenc se tourna vers le Néréen afin de lui répondre.
"Ce n'est pas qu'un simple détail, en effet, Duc. Mais je tiens à rappeler que je ne suis pas seul dans CE projet. Ce n'est pas seulement le mien, mais celui de nombreux autres seigneurs." commença Ferenc avant d'avoir le regard un peu plus brillant et de répliquer également: "C'est ce genre de coopération que je tiens à favoriser. Je suis heureux d'apprendre que vous avez également participé à ce projet, même si Posvany n'a pas eu l'occasion de s'y joindre à la même heure. Cependant, cela reste de la coopération quand même. Une mise en commun des forces de chaque participant."
Mais à peine eut-il fini que le jeune Volgéen s'investit dans la conversation, et sous entendit que la Comtesse n'avait point confiance en ses voisins pour venir, d'elle-même, réclamer de l'aide aux autres seigneurs. Mais qu'y pouvait-il si cette Tyssia d'Opale n'avait pas joué franc jeux avec tous. Elle avait roulé dans la farine autant le Posvanéen que ces deux grands seigneurs. Et au lieu d'en vouloir à la responsable, le Néréen et le Volgéen préféraient s'émouvoir du moment présent. Le boiteux maudit la nature humaine. Ferenc, calmement, beaucoup trop calmement, attendit que Théodore ait fini, afin de reprendre à son tour de taire enfin ces accusations belliqueuses.
"Je souhaite à rappeler, jeune Duc, quelques faits. A cette époque, Eurate voyait les dernières flammes funestes des bûchers des morts de la peste s'éteindre. Ce fut également le cas de Posvany et de la famille Bator, comme de nombreuses autres familles, bien évidemment. Nous avions à peine rendu hommage à mon frère défunt. La Comtesse Tyssia ne souhaitait peut-être pas perturber notre deuil." commença Ferenc tout en gardant l'oeil sur le Duc de Néra. "Concernant le fait qu'elle ne soit pas allé voir Emerald, je suppose que cela est dû à sa réputation d'ancienne Thoréenne, et qu'elle ne voulait pas se voire refuser un don dont elle avait âprement besoin pour sauver la Croix des Espines. Car, et j'en parle uniquement au nom de mon peuple, beaucoup de frontaliers de Durdinis gardent tout de même rancœur envers les Thoréens. Je ne fais que des suppositions, mais la Comtesse ne voulait probablement pas s'attirer le courroux de ses proches voisins à cause d'un héritage qui n'est qu'un fardeau et dont elle n'a peut-être pas voulu."
Le Posvanéen respira un long moment, et reprit en gardant ses deux mains apparentes sur la table. Puis, il reprit et finalisa afin de temporiser et de reprendre sur des bases plus sûres et avaient amplement plus de rapport avec leur venu du jour.
"Il n'empêche que, si vous n'aviez pas eu la bonté d'aider la Comtesse de la Croix des Espines, peut-être aurait-elle perdu contre les Thoréens aux frontières, et peut-être qu'aujourd'hui le Comté serait également Thoréen. Cependant, ce n'est pas le cas. Et c'est bien là où je souhaitais en venir. Ce projet est peut-être difficile, mais il sécurisera les régions les plus fragiles."
Quand les choses furent mise au clair, Ferenc se tourna de nouveau vers la Dame de Mellila afin de la laisser parler et de l'écouter à son tour. Elle semblait saluer la proposition du Posvanéen, mais restait sceptique. Le boiteux n'en aurait pas douté. Cela n'était pas un projet simple qu'il proposait, et la Duchesse avait du mal à accorder sa confiance, non à tord. L'ancien soldat l'écouta également, tout comme, il s'en doutait, le jeune Volgéen. Jetant quelques coups d’œil à son adversaire, Ferenc comprit très vite qu'il souhaiterait répondre en premier. Et il le laisserait faire. La volonté entêtée de la jeunesse serait peut-être un atout pour le nouveau Duc. Même si le boiteux ne se faisait pas d'illusion: le jeune Théodore avait appris de son père, et il tournerait sept fois sa langue dans sa bouche avant de prononcer des paroles trop hâtives, et il en avait eu la preuve à l'instant.
Il en eu une preuve encore plus grande lorsque ce dernier repris la parole. Mais le boiteux n'en pensait pas moins que lui. Et même si Théodore était jeune, il avait encore la tête sur les épaules. Ferenc se dit qu'avoir un père comme Alastor l'avait peut-être quelque peu aidé. Le fils avait été responsabilisé par le père. Cependant, le stratège qu'était devenu Ferenc en étant réduit à boiter, discernait encore quelques failles dans les plans du jeune Volgéen. Quand ce dernier eu fini de parler, le boiteux prit un moment à répondre à son tour à la Duchesse. Non pas pour faire durer le plaisir - quoi que le boiteux soit quelque peu appréciateur de ce genre de jeu - mais plutôt pour organiser ses idées convenablement. Quand ce fut fait, il reprit à son tour:
"Je crains être d'accord avec Théodore. Sur certains points du moins. Oui, nous avons besoin de renflouer les caisses que la guerre a vidé. Oui nous avons besoin de renforcer le commerce et les accords commerciaux pour cela, sans nul doute. Cependant... Je crains que nos voisins ne voient d'un très mauvaise œil que nous reconstruisions et renforçons nos défenses aux frontières alors que nous leur demanderont en parallèle des accords commerciaux. A leur place, et je les comprendrais tout à fait, voir mes voisins se mettre à construire des tours et des forts un peu partout le long de la frontière serait un signe belliqueux, plus qu'une mise en garde."
Sans attendre, Ferenc ajouta également:
"Je sais que j'ai parlé de renforcer les frontières également à l'instant. Mais je proposais surtout un système de surveillance et non de consolider les armées. Cela demanderait beaucoup d'argent, et Eurate en a besoin pour se développer sur d'autres points. Consolider nos armées mettrait peut-être en colère nos voisins. Cela serait un cercle vicieux qui nous conduirait à ne plus voire les routes commerciales s'ouvrirent."
A son tour, Ferenc bu une petite gorgée d'eau dans son verre. Il aurait presque craint que l'un des Ducs empoisonnent son verre au vue de l'agressivité de ses voisins. Mais il y avait des goûteurs, cela n'aurait pas été le lieu approprié. Ferenc le savait mieux que personne. Alors but-il tranquillement. L'eau évitait à sa langue de trébucher. Et cela aurait été bien mal accueilli s'il n'avait pas pu exprimer convenablement ses idées.
"Quant à Durdinis. Je crains d'être également d'accord avec le jeune Duc Théodore. Nous ne regagnerons pas immédiatement ces terres. Non que l'Empire soit faible, mais il n'est pas prêt pour une deuxième guerre. Soit, les hommes se souviennent et beaucoup souhaitent regagner Durdinis. Mais cela serait un grave erreur stratégique, et nous risquerions d'y perdre encore plus de plumes. Je ne dis pas que cela ne serait pas dans mes projets, si un jour l'occasion se présente, si vous me faisiez l'honneur de me choisir en tant qu'empereur."
Cet fois, Ferenc fit signe à la Duchesse qu'il avait fini. Il reprit son verre et but de nouveau. Tous étaient désormais libre de réfléchir. Et l'esprit du boiteux était en ébullition. Le jeu d'échec se resserrait. Mais chacun ne pouvait voir que son côté du plateau, et non celui des autres. Alors ce jeu était bien complexe, car les pions seraient découvert uniquement à la fin de la partie, lorsque le Roi serait définitivement en échec, sans que le joueur ne puisse en avoir lui-même conscience. Sans que le joueur puisse savoir qu'il était coincé. Mais le boiteux n'était pas du genre à avancer son roi en premier.
Le Duc de la Croix des Espines, gardant comme il se devait le silence, se tourna vers le chancelier alors qu'il prenait la parole à son tour, mettant fin au silence qui avait clos les discussions. Ferenc ne s'était pas rendu compte le moins du monde de l'avancement de la journée. L'occasion, pour chacun, de se restaurer et de calmer l'atmosphère tendu. Cependant, la nourriture était la dernière des préoccupations du Posvanéen. Il n'était pas particulièrement un grand mangeur, encore moins un gastronome. La musculature de l'ancien soldat, toujours tendue, en était la preuve, comme si le Posvanéen restait perpétuellement au garde-à-vous.
Cependant, Ferenc du faire bonne image à ses confrères. Sans aucun appétit, il s'essaya aux plats et aux mets délicats. Pour lui, tout était bien trop salé, tout avait un goût amer, tout était bien trop âcre dans sa bouche sèche. Lui n'avait soif que d'une chose: d'échange, de débat, et enfin, de la décision tant attendue. Ainsi Ferenc découpa-t-il la viande qu'on lui présentait, goûta-t-il les légumes et les fruits qui se trouvait dans un panier, dégusta-t-il le vin qu'on lui avait versé dans son verre. Mais sans y trouver le plaisir que d'autres, autour de lui, semblaient trouver dans cette nourriture et dont ils profitaient.
Le Posvanéen toucha à peine au fromage, et encore moins aux pâtisseries présentés en dessert. C'était bien trop de nourriture pour un moment aussi solennel, trouvait-il. Peut-être venait-il d'une région plus frugale que celles de ses confrères, quelque peu plus riches. Ainsi destina-t-il ce temps économisé sur son alimentation à l'observation des autres Ducs, de leurs expressions. Même avec la nourriture pour détendre l'atmosphère, chacun semblait surveiller le ou la voisine. Que pouvaient-ils bien penser? Réfléchissaient-ils déjà à leur choix? Pourraient-ils changer de choix, si celui-ci n'était pas définitif? Dans le jeu, Ferenc ne doutait que d'une personne: Magdalena. Que se passait-il dans cet esprit de femme? Le beau sexe était souvent les esprits les plus difficiles à déchiffrer pour le boiteux. Sa propre femme était parfois un mystère pour lui. Particulièrement lorsqu'elle se mettait en colère pour une rien. Mais cela était bien une particularité féminine. Alors que les hommes, étaient bien souvent et tristement, facilement déchiffrable et peu surprenant.
Le repas touchait enfin à sa faim, au grand plaisir de Ferenc qui finissait également d'étudier ses voisins de table. Quand tous les plats furent retirer de la table, le chancelier se releva et se positionna devant les seigneurs, les invitant à voter, une première fois. Car, à l'esprit de tous, il y avait la possibilité de l'égalité. Dans ce cas, un second vote serait effectué plus tard. Ferenc ne le redoutait pas réellement, au contraire, cela serait une seconde chance pour lui de s'exprimer et de persuader les autres seigneurs qu'il pourrait être l'Empereur dont avait besoin Eurate. Le chancelier l'invita à ouvrir le vote en présentant oralement le sien. Afin d'y procéder, le Duc de la Croix des Espines se leva et fit face à chacun des autres Ducs dans la pièce.
"Je vous remercie, Chancelier." commença-t-il simplement en saluant le chancelier d'un hochement de menton, puis, prenant bien appuie sur sa jambe valide, il regarda ses confrères et sa consœur avant de continuer. "Mon vote ne surprendra peut-être personne. M'étant présenté comme candidat, tout comme Théodore de Boisnoir, j'ai décidé de voter pour moi-même. Je vous invite à voter à votre tour et que le Trimurti vous éclaire dans votre choix."
Après ces mots, il fit de nouveau signe au Chancelier avant de s'asseoir en prenant soin de ne pas trop s'appuyer sur sa jambe capricieuse. Puis, il reprit son point d'observation, sur sa chaise, continuant de scruter de son sombre regard les trois aux autres Ducs. Il n'avait utilisé que les mots d'usage, mais faire appel aux Trois était toujours étrange de sa part. Cela n'était pas naturel. En même temps, ce n'était pas surprenant pour une homme faisant preuve d'une rationalité à tout égard.