Son histoire
Les rideaux de la chambre sont tirés. Le soleil a disparu. Je ne sais pas si la nuit est tombée ou si le soleil est au plus haut. Mais au final, est ce que cela a une importance ? Je suis assise à sa gauche, sur une magnifique chaise en bois d’Ébène, le regardant, le veillant. Cela fait peut être deux jours, ou peut être une semaine que je suis ici. Je n'ai pas bougé depuis qu'il est allongé sur ce lit. Et ce silence qui règne, un silence lourd, pesant, qui écrase à peine un pied posé dans la pièce. Mais ce silence est soudain brisé par le bruit de la lourde porte qui s'ouvre.
« - Madame... L'odeur arrive jusque dans le salon... Je vous en prie... »
L'odeur. Je ne l'ai pas remarqué. C'est peut être la chose qui les choque. Qui les dérange. Cette odeur ne me dérange pas. C'est une odeur qui m'apaiserai même... D'un seul mouvement je me lève et m'approche du lit. Il a l'air tellement serein, tellement calme. On remarque à peine ses joues creusées, ses yeux enfoncés et son teint blanc. Doucement je me penche sur ce visage que j'ai eu l'habitude de voir pendant plus de 7 ans. Un visage qui était tellement beau.
La première fois que je l'ai vu, j'en ai eu le souffle coupé. Il était magnifique, dans ses beaux habits, sur son cheval blanc. Et ses manières étaient celles d'un parfait gentleman. J'étais tombée amoureuse au premier regard. J'étais si jeune... Si naïve. Et il était si charmant. Il m'a prit la main, s'est penché, et a posé ses douces lèvres sur ma peau diaphane. Quelques semaines plus tard, mes parents étaient ravis d'apprendre nos fiançailles. Ma mère m'a prise dans ses bras, et mon père a serré la main de son futur beau fils. Personne ne pouvait s'imaginer ce qui allait se passer. Personne ne pouvait deviner que ce n'était que le début d'une longue et lente descente en enfer. Surtout pas moi. J'étais tellement ingénue, simplette. Il faut dire que j'ai été élevée dans une petite bulle de bonheur. Première fille d'un petit comte de volg j'ai toujours eu ce que je voulais. Robes, bijoux, chaussures. Je n'ai jamais subit les affres de la guerre, de la pénurie, et de la famine. Mais ce que j'ai subit est bien pire.
Après mon mariage, je dus abandonner ma maison, mes parents. Les diligences de mon mari étaient remplies de bagages et c'est avec une joie non cachée que je montai dans le fiacre qui allait m'amener dans une nouvelle vie. Avec de grands gestes je saluai ma mère, mon père, cette demeure dans laquelle j'avais grandit. La route avait été longue, mais rien ne me semblait insurmontable dans les bras de celui que j'aimais. La nuit de noce ne put pas se passer mieux, et l'année qui suivit fut comme un rêve. Il m'offrait tout ce que je souhaitais, me couvrait d'amour. Dans ses bras, je me sentais en sécurité. Mais tout cela changea un soir de novembre.
Le vent soufflait et au fond de notre lit conjugal je me faisais un sang d'encre. Il n'était pas rentré depuis l'après midi. Alors quand la lourde porte d'entrée s'ouvrit, je couru pour le voir. Il entra, visiblement enivrée par l'alcool. Il me frappe, et me retourne. Le cauchemars commence et les jours, les mois, les années passent. Que pouvais je faire ? Rien.
Les comtes de Volg se réunissaient parfois, discutant de politique, et nous, leurs femmes, les accompagnions à leur sauterie semestriel. Le comte de Boisnoir y était aussi. C'est lorsque je le salua que je sus qu'il avait compris. J'ai feins un sourire, un rire. J'ai fait semblant d'être heureuse. Mais il avait compris le secret de mon mari. Mon secret. En le voyant s'éloigner un peu je le rejoignis discrètement, mon mari étant trop saoule pour s'en rendre compte... Puis nous nous sommes revus, nous avons élaboré un plan. Mais plus je m'absentais, plus il s'acharnait sur moi, me criant que je ne l'aimais pas, que je me retournais contre lui. J'aurai aimé que ce soit faux, et même si je l'aimais. Même si il était mon premier amour, je ne pouvais pas craquer.
J'étais devenue l'ombre de moi même. Mais ma vengeance est là. Je suis une femme, mais cela ne veut pas dire que je ne peux pas agir. Il a suffit de couper une partie de la sangle en cuir avant qu'il ne parte à la chasse. Ecrasé par son propre cheval, j'ai feint de tomber dans les pommes en le voyant comme cela. J'ai pleuré, j'ai tellement pleuré. Mais pas pour lui, pour moi. Je pleurai pour toutes les choses qu'il m'a fait subir depuis des années.
Il n'y a plus de larmes dans mes yeux, à vrai dire il n'y avait plus rien. Je le regarde. Il m'a apprit tout ce que j'avais besoin de savoir, ses absences m'ont permis d'étudier la politique et l'administration des territoires. Maintenant, il peut partir. Je le fixe une dernière fois. Il est toujours aussi beau. Plus aussi frais, certes, mais il est magnifique. Je me penche sur son visage doucement et sourit, caressant sa joue.
« - Bonne nuit mon amour... »
Je me relève, ne quittant pas des yeux mon mari avant de marcher vers la sortie. Je passe devant la bonne qui couvre sa bouche et son nez avec un tissus.
« - Respirez. Ca sent l'odeur de la belle vie que je vais enfin avoir. »
La bonne me regarde. J'aime voir cette lueur de peur dans ses yeux, cette même peur avec laquelle je l'ai regardé la première fois qu'il m'a malmené. Aujourd'hui c'est a elle de me regarder d'un air effrayée. Un sourire s'affiche sur mes lèvres alors que je prends la direction du salon. Je m'assois dans son fauteuil, celui dans lequel il avait l'habitude de lire, d'écrire, de boire, encore et encore.
Les sabots de la diligence résonne, les bonnes s'activent pour ranger mes malles. On m'escorte jusqu'à la porte et je pose un pied sur l'échelette qui me mène à la cabine. Un dernier regard à cet endroit qui a abrité, mes cris, mes pleurs. Aujourd'hui je rentre chez mes parents, la ou je suis en sécurité.
Les semaines passent, tranquillement, je commence à revivre, je réapprends à sourire alors qu'il a été enterré. Un enterrement très émotif ou les larmes de beaucoup ont coulés. Les miennes aussi. Je ne pouvais pas faire comme si il ne s'était rien passé. Pourtant cette douleur disparaît très vite quand le comte de Bosnoir vient me rendre visite, je n'aurai jamais cru possible m'attacher à un autre homme que mon feu mari. Malgré son caractère dur et rustique se cache un homme avec des sentiments et j'aime à croire que lui ne me fera jamais de mal... Après tout, n'est ce pas lui qui m'a aidé à mettre fin à mon mariage avec mon bourreau ?
Bientôt notre mariage sera annoncé. Mes parents ont déjà donné leur accord. Il ne fait jamais bon de rester veuve trop longtemps. Pour ma mère c'est une chance pour moi. Elle a encore ce regard, ce regard d'une mère sur sa seule enfant, elle a encore l'espoir que je vive une vie meilleure. Car même si elle n'en parle pas, je sais qu'elle a deviné. Une mère sait tout sur son enfant.