Son caractère
Sans peur !
Telle est la devise des Bátor de Posvány, ancestrale famille des marais bordant l’Irtykoï. Famille qui se dédiât corps et âme dans la défense des frontières, de tout temps et en toute époque. L’envahisseur khösz jamais ne triompha, lorsque la bannière au coq hardi flottait au vent morne et pluvieux des mangroves de Moscar ! Gorán le Grand, Szoltan Crase-Khösz, István Khöszoctone… Tant d’exemples sur lesquels les yeux fiévreux de fierté d’Árpad se posent en chaque instant. Il lorgne avec envie les bustes de ses prédécesseurs, et se convainc qu’il en est le digne héritier. Si ses ancêtres ont dûment repoussé une par une les invasions du fléau de l’Est, il n’en reste pas moins présent et encore vivace, à s’attaquer aux frontières telle une guêpe par chaud été. Árpad prend son devoir très à cœur, et protège les frontières avec une ténacité digne de son orgueilleux blason.
C’est un homme de devoir. Sans devoir, le monde en vaudrait-il la peine ? Il se sait gardien de l’intégrité de l’est euratien, et s’il flanchait, à quoi donc pourrait ressembler l’Empire ? Il connaît les dangers de l’extérieur, et la fréquence des allers et venues des hordes. Chaque pillage est une raison de plus pour coincer les cavaliers khösz dans les marais, et les achever lorsqu’ils se sont bien embourbés dans les eaux saumâtres des marécages. Trimurti, qu’il hait ces barbares ! Bons à rien, lorsque leur nombre ne suffit pas. Païens sans dieux. Destructeurs et épandeurs de chaos. Ils ne méritent même pas le qualificatif d’homme, à ses yeux. Car il fut élevé pour les haïr et les maudire, depuis le berceau jusqu’à la première giclure de leur sang sur son visage d’éphèbe. Pour chaque incursion dans son domaine, il mène la vie dure aux envahisseurs, et leur fait payer le prix de leur intrusion par les larmes et la boue, auxquelles viennent se mêler d’enivrantes livrées de sang.
Derrière le foudre de guerre, caché sous une épaisse cuirasse et un bouclier usé, un autre homme se terre. Le père, brisé par la mort de ses deux premiers enfants… Le mari, lésé par la froideur de son épouse en deuil perpétuel… Le Fenyeshien, humilié par les courbettes de son suzerain devant le Sinopolitain… Árpad, lorsqu’il n’est pas à la guerre, est un homme aux nombreux maux et aux moult regrets. Loin des jeux que lui offrent la traque au Khösz, ou le pistage des serfs en fuite, il remplit son vin d’amertume, et trouve la viande plus âpre au dîner qu’elle ne le fut jamais. Il cherche refuge chez les Trois, implorant leur aide. Mais leur silence est tel le vent dans la passe ; assourdissant. Pieux dans sa jeunesse, il sent sa foi vaciller à mesure que ses déboires virent peu à peu au cauchemar éveillé.
Certains le prennent pour un sinistre personnage. D’autres pour un guerrier austère, écervelé par ses vertus. Mais ceux qui le connaissent véritablement savent qu’il est un homme comme un autre, faillible et imparfait, triste et mélancolique. Il réclame vengeance pour ses fils. Il réclame vengeance pour son pays.
Il est comte de Posvány. Et il est sans peur.
Son physique
Les hommes s’adaptent à leur environnement.
Un homme habitué au désert de Noxa sera sans doute bronzé et chaleureux. Un fermier de la verdoyante Sinople aura le tempérament aussi doux et calme que le climat de ses plaines d’émeraude. Mais les hommes de Fenyes, eux, sont de rudes highlanders aux mœurs violentes et impitoyables. Dans leurs hautes-terres, leurs marais, et leurs forêts sombres et épaisses, ils vivent de peu et se contentent de ce qu’ils peuvent trouver.
Árpad est un homme du pays. Massif, charpenté comme pour soutenir les fondations d’un temple trimurti, nombreux sont ceux qui le comparent au bœuf, ou le surnomment « l’Abominable Homme des Marais ». S’il eut été plus grand que la moyenne, il aurait eu l’air d’un véritable monstre. Fort heureusement, sa tête ne dépasse les autres que d’une seule, voire la moitié, en général. Il ne doit son air colossal qu’à sa carrure, non à sa taille. Un détail qu’il a appris à exploiter, notamment en paraissant toujours à ses serfs en armure, ou à dos de cheval, pour accentuer sa silhouette cyclopéenne.
La noblesse d’Eurate aime la pâleur d’albâtre lorsqu’elle s’étire sur une peau parfaite. Un signe évident d’oisiveté nobiliaire, qui marque un rang élevé et des serviteurs capables de brandir une ombrelle. La blancheur du derme d’Árpad, quant à elle, est surtout une question de climat. Le temps en Fenyes est souvent gris, et dans les sombres mangroves de Moscar, ou dans les inexpugnables castels de Posvány, l’ombre ne laisse filtrer que bien peu de lumière. Il est blême comme un linge, mais loin d’être malade.
Des yeux clairs, entre l’acier et le gris-bleu, posent un regard à la fois terne et sinistre sur le monde. Certains y voient volontiers de la fatigue, alors qu’en vérité, il s’agit plutôt de déception et de désenchantement. Ses traits forgés à chaud et battus à froid sont riches et bien faits, lors que la moitié de son visage reste néanmoins mangé par une barbe au noir de jais teinté d’argent, qu’il entretient depuis des années déjà. Pour compléter sa foisonnante pilosité, une crinière sombre comme l’ébène et qui lui arrive aux épaules, aux rares mèches tirant sur le gris anthracite. L’âge ne semble avoir de prises que sur son cuir chevelu et sa barbaque poilue.
Dans son armure, il en impose. Lamellaire, dans un style fenyeshien aux influences orientales, elle est parfaitement ajustée à son haubergeon de mailles et à son gambeson rembourré d’étoupe. Paré pour la guerre, il ferait peur à ses propres paysans. Son casque est également doté d’un masque de bronze décoré, représentant les traits de Tamas le Destructeur. Une vision terrifiante pour l’ennemi khösz, qui voit surgir devant lui une armoire d’acier au visage métallique et figé. Maniant tout aussi bien la longue épée que la courte, il possède un écu en forme de goutte et garnie de son blason, d’argent au coq hardi de sable.
Son histoire
Les mangroves posvanéennes étaient un cauchemar pour les envahisseurs et les étrangers, car à moins de se doter d’un guide né sur ces terres, s’y frayer un chemin tenait de l’imbécillité ou du suicide. Voire les deux. Les maigres sentes et les vieux chemins ancestraux n’étaient pas légion dans les marécages. Il fallait pouvoir les trouver, savoir où ils menaient, et ne pas s’écarter un tant soit peu du fil, afin que les chevaux ne plongent pas la tête la première dans des tourbières.
Aujourd’hui, les humides marais moscarois résonnaient d’une étrange musique. Sonnait le bois, sonnait le fer, et les écus frappaient sur les hauberts. Tel était le tintamarre qui émanait du cortège ducal se frayant un chemin à travers les bois et les sphaignes, par deux colonnes de sept cavaliers chacune. Le premier portait l’étendard du duc, quelque part au milieu de la troupe, mais bien visible sans son casque à plumet, si l’on connaissait son visage. Guidés par un petit homme râblé à la trogne de manant, ils suivaient la ligne de terre qui menait au château comtal de Besbána, le Mont-Gris comme aimaient l’appeler les villageois du coin. Et pour cause ; il s’agissait d’un énorme castel de pierres aussi grises que la base de l’Échine des Dieux. Plus fonctionnel qu’esthétique, il avait été rebâti par deux fois, car les ancêtres avaient mal asséché les marécages sous les fondations lors de leur première tentative. Une erreur commune sur ces terres plus gorgées d’eau qu’une outre pleine…
Le cortège martelait la terre spongieuse, et débouchèrent sur l’immense fortification, au détour d’un bosquet bordé de huttes de manants. Les gens d’ici faisaient d’autant peur qu’ils ressemblaient plus à des bandits en maraude qu’à de véritables serfs. Ils fixaient les colonnes armées avec envie, et certains enfants passaient leurs doigts le long de la lame d’un couteau avec un sourire macabre. Ce spectacle fit même froid dans le dos au Duc de Moscar, qui frissonna puis détourna promptement le regard. Sur quel territoire de fou était-il donc tombé ?
Du haut des remparts, un homme passa la tête par-dessus les créneaux vieillis. C’est alors que le vexillaire moscarois fit avancer son cheval d’un pas, brandissant sa bannière.
« Au nom du Duc de Moscar, digne représentant de la grande et vertueuse Sinople, ouvrez la porte ! »Un silence assez lourd suivi cette phrase autoritaire, et au-dessus des remparts, on pouvait entendre les rires éclater, moqueurs et hilares. Sous sa barbute, le héraut devint rouge pivoine, et hurla avec une voix de moins en moins convaincante :
« Au nom de la Princesse Anémone, vous allez ouvrir cette porte ! Mon duc réclame le comte de Posvány ! »Les rires cessèrent peu à peu, et le silence revint. Une tête passa à nouveau par les remparts, jetant un œil dédaigneux à la troupe en contrebas. Puis, après quelques secondes de mauvaise grâce, la tête se retourna pour hurler un ordre en contrebas. Les immenses portes commencèrent alors à s’ouvrir en grinçant, pendant que la herse elle-même était relevée par force leviers et roues dentelées. Le cortège s’avança alors à l’intérieur de la cour, s’engouffrant dans la bouche de Tamas en personne. Une fois que les pas de leurs chevaux résonnèrent contre le pavage, des arbalétriers sortirent de tous les coins, leurs armes chargées mais pas pointées sur le duc. Devant le groupe de chevaliers se tenait un petit comité d’accueil, fait d’autres chevaliers posvanéens démontés, et d’une sorte de grosse armoire à glace à la main posée sur la garde de son épée. Rien qu’à le voir, le duc de Moscar le reconnut d’après les descriptions approximatives faites par son guide.
C’était le comte Árpad de Posvány.
Ce dernier avait choisi de revêtir sa plus belle armure, et une chlamyde d’or délavée, sorte de cape agrafée seulement sur l’épaule droite. Son regard était posé sur le duc, et ne cillait pas. Ce dernier fit signe à son empourpré de héraut de se taire, avant même qu’il ne l’ouvre, puis mit pied à terre, imité par ses gens. Le duc, accompagné de sa garde, avança jusqu’au comte avec un mélange d’assurance feinte et d’appréhension. Il n’aimait pas les vilains armés d’arbalètes sur les remparts. Mais il n’oserait sans doute pas ordonner de les retirer à un homme qui ne lui a pas encore rendu l’hommage…
Le duc sourit. Pas Árpad. Le grand noble se racla alors la gorge, et dit :
« Quelle impressionnante forteresse, Comte. Je suis bien heureux que la guerre ne se soit pas étendue jusqu’ici. Sinople aurait bien eu du mal à assiéger votre place forte. »A cette seule mention alors, le comte sourit. Il hocha la tête, dans une subtile révérence.
« Et votre père serait peut-être encore vivant pour le dire à votre place. »Là, ce fut le duc qui s’arrêta de sourire. Il regarda Árpad, qui lui-même offrait son regard le plus inexpressif à son hôte. Les deux hommes se jaugèrent un instant, avant que le comte ne brise le contact et souffle à son homme-lige :
« Va conduire ces cavaliers à l’écurie. Et t’assurer qu’ensuite ils trouvent le chemin de la taberna. »Le chevalier à l’allure bien moins rutilante que les Moscarois se courba devant son comte, avant de mener les hommes de la garde vers les écuries. Le duc leva la main, mais Árpad lui fit un sourire diplomate et s’avança d’un pas.
« Je suis un homme d’honneur, messire duc. Je ne frapperai pas l’hôte durant son séjour ici. »Pas très rassuré, le duc dût néanmoins s’acquitter de ses hommes de bien mauvaise grâce. Il regarda les arbalétriers sur les remparts, et comme si Árpad avait lu dans ses pensées, ce dernier les renvoya dans leurs casemates d’un geste, avant de montrer à son invité le chemin du parvis menant au donjon. Ils empruntèrent de nombreux couloirs de pierre nue, tantôt décorés de tapisseries anciennes, tantôt enjolivés de quelques bustes ravagés par le temps. Árpad montrait quelques visages du doigt.
« Voici mon ancêtre Gorán le Grand, premier comte de Posvány. Et lui, c’est Szoltan, qui a écrasé une tribu khösz au sud-est du château. Ha, et ici, mon père István Khöszoctone. Khöszoctone, c’est ‘tueur de Khösz’. Un grand homme. »L’accent du posvanéen était riche et profond. Mais plus encore, le duc fut étonné du grand cas que l’on faisait de tuer des barbares, par ici. Ils semblaient très fiers de leur patrimoine, et ce même si les Khösz, pour lui, ne représentaient rien. Mais il acquiesçait à chaque remarque d’Árpad, et continuait de le suivre dans le dédale de pierre aux murs oppressants. Quel sinistre endroit…
Ils finirent par déboucher sur une salle plus grande que les autres. Un âtre ardent diffusait une douce chaleur dans cette pièce meublée de façon spartiate et presque dénudée. Seuls les murs étaient recouverts d’armes et de boucliers anciens, datant des siècles derniers, mais toujours bien entretenus apparemment. Árpad s’assit alors sur une chaise devant l’âtre, et proposa au duc de faire de même. Ce dernier posa son séant sur une chaise de bois, et regarda le visage du comte, qui, à la lueur des flammes, faisait danser d’étranges ombres sur les contours de son nez et ses pommettes.
« C’est ici que mon père István m’a appris le sens du mot honneur. J’étais sur ses genoux. Et il m’a annoncé qu’il y avait deux formes d’honneur, l’un plus important que l’autre. Le premier est l’honneur personnel, celui que chaque homme se doit de conserver. Mais le second, lui, est l’honneur de la famille. Et c’est le plus important. Plus important encore que l’honneur personnel. »Il tourna ses yeux clairs vers le duc, des yeux luisants de flammes.
« Je sais pourquoi vous êtes venu, Duc. Et je refuse, d’avance. Au nom de mon honneur familial. »Le Moscarois se pinça les lèvres.
« Vous ne pouvez pas, Árpad. Il vous faut rendre l’hommage à votre suzerain légitime. Sans quoi, je serais forcé de vous destituer et d’installer sur ces terres un homme souhaitant devenir mon vassal... »Árpad ne cilla pas.
« Vous pensez vraiment que les gens d’ici accepteraient un autre seigneur qu’un Bátor ? Mes serfs se montrent déjà peu disciplinés avec moi, combien de temps pensez-vous qu’il faudrait pour voir une jacquerie soulever les habitants de Posvány ? »« Les manants sont faits pour être réprimés, lorsqu’ils sont dissidents. Mais cela ne m’empêchera pas d’obtenir l’hommage de Posvány, de vous ou de quelqu’un d’autre, de gré ou de force. »Árpad replongea ses pupilles dans les flammes, tout droit sorties des entrailles destructrices de Tamas. Il inspira.
« Non content d’avoir tué mon aîné et mon cadet, vous me menacez sous mon propre toit. En mon propre cabinet. »Le duc déglutit.
« Écoutez, je suis profondément affligé par la mort de vos deux fils, aucun homme ne devrait avoir à vivre un pareil enfer. Mais, ce n’est pas moi qui les ai tués, je n'étais même pas dans l'ost. Puis, ils sont partis de leur plein gré, à ce que j’ai cru comprendre ? Ils n’étaient même pas... »« Ta gueule. »Les mots étaient partis tout seul. Árpad n’avait pas bougé sa tête, mais avait réussi à clouer le bec du duc, qui était à la fois outré mais compréhensif. Le comte avait les yeux luisants. La dernière fois qu’il avait parlé à Árpad le Jeune et Gorán, ses mots avaient été durs et tranchants. Plus douloureux encore avaient été leurs remarques cinglantes. Lâche, pleutre, poltron. Il les avait tous deux giflés. Puis ils étaient partis, un matin. Des mois de recherches plus tard, une missive leur était parvenue. Árpad n’avait jamais autant pleuré, ni sa femme Elza autant hurlé. Ils n’avaient même pas pu récupérer les corps de leurs enfants, brûlés sur un bûcher pour éviter la peste.
« Ce n’étaient que des enfants... »La voix d’Árpad était brisée, et presque inaudible. Un contraste macabre avec la richesse de la voix de baryton qu’il arborait à son habitude. Le duc n’en dit rien, sentant que sa langue ne devait en aucun cas se mouvoir. Et lorsqu’enfin le comte se ressaisit, le duc, les doigts tapotant sur l’accoudoir, avança :
« Il faut vous rendre à l’évidence, sir Árpad. Les Trois ne sauraient vous rendre vos enfants, et la guerre est terminée. Sinople a vaincu. Vous ne pouvez vous dresser contre elle. Alors, je vous demande de vous placer sous ma protection, afin que tout rentre dans l’ordre. »Árpad passa une main dans sa barbe, s’attardant sur son menton.
« Je viens de me rendre compte de quelque chose de malsain. De très malsain. »Il regarda le duc dans les yeux.
« Je n’ai jamais perdu contre les Khösz, ni n’ai eu à déplorer des morts de leur main dans ma famille proche, si ce n’est mon illustre père. Pourtant, c’est en Eurate que Sinople m’a fauché mes fils comme le blé, et tente de m’enchaîner à l’un de ses vassaux récemment fieffé. Dites-moi, messire. Qui devrais-je haïr le plus ? »Le duc ne répondit pas, tendu comme un linge. Árpad sourit, puis, chose étonnante, il se releva, et se mit à genou, les mains jointes vers le Moscarois. Ce dernier eut un mouvement de recul, avant de reconnaître le geste du lien. Dépassant son étonnement, il joignit ses mains à celles du Posvanéen, lorsque celui-ci prononça fortement ces paroles :
« Moi, Árpad de Posvány, comte de Posvány, de la lignée des Bátor, je me lie à cet homme. Je serai son épée lors des conflits, et son conseiller en toute occasion. Je jure devant Trimurti que mon serment jamais je ne briserai, et croiserai le fer avec quiconque tentera de m’en détourner. »Le duc sourit.
« Moi, le duc légitime de Mocsar, je me lie à cet homme. Je serai son bouclier lors des conflits, et solidaire en toute occasion. Je jure devant Trimurti que mon serment jamais je ne briserai, et croiserai le fer avec quiconque tentera de m’en détourner. »Árpad se releva, dominant de sa stature le frêle duc des marches.
« Il y a deux témoins à cet hommage. Le premier est mon bouclier-lige, dans l’embrasure de la porte. Le second est mon intendant Laszló, assis dans le fond de la pièce. »Le duc tourna fiévreusement le regard. Il ne les avait pas remarqués à son arrivée. Étaient-ils là depuis longtemps ?
« Voilà qui rend le serment valide, car prononcé devant deux hommes de haute naissance. Maintenant, disparaissez, suzerain. Et ne revenez que lorsque vous aurez une énième guerre à mener. Ici, comme votre père avant vous l'avait compris, ce sont les Khösz la menace. Dites à Sinople qu’elle peut bien trembler, si les frontières cessent de repousser les hordes. »Le duc se releva, fronçant les sourcils.
« Je vous rappelle que vous me devez obédience à présent. »« Je le sais. Mais, j’en conviens, vous ne souhaitez pas rester plus longtemps ici, je me trompe ? Maintenant que vous avez ce que vous voulez, vous pouvez retourner vous prélasser dans votre grand castel. »Le duc tiqua un peu. Mais, avec diplomatie, il ne fit qu’un bref signe de tête.
« Alors c’est tout. Bonne journée, et trois bénédictions sur vous, comte. »Le chemin du retour lui sembla plus court. Et une fois dehors, le duc retrouva ses soudards bien alignés dans la cour. Certains avaient déjà l’air ivre, tandis que les autres tenaient à distance quelques marauds qui tentaient de ‘toucher’ leur armure. Le capitaine de la petite garde ducale s’avança vers son maître.
« On ne reste pas pour la nuit ? »Le duc secoua la tête. Non. Puis, il se tourna vers le comte de Posvány.
« Au revoir, comte. Puissions-nous développer des relations plus courtoises, à l’occasion. »« On verra. »Légèrement irrité, le Moscarois remonta sur son canasson, suivi de ses gorilles plaqués d’acier. Un bref ordre, et le cortège s’en fût à nouveau par la grand-porte, sans un regard derrière eux. Le guide les suivit, ils avaient encore besoin de lui pour rentrer chez eux. Une fois qu’ils eurent passé la porte, Árpad soupira, se pinçant les sinus. C’est alors qu’il sentit la présence de sa femme à côté de lui. Lorsqu’il la regarda, elle jetait un regard mauvais au cortège, comme s’ils avaient eux-mêmes tué ses doux enfants. Árpad tenta de placer une main sur sa délicate épaule, mais elle partit au moment-même où il l’effleurait.
« Ne me touche pas. »En s’éloignant, elle laissait derrière elle un Árpad avec une main suspendue en l’air, le regard triste. Il abaissa sa main, comme s’il s’agissait d’un abandon, puis tourna ses yeux vers la herse que l’on baissait.
Il avait juré sur son honneur personnel de ne jamais trahir son suzerain.
Mais la famille, mon fils, oui, la famille… C’est l’honneur de la famille qui est le plus important. Souviens-t’en, lorsque tu doutes de tes actions.Et en ce moment, dieux qu’il était en proie aux doutes...