"Monsieur le baron ? Il paye pas plus que d'autres. Mais pas moins non plus. Dur à la peine, pour lui même comme pour nous autres. Mais contrairement à d'autres maisons, ici, on ne mange pas du son quand les maîtres se gavent de froment. Sauf quand il y a des invités, tout le monde a le droit au même repas et à la même table. C'est là le problème d'ailleurs ... manger à la table des maîtres, c'est bon pour la panse. Mais faut surveiller ce qu'on dit. Et si t'as l'idée de tenter quelques choses avec les femmes, un mot à la chambrière, un pinçon à la servante ... tu risques ta place. "
Entendu dans la bouche d'un domestique du baron de Pouyanne.

Le baron de Pouyanne a la haute stature des hommes de sa région natale. Son entraînement militaire l'a laissé avec une silhouette musclée sans être massive et des leçons d'étiquette tout aussi rigoureuses lui ont donné une démarche presque gracieuse même si ses tenues de prédilection, volontairement plus utilitaires qu'à la mode, ne lui laissent que peu d'occasion de le montrer. Sous la chevelure foncée, les yeux sont vifs, perçants, à la teinte grise indéfinissable et presque perpétuellement changeante. Malgré une vie passée le plus souvent possible au grand air, la peau reste pâle, il ne faudrait pas que le baron ressemble trop à un paysan. Le visage est pratiquement toujours souriant, même en face des pires situations, et presque aussi systématiquement ironique, comme si l'homme se moquait sans cesse à la fois des autres et de lui même.

"Ainsi, vous voulez connaître mon histoire. Je suis flatté de votre intérêt mais il n'y a malheureusement pas grand chose à en dire. Ma famille dirige le domaine de Pouyanne depuis la demeure éponyme depuis suffisamment de générations pour qu'on puisse quasiment parler de temps immémoriaux. Jusqu'il y a une cinquantaine d'années, le titre et les responsabilités appartenaient à la branche de mon grand oncle paternel.
Ce dernier se montra si incompétent et si féru des divers plaisirs de la vie qu'il mena simultanément le domaine à la ruine et son organisme à la mort. Faute d'autre héritier, mon grand père prit sa succession, élimina les parasites et autres favoris dont le château était infesté et s'attela à la charge de restaurer les fortunes familiales. Entre autres, il mit sur pied le recrutement et la formation des "Corbeaux". Le domaine à l'époque était si délaissé que le métier des armes était encore un des rares capables d'assurer la subsistance de la population. Les activités mercenaires permirent de renflouer les coffres et peu à peu d'aménager les terres. A l'heure actuelle, nous sommes moins dépendants de ce genre de rentrées financières mais cela reste un des fondements de l'économie locale.
A la mort de mon grand père, son fils lui succéda et poursuivit son oeuvre. A sa mort, mon frère aîné aurait du hériter mais il avait malheureusement les mêmes dispositions que ootre grand oncle et, heureusement pour nous, il fut poignardé par un compagnon pris de boisson lors d'une rixe autour d'une partie de dés. C'est ainsi que je récupérais un tortil, un titre et suffisamment de responsabilités pour priver n'importe qui de sommeil ... "