La soirée était déjà bien avancée. Malgré cela, il faisait une chaleur étouffante que même les hautes fenêtres du palais impérial d'Evalon n'arrivaient pas à dissiper. La journée avait été aussi grandiose qu'éprouvante. Et pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, affalée sur un immense lit, sa traine impériale négligemment abandonnée à côté d'elle, Anémone profitait d'un peu de repos et d'intimité. Il faut entendre par là qu'elle était séparée de ses servantes par de simples tentures, ce qui était le summum de ce qu'elle pouvait espérer !
Les évènements s'étaient enchaînés à une vitesse folle ces dernières semaines...
En dépit de l'échec qu'avait été la campagne entreprise pour sauver Durdinis, tout le monde n'avait pas été perdant dans l'affaire ! Bien sûr l'armée de la Croix des Espines avait eu à déplorer son lot de morts, mais le duché s'en était sorti grandi en réputation. Le duché, mais surtout sa duchesse qui avait profité de cette occasion, au nom de ses prétentions territoriales sur le bassin Opalien, pour revendiquer le titre d'électeur de la lignée éteinte des ducs de Durdinis. Dans l'élection qui avait suivi, son jeu d'alliances et l'absence d'autres prétendant sérieux avaient fait le reste.
Se faire couronner si rapidement après l'abandon de Durdinis était calculé. Il ne fallait pas laisser Eurate sur une défaite, ni sans autorité suprême. Il fallait, pour le peuple et pour les voisins, ajouter une couche de dorure pour cacher la misère.
Et puis la fête avait été magnifique non ? Tant d'invités, le gratin du royaume et des pays voisins... une population joyeuse. Le peuple était en liesse pour acclamer Anémone la Posthume, ce qui était aisé quand on leur offrait une fête et de quoi festoyer. Les bourgeois de la capitale faisaient un peu la tête c'est vrai, mais on pouvait les comprendre puisqu'ils avaient été les principaux contributeurs des frais du sacre ! Toute la journée avait été dédiée aux cérémonies dans un faste impérial éblouissant avant de se conclure sur un immense banquet ; et cela continuerait encore le lendemain !
Après cela, les réalités la rattraperaient. Outre la formation de son conseil il faudrait assumer au plus vite les affaires pressantes. Autrefois à la tête d'un duché riche et florissant, et avec pour principale ambition de faire grandir son pouvoir, la jeune femme se retrouvait soudain coupée dans son élan en arrivant en haut de l'échelle, appelée à diriger un pays partiellement ruiné par la guerre, dont les finances comme le prestige avaient beaucoup souffert !
Ce soir cela n'avait pas d'importance. Ce soir le monde était à elle.
Pourtant, un malaise persistait. Alors que peu à peu l'obscurité éteignait le jour, la chaleur ne décroissait pas. Au contraire, il semblait à Anémone qu'elle étouffait un peu plus à chaque minute. Voulant bouger, elle réalisa qu'elle était paralysée...
Alors Anémone vit le trône. Le trône impérial disposé juste devant elle. Mais un autre qu'elle était assis dessus.
C'était un être à la peau rougeoyante, mi-homme, mi-bête, au faciès redoutable.
Il portait sur la tête une couronne de fer aux pics aiguisés comme des lames, qui le désignait comme le souverain.
Soutenant le trône, il y avait une foule de femmes, d'hommes et d'enfants, tous nus et recroquevillés, tordus et hurlants de douleur tandis qu'un feu surnaturel les dévorait !
Le démon lui parla. Il l'appela son enfant,
Et lui dit que l'heure de son règne était arrivée.
Depuis sa naissance, les êtres du chaos avaient œuvré pour son avènement.
Immolant ses obstacles, empalant, fracassant, détruisant ses ennemis.
Jamais ils n'avaient cessé de la veiller et de la diriger. Jamais elle n'avait été seule.
Elle était leur enfant, et elle serait leur voix.
CAR LEUR RÈGNE SUR COMMENÇAIT MAINTENANT !!!