Le voyage avait été long, un peu plus que prévus. Mais ils avaient fini par arriver à temps. Les Casteldragons arrivèrent juste après le reste des familles seigneuriales d'Eurate. La Comtesse avait refusé de se presser, autant pour le confort de son fils Edwin qui ne pouvait se permettre d'être brusqué - mais qui tenait de mieux en mieux les voyages - que pour elle-même. Après avoir entendu dire, puis reçu la missive confirmant qu'Alastor était mort, la jeune femme reçu un coup. Elle avait commencé à croire que les Trois ne lui rendait pas forcément la vie facile. Elle avait vue son ennemi Alexandre de Terresang mourir, mais c'était désormais ses amis et alliés qui venaient à disparaître. Elle avait entendu dire que l'assassin était un admirateur fanatique d'Alexandre, un rebelle qui était contre la réhabilitation de la famille de Terresang - et donc d'Enela de Terresang, l'héritière -,mais également bien d'autres histoires étranges également. La Montdragonnière n'avait pas souhaité chercher la vérité dans ces nombreux mensonges, et craignant également pour sa sécurité - le danger pouvait donc surgir de partout - elle était parti avec nombre de féaux soldats. Après tout, n'avait-elle pas été un minimum proche du défunt Duc. Et puis, n'avait-elle pas également reçu Elena de Terresang? Les Casteldragons étaient les prochains sur la liste si toutefois il y avait des répercussions.
C'est donc à bord d'un carrosse bien entouré que la Comtesse et son fils arrivèrent à Evalon. Même avait le danger qu'elle sentait partout, la jeune femme avait insisté auprès de ses conseillers pour s'y rendre avec Edwin. Car le jeune héritier ne pourrait peut-être voir l'élection d'un Empereur ou d'une Impératrice qu'une seule fois dans sa vie. Et cela était une autre occasion de l'y emmener, afin qu'il y fasse ses armes, ses contacts, qu'il y trouve ses futurs alliés. Tout était désormais possible, et Kira ne souhaitait pas mourir sans laisser des possibilités à son fils.
Au milieu de la population en liesse, parcourant la route menant au palais, la Comtesse se demanda tout de même qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête. Evalon était autant l'endroit le plus sécurisé que le lieu le plus dangereux. Les rues, bondés comme elles étaient de gens, pouvaient permettre à un meurtrier de s'y faufiler, de frapper au moment le plus opportun, et de disparaître tout aussi rapidement dans les méandres de la ville. La Casteldragon serra son fils contre elle. Edwin saisit alors la main de sa mère, et la regardant tendrement.
"Ne vous inquiétez pas, mère." lança le jeune garçon.
"Il est normal que je m'inquiète. La méfiance permet de rester attentif." répondit sa mère, alors qu'elle l'embrassait sur le front. "Vous vous en rendrez bien vite compte, mon fils."
"Il serait malvenu d'attenter à la vie d'un seigneur en ce jour de fête, n'est-ce pas?" ajouta Edwin.
"Cela dépend. Ce serait également un message fort. Après tout, notre défunt Duc Alastor a été assassiné peu de temps avant le conseil des Ducs. Et peut-être n'était-ce qu'un avant goût. Toutefois, cela envoie un message fort à Volg. Alors pourquoi pas tout le reste d'Eurate?"
Il arrivait parfois à la Comtesse d'avoir l'impression de parler à un adulte à la place de son fils de douze cycles. Cependant, même si cela perturbait la mère, cela rassurait la suzeraine. Elle ne laisserait pas son peuple ni son fils sans rien. Personne ne serait délaissée si elle venait à disparaître plus tôt que prévus - pas comme lorsqu'Agilmar avait disparu et qu'elle s'était retrouvée désemparée face à l'ampleur de la tâche. Elle-même s'était senti comme une enfant, et comme une enfant, elle s'était renfermée, avait fait un caprice et n'avait plus parlé à aucun seigneur voisin pendant trois longues années. Trois longues années de deuil sans fin. Jusqu'au moment où elle avait vu la lumière et qu'elle était arrivé au bout du tunnel.
En parlant d'arrivée, ils l'étaient. Bientôt la populace se fit moins bruyante et le carrosse s'arrêta devant le palais. Cela faisait un an qu'elle ne s'était pas rendu en ce lieu, lorsque la mort de l'ancienne Impératrice avait été annoncée. Pour autant, ce n'était pas si étrange. Kira et son fils furent accueilli comme il se devait et des valets les menèrent à leurs appartements. Ils prirent leur temps pour s'installer. Et la Comtesse vérifia qu'ils étaient présentable. Le fils comme la mère étaient vêtu de noir. Ils n'étaient pas aux couleurs de leur maison, au contraire d'autres seigneurs. Mais ils étaient aux couleurs du deuil, afin de soutenir le jeune Théodore de Boisnoir, leur nouveau Duc. Cependant, la Comtesse avait également tenue à montrer qu'Alastor n'avait pas été qu'un simple allié, mais aussi un seigneur voisin sur qui elle avait pu compté et qui l'avait écouté, et qu'elle avait écouté en retour. Tant bien que mal, surtout dans les temps difficiles. Mais les deux seigneurs s'étaient toujours compris, au final. La Casteldragon trouvait si dommage qu'une si bonne âme ait été gâché ainsi, sans qu'elle puisse finir l'oeuvre qu'elle avait entreprit. Désormais, rien n'était moins certain. Alastor aurait pu devenir Empereur, mais Théodore - elle le savait fort bien pour y être passé également - était jeune. Et peut-être que cela lui porterait préjudice.
Ou peut-être pas... Elle n'en savait rien. Et plutôt que de spéculer sur le prochain Empereur ou la prochain Impératrice, la Comtesse invita son fils à la suivre pour une petit visite, une promenade afin de s'occuper l'esprit. Malheureusement Edwin répondit à sa mère qu'il souhaitait se reposer. La foule l'avait fatigué. La mère n'aurait jamais pensé que son petit louveteau supporte moins la foule que le voyage. Toutefois, elle accepta son choix et prit plaisir à sermonner les servantes sur le grand soin qu'elles se devaient de prodiguer à son fils si elles ne souhaitaient pas voir une Casteldragon les maudire. Les jeunettes acceptèrent, timidement, avant que la Comtesse ne quitte la pièce.
Elle se mit donc à arpenter les couloirs également, à se balader, observer aux fenêtres la foules et les cris, ainsi que les beaux jardins, et la magnifique ville d'Evalon. Elle réfléchissait également, imaginait un Eurate différent. Mais elle savait qu'elle ne serait pas l'artisan du destin, et qu'elle n'était pas maîtresse de ce qui pouvait se dérouler à l'étage. Elle commença alors à s'ennuyer, elle n'avait vue aucune des connaissances qu'elle s'était forgée durant ces différentes années. Il y avait nombre de seigneurs, mais peu s'intéressaient aux Volgéens, et encore plus rare étaient ceux qui daignaient discuter avec les plus Nordiens d'entre-eux: les Montdragonniers. Alors, la Casteldragon déambula, jusqu'à ce qu'elle arrive prêt d'autres appartements où retentirent bien des cris et des rugissements. Peu de temps après, un homme en sorti, furibond. Il ne l'avait pas vue, et la Comtesse ne se fit pas tout de suite remarquée. Jusqu'à ce qu'elle distingue les traits du visage de l'inconnu, et qu'elle tique.
S'approchant doucement, la jeune femme essaya de se faire entendre avant d'entamer la conversation, calmement. Il n'était pas forcément bond d'importuner un homme à ce point en colère, de plus, elle ne souhaitait pas particulièrement faire ombrage à qui que ce soit.
"Pardonnez moi, seigneur... Mais... N'auriez pas quelques parentés avec Arpad, ancien Comte de Posvány?" demanda-t-elle à celui qui était en réalité l'oncle de son défunt allié.
Quand le seigneur Posvanéen finit par se présenté, tout d'abord surpris - et la jeune femme le comprenait bien - il n'avait pas tout à fait compris pourquoi on lui parlait de son neveux. Mais l'air de famille était plutôt évident désormais que la Dame de Casteldragon l'avait bien en face d'elle. Kira sourit à Ravasz tout en lui faisant une légère révérence lorsqu'il reconnut sa maison, et après que le Baron ait fait son baise-main. La Comtesse ne pouvait que comprendre le désarroi qui s'était d'abord emparé de cet homme au nom d'un défunt de son sang. Qu'aurait-elle pu ressentir après la mort d'Agilmar à la moindre prononciation de son nom? Surement une ample tristesse.
"Je suis également honorée de faire votre connaissance, Baron. Dommage que ne nous soyons pas rencontré plus tôt." répondit la jeune femme.
S'adressant ainsi à son interlocuteur, elle ne vit pas la catastrophe arriver, ni même le jeune homme maladroit qui suivit la carafe de vin. En fait, elle ne prononça pas un mot, et sur sauta juste au moment où le verre se brisait en rencontrant le carrelage de la pièce. La Comtesse n'eut pas tout de suite conscience non plus qu'elle avait été éclaboussée par le vin, et encore moins que tout le monde la regardait. Mais lorsque ce fut le cas, et qu'elle entendit le Baron de Mocsar insurger le petit personnel, Kira ne put s'empêcher de baisser les yeux sur jeune serviteur. Il semblait avoir peur de lever les yeux vers les deux seigneurs.
"Cessez." demanda la Comtesse à son confrère. "Je ne lui en veux pas. Ce n'est qu'un serviteur. L'ironie des Trois a fait que le vin a chue sur ma robe, et non sur celle d'une autre dame."
Elle regarda encore un instant le jeune homme, jusqu'à ce qu'un autre homme, qui ne semblait pas être un serviteur, vienne apporter de quoi essuyer et aider l'esclave toujours tétanisé. Elle se tourna ensuite vers le Baron de Mocsar, et s'excusa d'un signe de tête.
"Pardonnez mes paroles sèches. Je ne souhaitais pas faire un scandale en ce jour tout particulier." lança Kira en époussetant, priant pour que le vin ne se voit pas sur le noir de son tissu.
Cependant, même en y regardant de loin, elle avait l'impression d'y voir les tâches, tel des tâches de sang, ressortir comme des rubis sur un bijou. La Comtesse sentait également le regard des autres convives et seigneurs, des curieux et autres serviteurs et invités de passage. Alors la jeune femme, afin de rester humble accepta que le seigneur la raccompagne jusqu'à ses appartements. Au moins, ainsi, pourrait-elle faire la discussion à quelqu'un de moins ennuyeux que les autres.
Sans aucun autre regard pour le jeune esclave en train d'éponger la tâche écarlate sur le blanc immaculé du sol, la Casteldragon prit la direction de sa chambre et de celle de son fils. Il y avait un petit peu de marche, après tout, le palais était relativement grand. Pour autant, ce n'était pas une promenade désagréable. Il y avait le soleil des grandes vitres qui permettait de profiter du beau temps, mais également du paysage qu'offrait la grande capitale. Et puis, plus elle s'éloignait de la pièce de réception, moins elle entendait la folie exprimée par le peuple, à l'extérieur.
"J'ai entendu dire que votre second neveux... Hum... Comment s'appelle-t-il déjà? Ferenc, c'est cela? Est devenu... Duc. Vous devez être fier d'avoir un membre de votre famille assis, en haut, dans cette pièce, en train de choisir l'avenir d'Eurate parmi d'autres Duc." lança finalement la Comtesse, afin de dissiper le malaise qui avait pu s'installer.
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